« La Famille de Pantin » de Michèle Fitoussi, un moment magique au pays de la nostalgie

Michèle Fitoussi

« On emporte un peu sa ville… Aux talons de ses souliers… Quand pour vivre plus tranquille… On doit tout abandonner », chantait en 1968, en s’accompagnant de sa guitare Gaston Ghrenassia (et pas Ghenassia, chers amis des éditions Stock !), autrement dit Enrico Macias. 

Pour Michèle Fitoussi, journaliste et écrivaine, dont le talent de plume n’est depuis longtemps plus à prouver, c’est la Tunisie qu’elle a aux talons de ses escarpins. Cette Tunisie de nos mères et de nos pères, de nos grands-parents, de nos oncles et tantes, où elle est née et qu’elle a quittée si jeune tout en ne la quittant au fond jamais vraiment. 

Cette Tunisie dont elle a pourtant voulu un temps, comme tant d’autres avec elle, s’affranchir au profit de la France… pardon de la « Fronce ». Au point d’épouser plus que sa culture et sa manière de vivre et d’aimer, mais un Français, chrétien de surcroit, avec qui elle a eu de beaux-enfants : « J’ai épousé un Fronçais. Un vrai. Un de France », écrit-elle dans « La Famille de Pantin » (1).

Mais quand on a au fond du cœur la Tunisie d’antan, du temps du Protectorat, impossible de s’en détacher. Impensable de gommer ce qui fût et qui l’a construit. Ce qui n’est plus mais qui reste omniprésent. Oh, qu’on ne s’y trompe pas, la vie n’était pas si rose « là-bas » – Michelle Fitoussi, nostalgique de la nostalgie, le montre avec talent et finesse dans son roman. 

Un roman d’une poésie immanente, qui tient aussi du récit, où se mêle la vie des siens avec la « grande » histoire plurimillénaire des Juifs de Tunisie. Celle des « Granas » ou Livournais élevés au sein de la haskala du 19ème siècle et celle des « Touansas », bien plus nombreux et en général plus modestes, présents dans ce pays depuis la nuit des temps et parlant le judéo-tunisien. 

La France, avant de les abandonner à leur sort, celui de l’exil, à partir de 1954, fût l’objet d’un amour sincère de tous ces Juifs Tunisiens qui n’imaginaient pas, malgré les difficultés, quitter leurs terres et leurs maisons, leurs rues et leurs odeurs, leur soleil et leurs plages, leur joie de vivre teintée d’inquiétude (de « rassrah »). 

Mais il fallut partir. Sur plus d’une dizaine d’années, la quasi-totalité des Juifs de Tunisie dût s’en aller, la mort dans l’âme… Sans grand espoir de retour. La cassure ne fût pas aussi violente que pour les Juifs Algériens, mais pas moins douloureuse. 

La nostalgie est toujours ce qu’elle était… 

A travers les personnages ô combien réels de sa famille (à commencer par sa mère et son père), qu’elle décrit d’une plume trempée dans un amour et un humour purs, Michèle Fitoussi nous restitue tous ces instants : la vie « là-bas » et celle reconstruite « ici », la douleur du départ, la nécessité de se réinventer dans l’hexagone et d’être plus « fronçais » que les « Fronçais », la reconstitution dans Paris, mais aussi à Sarcelles ou à Belleville, de cette communauté Juive « venue d’ailleurs » avec ses expressions truculentes et ses mots en arabe, ses peurs, ses hontes et ses superstitions (comme le disait le regretté André Nahum)… 

Et sa cuisine… Ah, la cuisine tunisienne ! Lire « La Famille de Pantin » c’est à coup sûr prendre (symboliquement) deux à trois kilos en découvrant tous les plats et tous les mets évoqués, de la boutargue aux bricks à l’œuf, du couscous aux pâtisseries à la fleur d’oranger, en passant par la pkaïla et tant d’autres encore. Difficile de ne pas avoir l’eau (ou la boukha) à la bouche.

Pour moi, découvrir la vie de la petite Michelle devenue grande journaliste et écrivaine, de Sarah, d’Albert, d’oncle Pap et tante Pim, fût un intense moment de plaisir. Il m’a renvoyé à ma propre nostalgie, moi qui suis pourtant né au mitan des années 60 en région parisienne mais dont la mère est Juive Tunisienne et a vécu à Tunis jusqu’à l’âge de 20 ans. Comme Michèle et sa famille, elle a importé « en France », avec sa famille nombreuse, une joie de vivre mêlée de « rassrah », des peurs mal éteintes en traversant la Méditerranée, des superstitions qui ont déteint sur sa religion, une « Tunisian Way of Life » qui n’a cessé d’interpeller mon « vouz-vouz » de père 😉

A l’ombre de Georges Perec

Sous l’égide de la dynamique Lizzie Hayat, Michèle Fitoussi était il y a quelques jours l’invitée des rencontres littéraires de « Face aux auteurs », autour de « La Famille de Pantin ». 

Nous étions Place Saint Sulpice, au Café de la Mairie, dans la salle Georges Perec pleine à craquer… Le lendemain, j’ai écrit sur Facebook, ce que j’avais vécu ce soir-là :

« Là, j’ai vu un monde disparu en apparence mais qui vit toujours, entre les 2B classiques et gourmands : Boutargue et Boukha. Là, j’ai été plongé dans un joyeux brouhaha, de femmes (et une petite poignée d’hommes) comme je l’ai connu chez mes grands-parents maternels où tout le monde parlait en même temps dans un français parfois entrecoupé de mots en arabe (pour que nous ne comprenions pas). Là, au cœur du « balagan », j’ai entendu les femmes se disputer sur la traduction et le sens de telle ou telle expression exhumée d’un merveilleux passé, à jamais évanoui. Et là, au milieu de cette confrérie (consoeurie ?) d’amatrices de lectures pour l’essentielle juives tunisiennes, une voix et une présence : celles de Michèle Fitoussi qui, avec ses mots, nous a dit avec force sa « fronçitude » et, en parallèle, son amour immodéré de cette Tunisie, faite de rires et de larmes, qu’au fond, elle et les siens, n’ont jamais vraiment quitté ».  

A l’issue de cette soirée, j’avais d’autant plus envie de me précipiter dans une librairie pour acquérir ce livre. Ce que je fis avant de reprendre le métro pour rentrer chez moi. Je commençais aussitôt la lecture avec la conviction que j’allais passer un moment inouï. Je ne m’étais pas trompé ! 

Par le passé, j’avais ri (et aussi pleuré) avec Boujenah, réfléchi et compris avec Memmi, tant découvert avec Sebag, Maarek, Allali, Jarassé, Bensoussan, Ghez, Moati, Valensi, Nahum et quelques autres… J’étais trop jeune et trop « Fronçais » pour parler de « là-bas » avec mes grands-parents Hannah Ninette Douieb et Edouard David Jérusalmi (zal) qui nous ont quittés dans les années 90. Heureusement, il me restait ma mère et (un peu) mes tantes et oncles…  

Mais à moi, comme sans doute à vous, il manquait un roman-récit de référence, à la fois si personnel et foncièrement universel. Et « La famille de Pantin » est arrivé…

 
Lisez-le, même si vous n’êtes pas Tunes (personne n’est parfait 😉). Vous m’en direz des nouvelles ! 

© Gérard Kleczewski (Jérusalmi-Douieb)          

  • La Famille de Pantin, de Michèle Fitoussi. Editions Stock. 288 pages. ISBN : 2234090474. 20,90€. 

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*