La Colonne de Judith Bat-Or. Journal d’une invisible. -7-

Judith Bat-Or

Pas de tapis de course ni de Podcast, ces derniers temps. Pas eu la tête à m’amuser. Toute à la réalité d’une existence qui s’éteint, j’ai oublié de m’inquiéter de ce qui arrivait ailleurs, ici, dans d’autres vies, d’autres cœurs. 

Si je parle depuis quelque temps du sentiment douloureux d’invisibilité provoqué par la perte du regard des autres sur soi, j’ai été confrontée il y a une semaine à la cruauté, la violence, du vrai monde de l’invisible. Celui qui happe ceux qu’on aime, sans nous demander notre avis, alors qu’on n’a pas tout dit. Ni l’essentiel ni le trivial. Parfois par négligence. D’autres fois, il me semble, bêtement, par inconscience. Souvent, par refus instinctif d’affronter la vérité des jours qui nous sont comptés, eh oui ! à nous aussi. Ainsi, le monde des disparus, quand il nous prend nos parents, nous laisse seuls avec nos regrets. Le regret. Éternel. Parce qu’il ne sera plus, désormais, que trop tard. 

Même pas drôle ! Je sais, mais que dire ? On a tous « nos jours sans »…

Maintenant, pour voir ceux qui sont partis là-bas, là-haut, au-delà, il nous faudra fermer les yeux. On s’efforcera en vain de reconstituer leur visage, leur sourire, de mémoire. Une mémoire qui s’étiolera. Le temps œuvre à l’oubli. Invisibles pour toujours, ceux dont on n’avait plus la patience d’écouter la voix, parce que moins impérieuse que lorsque nous étions enfants, et qu’ils étaient vraiment parents. Quand on devait lever la tête pour les regarder dans les yeux. Qu’ils étaient encore si grands. Si forts. Formidables.

On a pris le large peu à peu, pensant avoir plus important, nos amis, nos amours, nos enfants. Et l’argent, le boulot, la réussite. On trouvait difficile de leur consacrer plus que quelques heures le dimanche, entre deux. Et encore. Malheureusement, il n’y a là, je crois, rien que de très normal. Ils l’ont sans doute fait avant nous.

Puis, la vieillesse est venue. Le grand âge, c’est pas très beau. Derrière leur sourire tendre, qui nous suppliait de rester, on ne voyait plus que leurs dents, celles qui manquaient à l’appel, ou jaunies par le temps. On n’aimait pas trop non plus les entendre oublier, perdre de leur acuité. On fuyait ce miroir qui nous renvoyait l’image de celui qu’on serait un jour.

Et qu’on ne vienne pas me raconter la légende de ces bienheureux, autrefois, quand c’était l’bon temps, qui vieillissaient parmi les leurs. Ils étaient là.  Pas le choix. Mais étaient-ils choyés, ou même seulement vus, écoutés ? Qui sait ? Sans doute pas. Et comment nous jeter la pierre ? C’est la vie la grande coupable. Avec sa fin annoncée. Elle nous absorbe. On s’y absorbe pour ne pas ralentir, et risquer de nous rappeler que notre moment viendra à nous aussi de dire adieu.

Ainsi, nous retrouvons-nous, un jour, à regretter. À pleurer près de leur corps décharné, déserté, désincarné. À crier, dans l’espoir de réparer notre oubli, de voler des minutes au temps déjà passé, priant pour que de l’invisible ils puissent entendre enfin tout ce qu’on ne leur a pas dit.

Et c’est pourquoi aujourd’hui, je n’ai qu’une seule envie, celle de dire mon amour, de le jeter autour de moi comme des poignées de lumière sur tous ceux qui en manquent. Et tous les autres aussi. On n’en a jamais trop.

© Judith Bat-Or

Toute l’équipe de TJ présente à Judith Bat-Or ses condoléances et l’assure de ses sentiments affectueux

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