Je m’appelle Bathshéva (Bethsabée en français), ce qui est le nom d’une variété de figue.
Nos Sages en ont profité pour dire que le roi David m’a cueillie comme une figue verte, sans attendre que je sois officiellement libre.
C’était pendant la guerre d’Israël contre les Ammonites. Tous les hommes étaient partis au combat, y compris mon mari Uria le Hittite (il est d’origine turque), un des généraux et des meilleurs guerriers du roi, sous le commandement du général en chef Yoav,
Le roi David était resté à Jérusalem. Il était en pleine crise existentielle et péchant par orgueil, avait demandé à Hashem de l’éprouver. Hashem l’a prévenu que l’épreuve concernerait les femmes mais ça ne l’a pas empêché de se précipiter dans le piège.
Quand il m’a vue aller au Mikvé* en prévision du retour de mon mari alors qu’on était en pleine guerre, il s’est dit « Voilà la mère de mon successeur ».
Il faut dire qu’il n’avait pas de chance avec ses garçons : Amnon*, Avshalom, Adoniahu…et que je suis « de très belle apparence » comme dit la Torah.
Quand les émissaires de David sont venus me chercher, je n’ai pas hésité longtemps.
Uria n’était heureux qu’à la guerre avec ses hommes, il ne jurait que par Yoav (qu’il appelait « mon maitre Yoav » devant le roi, ce qui est un crime de lèse-majesté), Uria me négligeait, il ne m’avait pas fait d’enfant, il m’avait donné le guett non pour que je ne sois pas agouna* s’il disparaissait au combat, mais pour que je n’épouse pas son frère s’il mourrait*.
Comment résister à David qui était beau comme Gregory Peck malgré ses 55 ans, avec les plus beaux yeux du monde !
Un guerrier auréolé de gloire qui avait vaincu le géant Goliath à 17 ans : ma mère m’avait raconté comment elle et ses copines chantaient à l’époque : « Saül a battu ses mille, Et David ses myriades ! »
Il écrivait des psaumes magnifiques, jouait divinement de la harpe, me jurait que je lui étais destinée depuis la création du monde et que nous étions la réincarnation d’’Adam et Eve!
Nous aurions dû attendre qu’Uria se fasse tuer au combat tout seul comme un grand, ce qui lui pendait au nez, et je me serai mariée en grande pompe, comme ma co épouse Abigaïl. Elle a eu plus de chance, elle a convaincu David de ne pas tuer Naval, son ivrogne de mari qui avait offensé le roi, et quand Naval est mort de sa cirrhose du foie, David l’a épousée, ému par sa diplomatie et ses bons conseils.
Puis ce qui devait arriver arriva, je suis tombée enceinte.
Alors David a demandé à Yoav de placer Uria en première ligne au combat et Uria s’est fait tuer.
A la fin du deuil, David m’a épousée, notre bébé est né.
Nathan le prophète est venu faire la morale à David : dans sa parabole, de figue je suis passée à chèvre… une histoire d’homme riche qui possédait plein de chèvres mais volait celle d’un pauvre.
David a tout de suite reconnu avoir fauté, Hashem lui a pardonné mais a pris notre bébé malgré les prières, les pleurs et le jeûne de David.
Quand ses serviteurs se sont étonnés qu’ensuite il se relève et mange, il a répondu : « Alors que l’enfant vivait, j’ai jeûné et pleuré, car je pensais : Qui sait? Le Seigneur pourra me faire la grâce de laisser vivre cet enfant. Maintenant qu’il est mort, pourquoi jeûnerais-je ? Puis-je le faire revivre ? J’irai le rejoindre, mais lui ne reviendra pas près de moi.*»
David a été très correct : malgré tous les reproches et les moqueries qu’il a subis suite à son péché avec moi, il ne m’a pas répudiée pour parfaire sa techouva à mes dépens : j’aurais fini ma vie seule et sans enfant, car une femme qui a connu le roi ne peut aller qu’avec le roi suivant.
David m’a réconfortée. Il a eu du mal à me convaincre qu’on continue à « se connaitre » mais finalement nous avons eu un fils qui a survécu que j’ai nommé Chlomo. Eh oui le célèbre roi Salomon, qui a réglé de -970 à – 931 av. EC !
J’avais très peur qu’il meure aussi mais Nathan le prophète a dit qu’on le surnommerait Yédidya, ce qui veut dire l’ami d’Hashem.
Le fait que Salomon ait construit le Temple, que le Messie descendra de David, Salomon et moi, ça prouve bien que je ne suis pas une femme adultère, ni David un vieux libidineux, ni Salomon un mamzer*!
David m’avait promis que mon fils lui succéderait, mais les courtisans ne supportaient pas l’idée que Salomon, l’enfant du scandale, devienne roi. Et les autres fils de David étaient soit morts comme Amnon et Avhsalom, soit peu intéressés par le trône, soit pas assez sages comme Adoniahou.
David était malade, les épreuves de sa vie et 40 ans de règne l’avaient épuisé, il avait toujours froid.
Alors sous prétexte de le réchauffer, ils ont collé dans son lit Avishag, une très jolie jeune fille, alors qu’il avait des épouses légitimes, trop âgées pour enfanter mais d‘une température corporelle tout à fait suffisante. Personne n’a jamais dit que j’avais les pieds glacés…
Avishag lui a demandé de l’épouser mais il a répondu qu’un roi ne pouvait avoir trop de femmes, alors elle a sous-entendu qu’il devenait pieux maintenant qu’il était trop vieux, mais il lui a démontré que lui et moi ça fonctionnait encore très bien merci beaucoup. Et Avishag a gardé son joli ventre plat.
Adoniahou a voulu prendre le pouvoir alors que David était mourant et Salomon adolescent, et beaucoup l’ont suivi.
Mais j’ai rappelé à David sa promesse, il a tenu parole et fait couronner Salomon juste avant de mourir.
Salomon a été magnanime et a promis à Adoniahou de lui laisser la vie sauve tant qu’il se conduirait bien.
Un jour, Adoniahou est venu me voir très respectueusement pour me demander un service : Belle-maman, s’il te plait, demande à Salomon de me donner le radiateur de papa car elle m’inspire une passion brulante.
Ce n’est peut-être pas un grand khaham (la Torah dit qu’il est beau mais ne dit rien sur sa sagesse), mais c’était malin de proposer de débarrasser mes appartements de cette gamine arrogante.
Je n’ai pas vu de mal, il me faisait de la peine le pauvre, il avait failli être roi.
Quand je suis allée lui présenter cette requête, Salomon s’est levé à ma rencontre, s’est prosterné devant moi, puis s’est assis sur son trône et m’a fait assoir à sa droite : c’est un garçon respectueux, je l’ai bien élevé !
Il a compris qu’Adoniahou voulait épouser une quasi épouse de David pour se rapprocher du trône si Salomon perdait la faveur d’Hashem.
Car seul le roi peut aller avec les épouses de l’ancien roi : Avhsalom l’avait bien compris : quand il a pris le pouvoir et que David était en fuite, il est allé ostensiblement avec ses concubines.
Alors Salomon, qui avait prévenu Adoniahou de se tenir tranquille, l’a sagement fait mettre à mort.
On dit que c’est grâce à moi qu’il est devenu l’homme le plus sage du monde.
J’étais quand même contrariée sur le choix d’une de ses 700 épouses (pour ses 300 concubines, je ne dis rien, il fait comme il veut) : vous vous plaignez quand votre fils épouse une non juive, le mien a épousé une idolâtre fille de Pharaon !
Nos Sages n’ont jamais mis en doute ma moralité, ils ont même loué ma bonne influence sur Salomon, comme quand il a eu un petit problème de boisson.
Vous voulez savoir comment je procédais ?
En bonne mère juive, je le culpabilisais : chaque fois qu’il se conduisait mal, je lui disais « Tout le monde sait que ton père, David, était un homme qui craignait Dieu, et maintenant, quand ils te verront pécher, ils diront tous que c’est ta mère qui t’a fait boire, autrement dit, tu te conduis ainsi parce que tu es mon fils.*»
David avait vu juste, j’étais bien la femme qu’il lui fallait comme mère de son successeur.
© Joëlle Galimidi
Notes
Mikvé : bain rituel
Agouna : femme dont on ne sait si le mari est mort ou vivant et qui ne peut se remarier
Lévirat : le frère d’un homme mort sans enfant doit épouser la veuve pour donner une descendance à son frère
Amnon a violé sa demi-sœur Tamar et s’est fait tuer par Avshalom
Techouva : repentir
Prophètes – נביאים ▼ Samuel 2 – שמואל ב ▼ Ch. 12 ▼ V. 22 ▼
Mamzer : enfant d’une femme adultère
Sanhedrin 70B
Sources:
Prophètes – Samuel 2
Prophètes – Rois 1
Rav David Uzan de Strasbourg
Sanhedrin 70B
Shabat 56A
Personnage du Tanakh – David & Batchéva : l’explication halakhique Rav Yehonathan GEFEN – © Torah-Box
Merci au groupe Limoudenou
© Joëlle Galimidi
Me Joëlle Galimidi, avocate depuis 35 ans, est associée du Cabinet d’avocats HM GALIMIDI, à Paris. Impliquée dans des associations juives (Hilel Campus), sensibilisée par la professeure Liliane Vana au problème des femmes en attente de Guett, Me Joëlle Galimidi participe à des ateliers et conférences sur le Guett.
« Tous les hommes étaient partis au combat, y compris mon mari Uria le Hittite (il est d’origine turque), un des généraux et des meilleurs guerriers du roi, sous le commandement du général en chef Yoav. » N’importe quoi. Les Hittites ne sont pas des Turcs, les turcs ne sont pas les descendants des Hittites. A l’époque, les Turcs eux-mêmes ne savent pas où ils étaient. Probablement au fin fond de l’Asie. J’imagine même qu’à l’époque dans la langue utilisée par les juifs, le mot « turc » n’existait pas. Je sais que les turcs s’imaginent être le sel de la terre et que Adam était turc mais on n’est pas obligé de les croire et de reprendre à notre compte leurs usurpations historiques.