Jacques Tarnero. L’autisme n’est pas une vertu juive

Depuis un certain nombre d’années je m’efforce de rester fidèle à une ligne de conduite : ne pas critiquer, ne pas dénoncer ce que je pourrais estimer critiquable ou condamnable de la part d’Israël, de la part de son gouvernement. J’estime que je n’ai pas la légitimité pour le faire. Je vis en France. Je vis dans la tranquillité française et le confort relatif de nos vies ne nous permet pas d’appréhender ce que vivent quotidiennement les israéliens. Nous ne subissons pas le stress que les israéliens subissent depuis les origines de leur État. Nous ne vivons pas en France sous la menace d’une bombe atomique explicitement formulée par certains. Cela étant, depuis une dizaine d’années, c’est parce qu’ils étaient perçus comme Juifs qu’une quinzaine de Juifs ont été assassinés. Être juif est donc devenu en France aussi un facteur d’intranquillité, et dès qu’un traumatisme ou qu’une menace majeure affectent Israël, c’est une grande émotion qui s’empare de la diaspora. 

Cette fois ci la menace semble ne pas venir de l’extérieur, mais de l’intérieur du pays et le trouble n’en est que plus grand. Voilà que c’est un ministre d’Israël qui est venu à Paris devant un public juif français donner son point de vue sur la situation de son pays. C’est donc en tant juif français que je veux exprimer de l’inquiétude devant ses propos et les considérer comme irrecevables autant qu’irresponsables. Pourquoi avoir jeté des braises sur des feux mal éteints ? Le statut symbolique d’Israël, la charge symbolique du « signe juif » sont tellement exceptionnels dans l’imaginaire français que tout ce qui l’affecte se transforme ici en guerre civile. Trop d’éléments troubles enfouis dans le passé se mêlent et amendent  les représentations de ce pays à nul autre pareil. 

Revenons en arrière.

Sept guerres avec ses voisins, un terrorisme qui n’a jamais réellement cessé depuis sa naissance, un processus de paix à l’agonie depuis l’espoir caduc des Accords d’Oslo, font de l’histoire d’Israël un labyrinthe dont la source originelle est à aller chercher dans le découpage franco-anglais des débris de l’Empire ottoman en 1918. Le  livre de Georges Bensoussan sur Les origines du conflit israélo-arabe remet opportunément les pendules à l’heure. A quelques rares exceptions, le refus arabe d’un État juif en reste la constante historique majeure. Qu’elle soit nationaliste, marxisante, tiers-mondiste ou religieuse islamiste, Israël est l’objet d’un rejet de la partie arabe. Malgré les Accords de paix avec certains États, le décalage des mécaniques psychiques, leurs sources religieuses ou culturelles interdisent une langue commune. 

Bensoussan met en lumière l’écart des mentalités et l’anthropologie n’est pas de trop pour comprendre cette guerre de plus de cent ans ou de plus de mille ans. C’est désormais autour de l’islam que se fédère le moteur de ce rejet si c’est au nom d’Allah que le « petit satan », ou que « l’entité sioniste » doivent être rayés de la carte du Proche Orient. Nous savons que les ennemis d’Israël combattent moins pour construire un État de Palestine que pour la jouissance de la destruction de l’État juif et la mort de tout israélien. La qualité de l’affrontement entre les tueurs du Hamas ou autre Djihad islamique n’est pas de même nature que la riposte israélienne contre le terrorisme.

En 1977 dans un article publié dans « Le Monde », Henri Atlan estimait que le changement de majorité politique en Israël au profit de la droite nationaliste de Begin pouvait être, au bout du compte, une chance sinon pour la paix, au moins pour l’élaboration d’un langage commun entre Israël et ses voisins. « L’orientalisation d’Israël » mettait fin à une incongruité : celle d’un isolat de culture occidentale majoritairement laïque, socialisante, égalitariste et démocratique au milieu d’États de culture islamique, nationalistes, autocratiques, féodaux. Désormais les Israéliens et les arabes pourraient mieux se comprendre puisque leurs schémas de pensée se rapprochaient. La visite de Sadate à Jérusalem et la paix avec l’Égypte purent, dans un court moment, donner l’illusion que ce souhait était fondé. L’assassinat de Sadate puis celui de Rabin vinrent rappeler que les fanatismes religieux sont mimétiques et possèdent une dynamique plus forte que celle de la raison.

Avec la venue au pouvoir en Israël d’une nouvelle majorité nationaliste et religieuse, les choses ont-elles encore progressé en pire? S’agit-il d’un modèle autoritaire et théocratique que la venue au pouvoir de Ben Gvir et de Smotrich va installer ? Cette installation d’un modèle psychique oriental dans les têtes marque-t-il, en creux, un triomphe de ses catégories mentales ?

Les inquiétudes pour le devenir d’Israël qui s’expriment en Israël et en diaspora sont toutes empreintes d’une empathie  réelle pour cet État, pour le droit d’Israël à être, pour sa sécurité. Aujourd’hui ceux qui, en Israël, mettent en cause la réforme du droit dénoncent une pente dangereuse dont la nouvelle majorité serait responsable à l’opposé des principes fondateurs de l’État juif autant que sa mécanique démocratique. Leur parole mérite d’être entendue. L’esprit des lois et l’institution qui le porte, la Cour suprême, doit jouer pleinement de son statut d’exception. Elle est la matrice ou la garantie de la nature de l’État de droit. Elle ne saurait être soumise à des contingences électorales, aux émotions de l’air du temps, quel qu’il soit. Pourquoi l’élaboration d’une Constitution qui encadrerait le droit en Israël ne dessinerait-elle pas une perspective rassembleuse ? Serait-ce une idée erronée dans le pays des start-up innovantes ?

Personne ne peut s’arroger le statut d’unique détenteur de la Vérité, d’un vrai amour d’Israël. Personne n’est propriétaire de ce que serait l’identité juive. Le message du Sinaï nous oblige et les questions de Hillel n’ont pas perdu de leur vérité : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Mais si je ne suis que pour moi, que suis-le ? Et si ce n’est pas maintenant, alors quand? » 

Dans les années 50 Ben Gourion réunit un groupe érudits devant répondre à la question: « Qu’est-ce qu’être juif ». La question resta sans réponse.

Si une menace pèse sur la démocratie israélienne, c’est aussi parce que depuis très longtemps c’est avec le masque du progressisme, au nom du Bien,  au nom du souci de l’Autre, que s’est fabriquée la diffamation de l’État juif. 

Avoir rendu possible cette disqualification a construit progressivement cette infamante ruse de l’histoire, celle qui affiche cette obscénité d’un signe = mis entre la svastika et l’étoile de David.

Ce combat relève, ici, de notre responsabilité car nous, nous savons que ce qui menace Israël NOUS menace.

© Jacques Tarnero

Essayiste et documentariste, Jacques Tarnero est l’auteur de Décryptage, Autopsie d’un mensonge, et de l’ouvrage Le nom de trop: Israël illégitime ?

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13 Comments

  1. Enfin un article intelligent. Si TJ le publie c’est peut-être qu’il sent le vent tourner et retrouve un minimum de dignité.
    J’attends les commantaires horrifiée des habituels personne

    • Ici le terme est utilisé comme métaphore. Je suis moi-même autiste et comprend parfaitement cet usage.
      Par pitié, pas de polémique inutile. Lisez et formez-vous intellectuellement.

      • Merci, Anne: j’y ai pensé, mais je me suis dit qu’il était fou d’imaginer qu’un lecteur reproche ce titre! Merci, Anne, encore une fois.

  2. Pour reprendre l idêe de J Tarnero , j ai l impression que le temps de l ecriture d une constitution est venu pour notre etat , l etablissement de bases communes a tous est , peut , etre , la condition qui permettrait au peuple d Israel de reprendre sa route avec plus d unité et de serenitê .

  3. J’ai beaucoup de respect pour notre ami Tarnero et son analyse juste mais c’est son point de vue
    Le titre ne me dérange pas
    Par contre revenons à la période 1948 durant laquelle Israel est attaqué par les 5 armées arabes tellement sûres de gagner que les arabes qui étaient entrés massivement (grâce aux britanniques durant leur mandat scandaleux pour les juifs ) , partent de la Palestine sous les ordres des pays arabes, Palestine redevenue juive sous le nom d’Israël, Ben Gourion qui proclame la restauration de l’Etat juif disparu depuis 123 de notre ère vulgaire, ne veut pas de. constitution pour pouvoir avoir aucune entrave pour La Défense d’Israël
    Une cour suprême. bien plus tard s’installe silencieusement sans légitimité du peuple …
    Aujourd’hui devant les pouvoirs d’une commission de 11juges et leurs abus de pouvoir notamment par leur cooptation à vie et sans rendre de compte et légiférant selon leur idéologie de gauche , est-ce bien raisonnable de laisser cette cour suprême illégitime devant la menace très sérieuse existentielle d’israel avec le même objectif des musulmans et arabes: détruire
    Je trouve cette situation proche de1948 et 1967 et alors ne faut il pas à Israel un pouvoir fort selon des négociations entre israéliens
    Plus que jamais il faut à Israël hommes politiques courageux et prêts à arrêter les menaces qui planent sur Israël
    Dans ce cadre la cour suprême est un obstacle et seule une réforme judiciaire s’impose devant les ennemis arabes et
    de la gauche manipulée par des ONG à la solde de l’UE qui provoquent le chaos pour désunir le peuple d’Israël
    Je crois que un pipuvoir fout doit être donné au gouvernement actuel pour parer les menaces de l’Iran fu Hamas et du Hezbollah
    Nethanyau et son gouvernement quels que soient leurs défauts sont ceux qui peuvent arrêter ces menaces à condition que ces manifestations s’arrêtent et que les israéliens retrouvent leur unité

  4. Puisque l’auteur de cet article pathétique refuse aux juifs de France attachés à Israël et inquiets de la situation actuelle, le droit d’émettre des critiques sur la politique de ses dirigeants, je lui suggère de garder lui-même le silence pour montrer l’exemple.

  5. J’allais répondre un peu la même chose que Elias, mais j’ajouterai que ce n’est pas avec « l’esprit des lois » que l’ on juge, mais sur le fondement des lois éventuellement réunies en code pénal ou civil ou au regard de la constitution qui représente la norme juridique la plus élevée, même si parfois certaines normes internationales s’imposent. A défaut de constitution et de Conseil constitutionnel chargé de vérifier la conformité des loi à la Constitution, c’est au regard des lois votées par la Knesset que les tribunaux – qu’ils soient de première instance ou d’appel doivent juger, mais ce n’est pas à eux de décider si la loi est bonne ou pas, pouvoir que s’est arrogé la Cour suprême au fil du temps au point de se substituer au pouvoir législatif issu démocratiquement des élections. Et puisque la majorité peut changer à chaque élection, la loi peut aussi changer. Personne n’a le monopole du bien et du vrai, mais quand ceux qui ont gagné proposent de faire ce que ceux qui ont perdu ont longtemps prevu de faire, et que ces derniers, parce qu’ils ont perdu, reprochent à ceux qui ont gagné de le faire, c’est non seulement un problème de non respect de la démocratie mais aussi un problème de mauvaise foi.

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