Robert Mauss. Quelques notes sur une résolution parlementaire

Apartheid, Apartheid… Qui n’a pas ce mot à la bouche ? Combien de fois a-t-il été utilisé à tort et à travers ? Depuis la tribune de l’Assemblée Nationale, Manuel Valls a par exemple affirmé que les familles d’origine étrangère vivaient en situation d’apartheid. J’aime bien Manuel Valls, mais quand même…

Aujourd’hui comme hier et bientôt demain, une nouvelle fois, encore et toujours il est question d’apartheid pour cibler Israël et  avec lui les Juifs.  Il se trouve des parlementaires français, élus sous l’étiquette de la Nupes, qui affirment qu’Israël pratique une politique d’apartheid délibérée contre les Arabes et les Palestiniens.

Pourquoi cette résolution se pare-t-elle de la toge de l’infamie ? Pourquoi doit-on considérer qu’elle dissimule très mal un antisémitisme appelé à devenir virulent bien au-delà du Proche Orient ? Pour une raison simple : Israël n’est en aucune manière un état ségrégationniste. Israël ne ressemble ni à l’Afrique du Sud, ni aux Etats-Unis, jusqu’à la politique des droits civiques conduite par Kennedy et Johnson un siècle après la guerre de Sécession. 

Pour en être convaincu, rappelons-nous que l’Apartheid recouvre un type de régime institutionnel singulier, original, fruit d’une histoire elle-même particulière, qui matérialise la réconciliation des deux groupes à la peau blanche, les Anglais et les Afrikaners (ou Boers) d’origine néerlandaise au détriment du reste de la population noire, métisse ou d’origine asiatique.

Et pourtant, l’Histoire aurait pu s’écrire autrement. Contrairement aux Antilles, au Brésil ou aux Etats-Unis, l’Afrique du Sud n’a quasiment pas connu l’esclavage.

Sans sombrer dans les méandres de l’uchronie, il était tout à fait possible d’imaginer un développement du pays plus harmonieux.

Mais peu importe. Le racisme a pris le pas sur tout autre vision sociétale et l’Apartheid a formalisé une somme de pratiques, de règles et de jurisprudences systématiquement défavorables aux Noirs. L’Apartheid a empilé une somme inouïe de textes toujours plus contraignants et excluants, un empilage effarant de règles, de lois et de jurisprudences  pour tenter de couvrir chaque aspect de la vie quotidienne. 

Les principaux textes


Les spécialistes considèrent que le « Population Registration Act » de 1950 est le pilier légal du régime. Ce texte définit les groupes raciaux avec un luxe de détails biologiques affolant. La même année, le parlement sudafricain adopte le « Group Areas Act » qui prétend rationnaliser la séparation spatiale entre les races. Le texte fixe les zones de résidence urbaines, les activités professionnelles et les modes de transport attribués à chaque groupe racial. En 1952, le passeport intérieur est remplacé par le « Reference Book », un document de 96 pages ( !), obligatoire pour chaque citoyen noir de plus de 16 ans. Noir ou métis, en aucun cas blanc. Outre l’identité du porteur, ce document contient ses empreintes digitales, des précisions anthropomorphiques, les coordonnées et les références de son éventuel employeur et ses autorisations de circulation en zone blanche. Les Boers ne connaissaient pas l’ADN. Sinon, gageons qu’ils en auraient fait le plus grand usage. 

En 1953, le « Reservation of Separate Amenities Act »  divise les accès aux lieux publics et privés: les parcs et jardins, les toilettes publiques, les zoos… mais aussi les hôtels et les restaurants, les écoles et les universités, les plages, les stades, les bureaux de Poste et toutes les administrations de façon générale. Les races doivent rester séparées jusque dans la mort. Les Blancs d’un côté, les Noirs de l’autre.
Sans être exhaustif, rappelons encore l’ « Immorality Act » qui a régi les relations humaines à commencer par les rapports amoureux. Le législateur sudafricain a démontré une imagination remarquable et infinie dans son racisme institutionnel et ces colonnes sont trop précieuses pour continuer à énumérer les règles sur l’éducation, la liberté d’association, l’accès à la propriété, la censure, etc.  

Alors pour conclure, je voudrais que l’on m’explique en quoi Israël ressemble de près ou de loin à l’Afrique du Sud des Afrikaners ? 

Des citoyens comme les autres


Si les Arabes israéliens ont pu se plaindre à l’indépendance de l’état d’une méfiance considérable des pouvoirs publics et de leurs concitoyens juifs, c’est d’abord c’est le fruit de l’Histoire. Rappelons qu’à l’indépendance en 1948 la volonté proclamée des leaders arabes était bien d’éradiquer physiquement toute présence juive en Palestine. Jusqu’aux accords d’Oslo en 1991, le mot d’ordre officiel de l’OLP était « les Juifs à la mer », Un slogan proclamé jusque sur leur stand chaque année à la Fête de l’Huma, dont pourrait se souvenir le député communiste Jean-Pierre Le Coq à l’origine de cette initiative parlementaire.

Mais aujourd’hui, en 2023, depuis des décennies, les Arabes sont des citoyens israéliens à part entière. Des parlementaires arabes siègent à la Knesset. Certains devinrent même ministres. Il existe des magistrats arabes dans tous les tribunaux y compris à la Cour Suprême. Le chef de la Police est un arabe israélien. En Israël deux partis communistes ont longtemps coexisté, pendant que les accusations de bolchévisme ont envoyé 26 années durant Nelson Mandela (et tant d’autres) compter les moutons en prison. Pourquoi devoir encore et toujours rappeler que n’importe quel ressortissant israélien peut s’installer où il veut, étudier dans n’importe quelle université, qu’il peut travailler dans n’importe quelle ville et dans n’importe quelle entreprise, administration incluse ? Que les citoyens israéliens, juifs, arabes, druzes, tcherkesses, grecs, araméens, orthodoxes, maronites, arméniens, gays, LGBT ou transgenres….  se côtoient dans les mêmes centres commerciaux, mangent dans les mêmes restaurants, pissent dans les mêmes urinoirs, bronzent sur les mêmes plages. Qu’ils se marient entre eux. Et qu’ils se réfugient dans les mêmes abris à chaque bombardement. Sans aucune discrimination. Les arabes musulmans ne sont pas tenus de faire leur service militaire, et tant mieux pour eux d’ailleurs, mais Tsahal accueille chaque année de nombreux volontaires et certains deviennent même officiers.  Bien sûr, la situation est imparfaite. Des tendances racistes avivées par des religieux fanatiques menacent une société extraordinairement fragile. 

Et les Palestiniens ?


Bien sûr également, les lecteurs souligneront que je ne traite que des titulaires de la citoyenneté israélienne. Ils me rappelleront que beaucoup d’arabes israéliens se disent Palestiniens. Et que depuis 1948 les Palestiniens croupissent dans des camps de réfugiés y compris en Cisjordanie, et que les Gazaouis vivent dans une prison à ciel ouvert, un peu comme les Noirs dans les bantoustans sudafricains. Ils me rappelleront aussi que les colonies ’’juives’’ grèvent la minuscule Judée Samarie. Je n’aime pas spécialement ces constructions qui minent les efforts de paix, défigurent les collines de Judée et provoquent inutilement la communauté internationale. Mais à ces critiques légitimes je rappelle que cette situation déplorable est d’abord le résultat de guerres conduites par les Palestiniens depuis des décennies avant même l’accession d’Israël à l’indépendance ! Ezzedine al Qassam, dont le nom honore à la fois les brigades armées du Fatah et les missiles du Hamas, était l’un des chefs de la révolte palestinienne des années trente qui prônait l’extermination des Juifs de Palestine. Les Anglais eurent sa peau en 1935, trente-deux années avant la Guerre des Six jours et soixante avant les accords d’Oslo. Je leur dis aussi que la deuxième Intifada a duré cinq ans, déclenchée par des leaders palestiniens incapables de s’engager sur la voix de la paix, qu’elle fait 5 000 morts dont mille Israéliens, qu’elle a ruiné tant de familles palestiniennes. Je leur rappelle aussi qu’en 2006 les intégristes du Hamas ont pris le pouvoir à Gaza. Leurs deux premiers gestes furent de massacrer les militants du Fatah et de rompre tous les accords passés avec les Israéliens avant de déclencher régulièrement des conflits armés. Je leur dis également que cette comparaison avec l’Afrique du Sud des Smuts, Malan, Botha et Cie est juste une infamie pour les noirs sudafricains. Mais pour ces parlementaires peu importe que l’Histoire laisse ou non des traces, peu importe que chaque jour qui passe voit un gouvernant réclamer la disparition d’Israël en Iran, au Liban et ailleurs. Mais peu importe aussi la startup nation, l’exemplarité contre la Covid ou les accords d’Abraham. Au contraire. Les performances israéliennes les rendent malades de rage. La haine d’Israël jusqu’à sa solution finale, voilà bien ce qu’il reste à ces parlementaires venus du totalitarisme communiste et de son échec absolu.  

© Robert Mauss

Robert Mauss, journaliste, est l’auteur des « Juifs de France ». Éditions du Cerf. Novembre 2021

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