Ma convalescence se passe entre des gros roupillons et des lectures ou re lectures…
“La France goy”, Christophe Donner sur les traces de l’antisémite Édouard Drumont.
Une fresque implacable qui raconte la construction de l’antisémitisme en France à la fin du XIXe siècle, et ses relents aujourd’hui.
“Drumont n’a pas inventé la haine des Juifs, mais il a fait mieux que souffler dessus, il en a créé la version moderne baptisée ‘antisémitisme'”. C’est ce tour de passe-passe que Christophe Donner va étudier dans son livre hors norme : la façon dont Édouard Drumont, l’auteur de La France Juive (1886), parvient à installer son délire paranoïaque dans le paysage médiatique et les discours politiques de la fin du XIXe siècle. Donner a construit sa réflexion à partir de la correspondance et des journaux d’un témoin privilégié de l’époque : son arrière-grand-père.
Jeune étudiant, cet Henri Gosset a rencontré Léon Daudet. Le fils d’Alphonse – plus connu pour ses Lettres de mon moulin que pour son amitié avec Drumont – va introduire dans les salons parisiens le provincial récemment monté à la capitale. Mais Donner ne se contente pas de raconter la vie de son ancêtre façon biopic. Son livre est une fresque, une somme de petits et de grands événements qu’il tricote avec une jubilation carnassière. Épluchant toutes les archives qu’il peut trouver, il recoupe, confronte, consigne et révèle l’image d’un pays qui a un sérieux problème.
L’auteur prolifique de “L’Empire de la morale” dont je suis un des personnages, (Grasset, Prix de Flore 2001) prend son temps. Sur plus de cinq cents pages, il décortique, s’attache aux petits détails, dévoile les forces en présence et analyse l’évolution du paysage politique jusqu’à la guerre de 1914. Il montre comment des superstitions médiévales sont remplacées par des arguments habillés d’un vocabulaire scientifique pour paraître irréfutables.
Le récit fait avancer les personnages-clés de cette histoire comme des pions sur un échiquier : ils se croisent, s’éloignent, se retrouvent, se percutent et rien ne se serait déroulé de la même façon sans eux, les théoriciens et leurs porte-voix, les initiateurs et leurs successeurs jusqu’à Charles Maurras. “Le roman de l’antisémitisme n’est rien qu’une saga familiale. Drumont en pater familias, Daudet en fils héritier”, écrit Donner. Il intervient parfois dans le texte, s’interroge, compare ses sources, met sous les yeux de ses lecteur·trices les horreurs rédigées ici et là. Oui, voilà, c’était bien comme cela qu’on parlait des juifs à l’époque. Et on assiste de page en page à ce désastre intellectuel, médiatique et politique qui plonge le pays dans l’abjection.
Pour Donner, il ne s’agit pas seulement de raconter mais de démontrer. Il met à jour les coulisses, les petits arrangements, les renvois d’ascenseur, l’ambition crasse, car tout est affaire de combines, d’argent, de réseaux. Il montre comment se joue ce qu’on appellerait aujourd’hui une opération de communication, quand Drumont crée un journal spécialisé dans les coups médiatiques pour assurer le service après-vente de La France juive. Et c’est justement dans les liens qu’on peut parfois établir avec le monde médiatique et politique d’aujourd’hui que le livre est vraiment passionnant.
L’Action française
Christophe Donner montre comment toute une série de préjugés sont sciemment installés, portés par des formules-chocs qui touchent la population car elles la victimisent – Drumont répète à longueur d’éditos que les Juifs sont “une bande d’accapareurs” –, alimentant une théorie du complot qui atteindra un sommet avec l’affaire Dreyfus et dont le pays ne s’est toujours pas débarrassé.
peu audibles et les anarchistes prennent les armes. La violence peu à peu s’empare de la France, avec la création en 1908 du quotidien L’Action française dont Léon Daudet est un membre actif, entouré de ses milices, “jeunes et athlétiques garçons, la plupart étudiants, tous antisémites, antirépublicains, et armés de cannes à bouts plombés”. Et le livre devient une épopée angoissante.
Mais c’est aussi le milieu littéraire parisien que Donner déchiquette, soulevant des questions qui interpellent encore aujourd’hui : comment un petit scribouillard comme Drumont peut-il se faire une place dans le salon de Daudet, “au milieu des plus grandes sommités littéraires du moment” ? Peut-être parce que ces bourgeois ont ainsi la délicieuse sensation de s’encanailler, suggère l’écrivain. Drumont qui, à côté de blagues antisémites débitées en privé pour amuser la galerie, écrit sur les conseils d’Alphonse Daudet et d’Edmond de Goncourt un livre nostalgique pour plaire à l’Académie française. Et reçoit un prix.
© Hubert Bouccara
Spécialiste de Kessel, Hubert Bouccara tient “La Rose de Java“, librairie hors-norme entièrement consacrée à l’œuvre de Gary et Kessel, et décrite par Denis Gombert comme “un lieu atypique, vrai petit coin de paradis parisien pour lecteurs passionnés”.
Je n’ai rien à reprocher sur le fond à cette excellente présentation dun ouvrage qui me paraît fort intéressant. Mais je me demande pourquoi l’auteur de l’article écrit « lecteur.trices (y aurait-il un seul lecteur pour de nombreuses lectrices ?) mais écrit une ligne en dessous « juifs » (sans J majuscule) et non « Jui.f.ve.s ». Soit il adopte cette écriture inclusive fondée sur une certaine idéologie et alors qu’il l’utilise systématiquement, soit il respecte les règles énoncées par l’Académie et je ne comprends cette exception. Dont acte
À propos d’Alphonse et de ses “Lettres de mon moulin”, le récit de son voyage en Algérie relève du pire antisémitisme.
Son fils avait de qui tenir…