Dans un entretien au « Figaro », Édouard Philippe a lancé un appel à une nouvelle « coalition » pour « stabiliser le jeu politique », d’une gauche sociale-démocrate à une droite gaulliste. Emmanuel Macron a indiqué dans son interview de ce mercredi qu’il souhaitait effectivement que la Première ministre puisse bâtir un « élargissement de la majorité dans les semaines à venir », « avec les femmes et les hommes de bonne volonté qui de droite et de gauche sont prêts sur les priorités que j’ai fixées à avancer avec elle ». Comment considérer ce projet de vraie fausse union nationale ?
Les termes d’union nationale ne sont pas adaptés à ce projet. Car dans l’esprit d’Edouard Philippe, cette coalition n’a pas vocation à intégrer les deux oppositions Nupes et RN qui représentent la moitié de l’électorat. La proposition de l’ancien Premier ministre recouvre l’idée d’un « accord de gouvernement » entre les macronistes et LR. Dans son esprit, l’objectif est d’achever le processus à l’œuvre depuis 2017 de ralliement de la droite modérée au macronisme, qu’il a lui-même initié avec Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, avant d’être rejoint par Eric Woerth. De nombreuses personnalités de droite importantes ont appelé à un accord de gouvernement, en particulier M. Sarkozy, M. Copé, M. Raffarin et Mme Dati. En outre, les prises de position passionnées de plusieurs membres importants de LR, tels M. Ciotti ou M. Retailleau, en faveur du report de l’âge de la retraite à 64 ans, une mesure emblématique de la campagne de 2022 du président Macron, vont dans le même sens bien que les intéressés s’en défendent. Les propos de M. Philippe accompagnent ainsi une tendance très lourde de la vie politique française.
– Ce projet ne risque-t-il pas d’aboutir à affaiblir encore un peu plus les institutions et à une forme de dépolitisation ?
Faute d’une véritable union nationale, ce projet aboutirait à constituer une « troisième force » sur le modèle du début de la IVe République, de 1947 à 1951, quand les partis de gouvernements, la SFIO (socialiste) et le MRP (démocrate-chrétien) formaient une coalition centrale d’où étaient issus les différents gouvernements, harcelée à gauche par le parti communiste et à droite par le RPF du général de Gaulle. M. Philippe et les grands leaders de la droite LR veulent constituer cette « troisième force » en pensant qu’elle permettra à la droite de revenir au pouvoir. Dès lors que M. Macron ne peut pas se représenter en 2027, ils font le pari que le futur président de la République qui émergera de cette « troisième force », opposé au second tour à Mme le Pen ou M. Mélenchon, sera un homme de la droite LR, ouvrant la voie à un retour de la droite au pouvoir. Mais cette vision ne tient pas compte de la faillite du macronisme dans tous les domaines (financiers, économiques, sociaux, sanitaires, éducatifs, sécuritaires, migratoires) et sa vertigineuse impopularité qui ne peut que s’aggraver dans les 4 ans qui viennent. Cette « troisième force », enchaînant la droite LR à l’impopularité du macronisme, serait probablement vouée à l’abîme dans les années qui viennent, ouvrant la voie à un tête à tête entre le RN et la Nupes. D’ailleurs, il est possible que la Nupes (ou équivalent) en sorte victorieuse.
– Pourquoi le chef de l’Etat ne perçoit pas que stabiliser le jeu politique ne se fera jamais en ayant recours au saint-simonisme, à « l’expertise » ou à une vague « bonne » volonté mais bien à travers la nécessité de reconstruire des offres politiques cohérentes ?
Il me semble que le chef de l’Etat avait annoncé la couleur et exprimé sa conception du pouvoir en 2017 quand il se présentait en président « Jupiter ». Jupiter est le roi des dieux celui qui brandit la foudre. Sa conception du pouvoir est verticale et personnalisée à l’extrême. Il ne semble pas attacher une grande importance aux partis politiques ni aux syndicats ou autres structures intermédiaires comme les collectivités locales. La différence avec le général de Gaulle, c’est que pour ce dernier, le pouvoir émanait d’une osmose entre le « chef » et le peuple, par-delà les corps intermédiaires. Chez le président Macron, la volonté ou les inquiétudes populaires n’ont en revanche guère d’importance. Dans sa vision, lui-même et son entourage immédiat forment une élite éclairée, détentrice de la vérité et chargée de faire le bien du peuple malgré lui comme nous le voyons sur les retraites. Dans ce schéma, les corps intermédiaires n’existent qu’au service de sa volonté et les états d’âme du peuple sont nuls et non avenus. Le chef de l’Etat, concevant sa mission comme celle d’un guide éclairé d’une intelligence supérieure, l’idée de reconstruire des offres politiques cohérentes ne lui vient même pas à l’esprit.
– Quel est le danger politique pour Emmanuel Macron derrière ce projet de coalition ?
Le risque de ce projet de coalition pour le chef de l’Etat dans les quatre années qui viennent serait d’être marginalisé et de devenir un président de cohabitation. Cela pourrait arriver s’il nommait un Premier ministre issu de LR, ayant un fort caractère et une vision politique de l’avenir, déterminé à réaliser un projet politique de réconciliation des Français et qui deviendrait populaire. Ce risque est toutefois réduit. D’abord, un tel profil semble aujourd’hui inexistant parmi les leaders de la droite LR. Ensuite, le parti de droite est fortement minoritaire à l’Assemblée aux côtés de Renaissance et serait donc en position de faiblesse dans une coalition. En réalité, le risque n’est pas pour le président Macron, il est pour la France. La perspective de voir arriver au pouvoir la Nupes ou une gauche extrémisée, en réaction contre le mépris de classe incarné par le macronisme et à la faveur d’un duel contre le lepénisme, est l’hypothèse la plus vraisemblable en cas d’absorption de la droite modérée par le macronisme. Aujourd’hui, le seul espoir d’éviter cette catastrophe est de refonder une opposition de droite modérée crédible.
© Maxime Tandonnet
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