Il n’aura pas fallu longtemps au guide suprême et à ses affidés pour célébrer le nouvel an… à leur manière. Dès la rentrée, le 3 avril, Khamenei a relancé les attaques chimiques contre les écoles de fille. Le lendemain, lors d’une réunion avec un groupe d’officiels, il a rappelé l’importance de la conception d’un plan visant à empêcher le soulèvement populaire. Son propre site internet fait état de cette volonté à combattre : « L’ennemi ayant lancé ce soulèvement avec un plan et une stratégie, nous devons y entrer avec un plan et une stratégie[i]. »
Reste à déterminer la stratégie en question, même s’il paraît totalement impossible à l’état de faire baisser les tensions populaires dans le contexte économique et social actuel (plus de 80 % de la population considérée comme pauvre, inflation de plus de 70 % sur les denrées alimentaires, corruption systémique…). Quelle est donc la feuille de route d’Ali Khameneï ? Et d’autre part, quel est le plan de l’opposition pour la poursuite du soulèvement ?
En fin de compte, Khamenei peut imaginer deux voies à suivre :
La première voie
La première voie qui s’offre à Khamenei est celle que les soi-disant réformistes (ceux qui ont été écartés après la fin du mandat du Hassan Rohani) le pressent d’emprunter. A savoir céder aux exigences de la communauté internationale, c’est-à-dire à cesser d’exporter le terrorisme et l’ingérence dans la région, puis mettre fin à la répression interne et enfin respecter les droits de l’homme. Pour Khamenei, Cela reviendrait à siffler d’un trait une coupe dorée gorgée de cyanure.
Bien que le régime ait récemment montré des signes d’apaisement des tensions avec l’Arabie Saoudite, sous la pression du soulèvement populaire, Ali Khameneï sait pertinemment que cette voie ne pourra conduire qu’à une série de reculs progressifs mettant en danger le dogme et l’application de laamecharia. Au final, la théocratie devra concéder trop, au grand bonheur des occidentaux que le guide suprême tient pour responsables de la gabegie économique et sociale mondiale et, surtout, de la perte de valeurs morales chères à sa philosophie personnelle moyenâgeuse. De JCPoA[ii] en JCPoA, le résultat sera la perte de l’hégémonie du guide suprême sur l’ensemble du système. Inacceptable pour Khameneï. D’autant plus que cela inclut le partage du pouvoir avec les “réformistes“ et l’affaiblissement du pouvoir du guide suprême, un coup fatal porté au régime justement basé sur le pouvoir inconditionnel du guide suprême[iii].
Par conséquent, les chances de voir cette voie “diplomatique“ se développer sont nulles. Ali Khameneï sait qu’une simple réduction de la répression serait perçue comme une faiblesse et qu’elle précipiterait la fin du régime. Si certaines ficelles issues de cette voie sont parfois tirées, ce n’est que dans l’optique d’une diversion simplement destinée à gagner du temps.
La deuxième voie
La deuxième voie est celle que Khameneï a planifiée et qu’il entend poursuivre ! Il s’agit de mener une guerre « combinée et sur plusieurs fronts » contre le soulèvement, sur les plans sociaux, politiques et économiques.
Pour le moment, ses efforts se concentrent essentiellement sur le volet social. En lieu et place de la répression quotidienne à l’encontre des femmes refusant le port du voile, méthode qui s’est avérée contre productive, le guide suprême a décidé d’opter pour un mode opératoire à la fois plus vicieux et plus terrifiant. Il a tout d’abord conçu des attaques chimiques contre les écolières, dans le but d’intimider toute la société. En réprimant directement les jeunes filles, il attaque directement la force féminine de la révolution en cours, il crée la terreur au sein des familles et contribue à diviser la population. Les nouvelles réformes visant à faire fermer les établissements accueillant, même contre leur volonté, des femmes sans voile, n’a pas d’autres objectifs que celui-là.
Ali Khameneï ne fait ici que réutiliser une stratégie déjà usitée pendant la période Covid 19. A cette période, le guide suprême avait lancé une fatwa dans laquelle il déclarait Haram l’importation des vaccins valables des pays occidentaux. De l’autre côté, il faisait coup double ; d’abord en gagnant énormément d’argent en monopolisant la production et la vente de divers types de faux vaccins produits par le CGRI, ensuite, il intimidait la population dont le soulèvement avait déjà débuté quelques mois auparavant. Au fond, la focalisation du guide suprême sur le port du hijab obligatoire permet l’érection d’un bel écran de fumée, dont le but est de rendre les slogans tels que « Mort au dictateur » presque inaudibles à terme devant “l‘urgence“ du traitement de la question du voile. Dans le même temps, la reprise de la répression sous une autre forme, plus “tactique“, galvanise ses troupes. Il ne reste plus qu’à placer la parole religieuse justifiant de la l’élimination des impies qui osent chanter et danser alors que le dogme l’interdit.
Sur le plan économique, le guide suprême a simplement fait fonctionner la planche à billets. Conséquences ; une inflation violente paupérisant plus encore le peuple et dissuadant les entreprises locales de chercher de nouveaux horizons. Pire, sans solution, celles-ci sont la proie du cartel du CGRI, qui en profite pour renforcer son oligopole au service du Velayat-e Faqih. Quant à la “fausse monnaie“ ainsi fabriquée, elle sert à rémunérer les forces militaires réparties dans la région. Enfin, sur le plan politique, le guide suprême agite les élections présidentielles de cette fin d’année, laissant croire aux “réformistes“ qu’ils pourront s’y présenter, dans le respect des règles électorales. De cette façon, il peut espérer retrouver un soutien des réformistes dans l’affrontement qui oppose le régime à la population… Et continuer de gagner du temps.
L’orientation de l’opposition
La résistance continue de mobiliser ses troupes et poursuit le développement, la formation et l’expansion des UR[iv]. Ces groupes attaquent sans cesse le mur de la répression ; en brûlant les photos de Rouhollah Khomeyni et d’Ali Khameneï en public, en assiégeant les centres de détention des milices Bassidj, en combattant la peur et la terreur inspirée par les attaques chimiques, en interrompant le guide suprême en plein discours…
Ce réseau de résistance, composé d’unités de résistance réparties dans tout l’Iran, est le levier du renversement. Placées sous la direction de l’opposition iranienne du CNRI, les UR sont toujours plus nombreuses. Elles ont augmenté de 500 % depuis le début du soulèvement, malgré les interpellations, les tortures et les exécutions, preuve d’une détermination sans faille. Elles offriront, le moment venu, la force nécessaire à l’affrontement final face aux forces répressives du guide suprême.
Le guide suprême dans l’impasse
Dans les faits, Khameneï est pris dans un étau. Aucune échappatoire n’est possible. D’un côté, toute réforme visant à améliorer la situation économique, culturelle et politique nécessite un minimum de liberté. Liberté à la quelle le dictateur ne peut céder sans risque de voir s’effondrer la théocratie. De l’autre, toute augmentation de la répression contribue à motiver l’opposition et à rapprocher le moment fatidique du renversement. L’équilibre actuel est instable et précaire et tout laisse à penser que la balance finira par pencher du côté populaire.
© Hamid Enayat
Notes
[i] Site web de Khamenei, 4 avril
[ii] Join Comprehensive Plan of Action (accord de Vienne sur le nucléaire Iranien)
[iii] Le régime du Velayat-e Faqih (le gouvernement du dogme) est une tutelle du juriste-religieux exercé sur toute sa communauté, sans distinction de frontière.
[iv] Unités de Résistance
Hamid Enayat est un analyste iranien basé en Europe. Militant des droits de l’homme et opposant au régime de son pays, il écrit sur les questions iraniennes et régionales et en faveur de la laïcité et des libertés fondamentales.
Poster un Commentaire