Une invisible qui se cache ? Un comble me direz-vous. Et pourtant il y a quelques jours, n’ayant pas envie de risquer ne serait-ce que d’être captée, même du coin d’un seul œil discret, j’ai préféré errer de mon lit à mon canapé, dans ce sens et dans l’autre. Je me sentais incapable de sortir de mon pyjama.
Ça a duré plusieurs heures. Ce qui, je dois le préciser, est assez remarquable. Je n’ai pas été programmée pour traîner. Chaque matin de mon enfance, j’ai été sortie du sommeil, sans sommation. En fanfare. Rideaux tirés d’un coup. Fenêtre qui s’ouvre. Volets qui claquent. Sur un « Debout les damnés de la terre ! » joyeusement déclamé par mon père, communiste, inutile de le préciser. L’Internationale au réveil, ça dresse. À tous les niveaux. J’ai donc appris à travailler, et à courir aussi, pas seulement sur un tapis de course. Des esprits poétiques, ou hargneux, pourront toujours essayer de se lancer à la recherche du temps perdu dans ma vie. Ils ne trouveront rien. Pourtant, j’ai perdu pas mal de choses. Des clés, des papiers, des paires de claques, des peines, des occasions, la tête… Du temps, non. Aussi, ne sais-je pas m’amuser. Et traînailler encore moins.
Au bout de cette heure et demie, eh oui, je me suis vantée avec mes « plusieurs heures », j’ai acté cette petite victoire sur mon éducation et sauté dans mes pantalon, T-shirt et souliers. J’ai attrapé au hasard un sac de toile dans mon placard. C’était celui qui, orné d’une feuille de cannabis, déclare en légende insolente : « Am Israël High ». J’ai trouvé ça marrant vu que j’étais plutôt down – d’ailleurs je n’ai pas ri, seulement souri. Et j’ai jeté dedans mon téléphone, mes écouteurs et mes affaires de sport.
J’ai commencé à marcher sur mon tapis de course, branchée sur mon portable muet. Mais marcher face à un mur sans autre distraction, ça fait suer. Sauf que je n’avais pas l’esprit à choisir un Podcast. Allez, va pour la radio ! J’ai zappé d’une station à l’autre, pour le bruit de fond, la tête ailleurs, sans rien trouver d’assorti à mon humeur. Je continuais à zapper, en pilote automatique, quand je me suis fait cueillir, sur une pente de 15 %, à 7 kilomètres/heure. Autre leçon de vie : ne jamais baisser la garde. I just called to say I love you ; And I mean it from the bottom of my heart.
J’ai senti mon menton trembler. C’est pas bon, le menton qui tremble. Puis une larme se pointer. Et voilà ! Je pleurais. Merci Stevie ! C’est vrai quoi, qu’est-ce que je lui ai fait ? Profiter de ma faiblesse, comme ça, c’est pas fairplay. Je pensais à tous ceux qu’on ne peut plus appeler. À ma mère, bien sûr, en premier. Mais aussi à ces frères, ces sœurs, assassinés ensemble, une série, ces derniers mois. Fauchés en pleine jeunesse. À ces promesses de vie qui ne seront jamais tenues. Ces familles effondrées. La cruauté, l’injustice… J’ai zappé avant de sangloter – autre chose qu’on m’a enseignée dès ma plus tendre enfance : ne pas se donner en spectacle.
Sur Galei Tzahal, les ondes de l’IDF, une présentatrice animait un jeu. Il s’agissait de nommer et chanter des chansons sur les fleurs. Les adversaires étaient des soldates et soldats du contingent qui passaient Pessah dans leur base, loin de chez eux. Et quel moral ! Quel enthousiasme! Ils braillaient. Ils riaient. Les deux équipes ont gagné.
Enfin, la présentatrice – et moi en silence – les a remerciés. Pendant les festivités, alors que les autres, en famille, fêtaient la liberté, la naissance du peuple juif, eux nous gardaient. Nous protégeaient. Sans eux, sans leur courage, leur dévouement, ça n’aurait pas été possible. Ce pays ne serait pas possible.
Am Israel hai, exactement !
© Judith Bat-Or
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