Si la remise en cause du principe d’arbitrage de la Cour suprême et l’instauration d’un pouvoir exorbitant du législatif sont bien induites par la réforme judiciaire proposée par Benyamin Netanyahou, la rendant de ce fait inacceptable en l’état, en revanche le retour aux prérogatives de la Cour suprême d’avant 1992 est nécessaire.
D’autre part, l’abolition de la définition d’Israël comme un « État juif », souhaitée par certains pour faire de l’État hébreu « un État comme les autres », au nom de l’égalité entre citoyens israéliens juifs et arabes (qui est pourtant de droit aujourd’hui) n’est pas acceptable.
Mais par ailleurs, l’instrumentalisation de la réforme judiciaire par le premier ministre à des fins personnelles est hautement probable, envenime donc le débat et est préjudiciable à la clarté des enjeux politiques de fond. La montée en puissance des religieux ultra-orthodoxes et d’extrême droite et leur poids décisif aujourd’hui dans le jeu parlementaire, compte tenu du mode de scrutin, doit en outre être stoppée et la laïcité de l’État enfin solidement fondée.
Judiciarisation du politique
La contestation qui a embrasé le pays depuis l’annonce du projet de réforme judiciaire est donc biaisée du fait du croisement de ses différents éléments du débat et comme toujours de non-dits politiciens. Or, la question de la judiciarisation du politique est au cœur de la crise israélienne actuelle.
Depuis la fin des années soixante-dix et, surtout depuis les évolutions de la Cour suprême mises en œuvre dans les années 1990-2000, un transfert des pouvoirs de prise de décision du parlement, du gouvernement ou des services publics a progressivement été réalisé vers les tribunaux.
L’équilibre traditionnel des pouvoirs en faveur d’un pouvoir législatif fort et d’un exécutif centralisé a commencé à être ébranlé à partir des élections législatives de 1977 qui ont acté la fin de la majorité absolue du parti travailliste et marqué le début d’un émiettement de la représentation nationale.
Mais c’est en 1992, que la « Révolution constitutionnelle » décrétée par le juge Aharon Barak sans aucun contrôle démocratique, a ouvert la voie à un déséquilibre croissant en faveur du pourvoir judiciaire, au détriment des pouvoirs exécutif et législatif.
Un autre facteur que la perte de pouvoir des autorités législative et exécutive a alors contribué à leur délégitimation auprès du public : la baisse de niveau intellectuel et moral des dirigeants politiques, un cercle vicieux s’installant entre affaires de corruption et judiciarisation de la société et du politique en Israël.
La Cour suprême a ainsi désormais acquis l’opportunité d’accroître son rôle politique en se substituant de plus en plus aux instances représentatives dans la prise de décision quant aux questions sociales et politiques notamment en hypostasiant les « sujets de société » autour de certaines revendications des populations arabes et de minorités sexuelles.
Une mobilisation inédite
Le débat qui sous-tend la mobilisation inédite actuelle en Israël doit par conséquent être mis à plat pour que la crise politique puisse trouver une résolution par le haut.
Pour cela la convocation d’une Assemblée constituante qui donnerait enfin une vraie Constitution à Israël serait sans doute la meilleure des choses. Certes le vote d’une Constitution n’est pas en soi une solution miracle aux crises
politiques (la Bolivie en est à sa 17e Constitution sans que pour autant soient réduites les fractures sociales qui minent la cohésion nationale depuis l’indépendance en 1825).
Mais d’une part, c’est en grande partie le manque d’une Constitution complète, cohérente qui a permis les dérives des prérogatives de la Cour suprême qui ont contribué à fragiliser la démocratie israélienne. D’autre part, le processus d’une Constituante permettrait de relancer une dynamique démocratique et de trouver de larges accords transpartisans sur des bases laïques.
Car quoi qu’on en dise depuis la création de l’État d’Israël, la réponse à la question « qu’est-ce qu’être Juif » peut être formulée simplement : se sentir lié d’une façon ou d’une autre à une longue histoire complexe, à une culture polymorphe et à une population diversifiée mais unie et unique dans sa persévérance à subsister dans sa judéité.
En somme, se reconnaître et se déclarer être Juif : qui se dit Juif, l’est. Car la religion relevant de la liberté de conscience ne peut être de nos jours, qu’une option personnelle et privée.
C’est pourquoi l’État d’Israël peut être constitutionnellement « juif » (comme la France est république « française ») parce qu’il se définit comme tel par ses liens historiques multiples, tout en étant « laïque » et « démocratique » sans aucune contradiction dans les termes. La liberté de conscience et de culte seront inscrites dans la Constitution. La « langue officielle » sera l’Hébreu, langue historique du peuple juif, tandis que l’anglais, l’arabe, le français et le russe pourront être reconnus comme « langues d’usage».
Aucune mention de religion ou d’origine ne sera présentes sur les documents d’identité, seule la nationalité israélienne étant mentionnée. Quelles que soit leurs origines, comme c’est le cas actuellement au demeurant (il est toujours utile de le rappeler), les citoyens israéliens seront tous égaux en droit et leurs enfants seront automatiquement de nationalité israélienne par filiation.
Une nouvelle croisé des chemins
L’acquisition de la nationalité israélienne par naturalisation se fera en revanche toujours sur demande et à titre individuel, sans qu’aucune conversion religieuse ne soit nécessaire. L’acquisition se fera par la prestation solennelle de serment sur l’honneur de la reconnaissance de sa propre qualité de Juif, après acceptation du dossier par les autorités d’un nouvel état civil, consacrant la séparation des autorités religieuses et de l’État.
« L’acquisition de la nationalité israélienne par naturalisation se fera en revanche toujours sur demande et à titre individuel, sans qu’aucune conversion religieuse ne soit nécessaire. »
La Cour suprême retrouvera la place indispensable qu’elle avait dans le dispositif de séparation des pouvoirs avant la distorsion introduite par les innovations du juge Aharon Barak et par la jurisprudence depuis les années 2000.
Par ailleurs, si le mode de scrutin pour désigner les pouvoirs législatif et exécutif et le découpage électoral ne relèvent pas de la Constitution, une loi électorale et une redéfinition des circonscriptions territoriales seront souhaitables à brève échéance pour compléter les évolutions institutionnelles en corrigeant la proportionnelle aujourd’hui en vigueur qui contribue, compte tenu du pluripartisme actuel, à une instabilité gouvernementale préjudiciable au pays.
Israël se trouve donc à une nouvelle croisé des chemins dans son histoire. Pour le retour à une vie politique apaisée, le premier ministre Netanyahou a fait preuve d’habileté sinon de sagesse, en retirant pour le moment sa réforme judiciaire de l’ordre du jour.
À l’opposition laïque dans sa pluralité politique, de s’emparer de cette opportunité pour engager le grand débat démocratique de fond et retrouver l’hégémonie afin que l’État juif ne soit plus soumis aux pressions et aux injonctions des religieux de plus en plus radicalisés, faute de perspectives enthousiasmantes et réalistes du côté de la gauche notamment, pour la persévérance d’Israël dans son être.
https://www.revuedesdeuxmondes.fr/israel-assemblee-constituante-sortir-crise/
© Renée Fregosi
Renée Fregosi est philosophe et politologue, membre de l’Observatoire du décolonialisme. Dernier ouvrage paru : “Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs”. Éditions de l’Aube, avril 2023.
Une base solide et democratique etablissant des regles ” juives ” aurait l avantage de degonfler les partis religieux qui n auraient plus de raison d etre , et ainsi de stopper certains chantages innacceptables .
Il faut d’abord en Israël renoncer à la proportionnelle intégrale…qui a montré ses inconvénients en France pendant la IVe République.
L’article dit vrai ; et surtout : « Certes le vote d’une Constitution n’est pas en soi une solution miracle aux crises ».
Aucun papier, AUCUN, ne remplacerait une cohésion identitaire, un sentiment d’appartenance au même collectif.
Et c’est justement la raison pour laquelle Israël n’a pas de constitution.
Ben Gourion et les siens reculaient, dès 1948 et avant, devant la tâche d’établir une constitution vue l’impossibilité de la faire accepter par les religieux ; car pour eux, la Constitution est la « Thora d’Israël » qui prime, et qui primera toujours, sur les idées des mortels, soient-ils juristes distingués.
Cette opposition des religieux (soutenus par des « traditionnalistes » et par des fanatico-messianiques) n’est que plus forte de nos jours vues l’évolution présente et à venir, surtout démographique, du pays.
L’appel de l’auteure à « trouver de larges accords transpartisans sur des bases laïques », permettant une assemblée constituante qui ouvrirait le chemin à la rédaction d’une constitution restera donc un vœu pieux.