Des manifestants manifestent pour la démocratie… en s’opposant au vote de la majorité.
Des non manifestants qui ont voté tout l’été, eh bien, ils dansent maintenant.
Des Juifs sont déçus qu’un préjugé antisémite se voie démenti par les faits…
Bienvenue en Israël !
Le casting
C’est l’histoire d’un homme seul face à groupe de jeunes orthodoxes, autrement dit des sous-hommes aux yeux de leurs congénères plus évolués. À quoi reconnaît-on les gentils ? Ils s’opposent à la réforme judiciaire. Quelle réforme judiciaire ? Celle que leur propre camp envisageait de faire quand il était au pouvoir.
À quoi reconnaît-on les méchants ? Ils facilitent la tâche aux gentils en portant l’uniforme des h’assidim, les religieux : redingote noire, kippa, large chapeau noir et Tsitsit : des franges qui dépassent sous la chemise.
D’où vient cet uniforme ? Le Choulh’an Arouh’, code de Loi juive compilé au XVIe siècle, mentionne la coutume des Juifs de s’habiller en noir pour n’oublier jamais qu’ils sont en exil de Jérusalem.
David Poltorak, un avocat du XXIe siècle, docteur en droit américain et juif orthodoxe (ou l’inverse), explique que ce vêtement sombre préserve une culture différente de celle du reste de la société (caractérisée, aux yeux des orthodoxes, par la « promiscuité et la superficialité »). Elle maintient ceux qui le portent dans un état d’esprit sérieux et formel. « Nous sommes identifiés et reconnus par notre tenue vestimentaire. Cela nous pousse à agir d’une manière qui convient au mouvement auquel nous participons.[1] »
Paradoxalement, les h’assidim, qui étudient sérieusement la Loi dans toutes ses formes, pratiquent avec Dieu une communion joyeuse, en chantant et en dansant.
Le décor n’est pas de Roger Hart
Israël est polarisé, depuis janvier 2023 autour d’un ensemble de réformes visant à concentrer l’action de la Cour suprême. Le gouvernement estime qu’elle a sapé la démocratie en empiétant sur les fonctions exécutives et législatives qui ne sont pas de son ressort.
L’opposition affirme que ce sont ces réformes, et non la Cour, qui constituent la véritable menace pour la démocratie. Elle a donc réagi immédiatement en organisant des manifestations massives rassemblant jusqu’à 200 000 personnes dans le pays.
Les gentils sont ceux qui s’opposent à la réforme judiciaire. Les méchants sont donc les 2,5 millions d’Israéliens qui sont pour, puisqu’ils avaient voté pour la coalition au pouvoir en toute connaissance de cause, celle-ci ayant inscrit la réforme dans son programme.
Vu de Mars, il semble curieux que les tenants du respect de la démocratie s’opposent, dans la violence, à une réforme législative qui vise à rétablir la prééminence du peuple, donc du Parlement, donc de la démocratie, sur une caste de juges qui s’était octroyé unilatéralement le pouvoir d’abolir les lois et de réguler les droits des ministres.
La pièce n’est ni de Shakespeare ni de Molière
Un groupe de méchants religieux en uniforme a vu arriver des manifestants contre la réforme judiciaire devant le domicile d’Arié Derhy, un ministre qui partage leur façon de s’adresser à leur dieu. Ils les ont accueilli à leur manière : en dansant.
On comprend la déception légitime des manifestants, privés d’une empoignade violente (comme celles que nous connaissons en France à propos de la réforme sur les retraites), qui permet aux différentes factions d’évacuer leurs toxines par un sain exercice physique.
Persuadé de la véracité des légendes urbaines, qui font de tous les Juifs des Shylock ou des Harpagon (il n’y a pas de fumée sans feu !), un des manifestants inventa une manœuvre pour piéger les religieux en les appâtant avec des billets de banque, afin de démontrer publiquement qu’ils étaient de mauvaise foi, comme ils sont de mauvaise opinion.
Tout le monde est en place ? Aaaction !
Avant de se mettre en scène, le lanceur d’anathème invita, de la voix et du geste, ses spectateur potentiels à le suivre pour jouir du spectacle. Ensuite, s’auto-filmant avec son propre téléphone, il interpréta son rôle héroïque en lançant aux danseurs une poignée de billets de banque, comptant qu’ils se jetteraient sur cette manne tombée du ciel avec le même enthousiasme que des contractuelles sur des véhicules en stationnement.
Las ! Ce fut un flop. Les danseurs, n’ayant pas lu le scénario, ont continué à danser comme si de rien n’était. Le film a été diffusé quasiment en temps réel sur Twitter, donnant le temps à des petits malins de l’enregistrer, avant que son auteur l’efface[2].
Légende : Les billets d’automne, emportés par le vent, en rondes monotones tombent au milieu des Juifs tourbillonnant…
La morale de cette histoire, larirette…
« Vous dansez, j’en suis fort aise » n’est pas une morale pertinente, le lanceur numismatique s’étant trouvé fort dépourvu lorsque l’indifférence à sa manœuvre fut venue.
« Tout comploteur vit aux dépens de celui qui l’écoute » aurait pu faire l’affaire, si ce sketch avait trouvé oreille médiatique. Mais pour cela, il aurait fallu que les h’assidim poursuivent les petits veaux d’or volants avec autre chose qu’un regard indifférent.
LA GAGNANTE EST :
Cette fable contient plus d’un enseignement.
Nous y voyons premièrement :
Que ceux qui n’ont du monde aucune expérience
Sont aux moindres objets frappés d’étonnement ;
Et puis, nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyait prendre[3].
© Liliane Messika
Notes
[1] https://www.quora.com/profile/David-Poltorak-3
[2] Elle est visible sur https://lphinfo.com/comment-ont-reagi-des-jeunes-orthodoxes-quand-un-manifestant-leur-a-lance-des-billets-de-banque et sur Twitter https://twitter.com/i/status/1638825353287282688
[3] La Fontaine, « Le rat et l’huître ».
Écrivain, Essayiste, conférencière, traductrice, Liliane Messika est auteur de plus de 30 ouvrages, dont plusieurs sur les conflits du Moyen-Orient. Liliane Messika est membre du comité de rédaction de Menora.info.
A lire: “Lettre ouverte aux antisionistes de droite, de gauche et des autres galaxies”. Liliane Messika. Éditeur : Éditions de l’Histoire
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