Tribune Juive

Elham Bussière. Il faudrait imposer la présence continue d’un analphabète aux côtés de tous ceux qui se targuent de penser

J’entends souvent parler d’ignorance à propos de tout, de rien. 

La violence serait le fait d’ignorants, le racisme également. 

Tout est de la faute de l’ignorance. 

Ça me met en colère. Ça me met d’autant plus en colère que ces idées à l’emporte-pièce proviennent la plupart du temps d’universitaires, d’intellectuels… Quel mépris ! 

Un sentiment de supériorité ridicule qui à mes yeux les rendent indignes de mon intérêt et si je les lis, ma lecture est prudente, critique plus que jamais parce que cette croyance est à mes yeux un sacré biais à l’intelligence, à l’honnêteté intellectuelle. 

La pensée est généreuse ou ne l’est pas. Elle naît de l’expérience ou ne l’est pas. 

Je suis très sensible à ce qui se dit de l’ignorance. Mes grands-mères ainsi que la plupart de mes tantes étaient analphabètes. Elles n’étaient pas sans culture, haute culture, celle de la vie et du quotidien, celle de l’attention à toutes choses, celle de la poésie. Souvent instruction est confondue avec l’éducation, avec l’expérience. 

Ignorance pour le racisme ? Non ! Un Renaud Camus n’est pas ignorant, un Gobineau non plus. Ignorant l’universitaire qui soutient et signe un texte pro Saïed ? Non ! 

Ignorant un Samuel Huntington ? Encore non ! 

Ignorant un Olivier Roy qui pleure après l’universalisme et se moque du travail formidable de l’Unesco sur la sauvegarde du patrimoine mondial. ? L’universalité ne va pas sans respect de la diversité ! 

Il a écrit son dernier livre en temps de pandémie, certainement en peignoir et en chaussons. Enlevez à un penseur son vernis et il dit ou écrit des âneries, dangereuses.  Qu’on lui mette des poux dans la tête et qu’on lui fasse traverser les Pyrénées pieds nus. Oui, certains voient à qui je pense, à celui qui a écrit « Pauvres nous sommes ». 

L’oeuvre d’un Jacques Rancière me touche infiniment parce qu’il parle de la politique du maître ignorant, de l’égalité des intelligences. Oui, j’ai besoin de ces oeuvres dont la pensée est généreuse et de reconnaissance, de gratitude. J’ai besoin de ces oeuvres qui nous parlent simplement de la duplicité de l’éducation parfois faussement émancipatrice. 

Il a du avoir une mère analphabète. Il faudrait imposer la présence continue d’un analphabète aux côtés de tous ceux qui se targuent de penser. 

Oui, bien envie parfois de mettre des poux sur la tête de certains auteurs.

Je parle de poux parce qu’un Antelme, un Ferjani, un Laabi, un Benjamin, un Semprun, un Desnos et tant d’autres ont nourri leurs pensées en temps de prison ou de camp. Ils parlent avec discrétion des poux sur leurs têtes.

© Elham Buissière

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