Les parieurs ont du mal à se décider pour l’attribution de l’édition 2023 du PLI, le Prix de la Lâcheté et de l’Ignominie : la France, favori presque incontesté depuis 1967, a maintenant un challenger en l’Allemagne. Cette deuxième position menace-t-elle notre leadership sur le long terme ou fera-t-elle long feu comme la candidature italienne de 2000 ?
Éclairage journalistique : le contexte
En 2000, deux réservistes israéliens se sont égarés à Ramallah, capitale de Cisjordanie. En Israël, toute la population fait son service militaire : les garçons juifs, de 18 ans à 20 ans et six mois, les filles juives de 18 à 20 ans, les Arabes israéliens pour les mêmes durées, mais sur la base du volontariat, afin de leur éviter d’éventuels dilemmes.
Après la période d’active vient la réserve : un mois par an minimum pour les hommes, jusqu’à l’âge de 54 ans.
Autant dire que « deux réservistes » renvoie à des pâtissiers, des chirurgiens, des éboueurs, voire des chanteurs d’opéra ou de rap. Ces deux-là se nommaient Yosef Avrahami et Vadim Norzhich et pendant leur période de réserve, ils étaient chauffeurs.
C’est donc au volant d’une voiture qu’ils sont entrés par erreur à Ramallah, où après les avoir lynchés, la foule a traîné leurs cadavres derrière des voitures jusqu’au lieu où ce haut fait a été célébré.
On le sait parce qu’une équipe de télévision italienne a filmé la scène et l’a diffusée. Elle a fait le tour du monde. Ça, c’est l’ignominie palestinienne.
Mais le règlement du PLI est formel : le Prix de la Lâcheté et de l’Ignominie ne peut être attribué qu’à un journaliste, à un média ou à un officiel.
On y vient : suite à cette barbarie inhumaine, Riccardo Christiano, le responsable du bureau de la RAI (la France TV italienne) à Ramallah, s’est fendu d’un courrier publié par l’organe de l’Autorité palestinienne, Al Hayat al-Jedida. Le PLI n’existait pas, car à l’époque, on n’imaginait pas la possibilité d’une telle bassesse, ni d’une flagornerie aussi dégoulinante.
Verbatim in extenso :
« Précisions spéciales du représentant italien de la télévision officielle italienne .
Chers amis de Palestine, nous vous saluons et pensons qu’il est de notre devoir de vous informer des événements qui se sont déroulés à Ramallah le 12 octobre. C’est l’une des chaînes privées italiennes, notre concurrente, et non la chaîne de télévision italienne officielle RAI, qui a filmé les événements. Par la suite, la télévision israélienne a diffusé les images telles qu’elles avaient été filmées par la chaîne italienne, et le public a ainsi eu l’impression que c’était nous, c’est-à-dire la RAI, qui avions filmé ces images.
Nous tenons à souligner que les choses ne se sont pas passées de cette manière car nous avons toujours respecté et continuerons à respecter les procédures journalistiques de l’Autorité palestinienne pour le travail journalistique en Palestine et on nous fait confiance pour notre travail précis.
Nous vous remercions de votre confiance et vous pouvez être assurés que ce n’est pas notre façon de faire (c’est-à-dire que nous ne travaillons pas comme les autres chaînes de télévision). Nous ne faisons pas et ne ferons pas de telles choses.
Nous vous prions d’accepter nos meilleurs vœux.
Riccardo Cristiano »
23 ans plus tard, un incident mineur évoque les événements d’octobre 2000
Le scenario commence de la même façon : il y a toujours une voiture qui pénètre par inadvertance en territoire palestinien, mais cette fois-ci, ses passagers ne sont pas des réservistes israéliens. Ce sont des touristes allemands. En ballade du côté de Naplouse dans leur voiture de location, probablement intoxiqués par la presse occidentale qui les avait convaincus que « palestinien » est le synonyme de « philanthropique », pique, nique,
Ils allaient tout simplement,
Rouler, pauvres et chantant,
En tous chemins, en tous lieux,
Ne parlaient que du bon dieu,
D’palestiniens miséricordieux .
Les touristes allemands sont tombés de haut quand une volée de pierres a visé leur véhicule et que des barres à mine ont commencé à frapper la carrosserie pour tenter de les en sortir de force. Une vidéo postée par des médias palestiniens a diffusé des images de cet accueil un peu trop chaleureux. Les touristes, « qui voulaient seulement aller boire un café », ont finalement
réussi à prendre la fuite à pied. Ils sont sortis de la ville et leurs « blessures superficielles » ont été prises en charge par des médecins, a indiqué une source militaire.
Pour le PLI, la barre est haute
La barre est haute et les candidats se bousculent : de son côté, le porte-parole des services de sécurité palestiniens, Talal Dwekat, a déclaré que ses compatriotes n’ont « évidemment aucune hostilité à l’encontre d’un pays dont des citoyens visitent nos villes », mais que voulez-vous, mettez-vous à leur place, ils voient un véhicule « étranger », donc ils ont peur. Les Palestiniens sont des gens craintifs et accueillants, mais méfiants : ce véhicule à plaques israéliennes et au logo de Sixt, le loueur international, était peut-être utilisé par des membres des forces spéciales israéliennes infiltrés en territoire palestinien, « comme cela arrive fréquemment ».
Ben oui, les forces israéliennes, quand elles pénètrent discrètement dans les territoires ennemis, elles louent une voiture à plaques israéliennes, parce qu’elles n’ont pas de véhicules ad’hoc et qu’elles ne sont pas capables de se procurer une plaque d’immatriculation palestinienne ou d’en imiter une. C’est un argument un peu faible pour qui a vu la série Fauda, mais quand on fait du bruit avec sa bouche, il n’est pas nécessaire que cela fasse aussi du sens.
Côté victimes allemandes, en effet, on met la pédale douce, avec un ambassadeur, Steffen Seibert, qui a chaussé des sabots pointure 55 : « C’est révoltant et lâche » qu’une « foule attaque des touristes parce qu’ils n’aiment pas leur plaque d’immatriculation ». C’est complètement idiot : ce n’est pas les plaques, que les terror… oups que les malheureux agressés n’aimaient pas, c’est la couleur !
Voyant le PLI lui échapper, l’ambassadeur en a remis une couche : « Aux détracteurs de mon tweet : Nous connaissons la douleur des Palestiniens. Nous soutenons leurs aspirations pacifiques à un État. Nous connaissons la grande hospitalité palestinienne. Mais hier, deux touristes étaient en grave danger car ils ont été poursuivis par une foule et cela ne peut jamais être justifié. »
En anglais, lèche-cul se dit « brown nose », nez marron. Les Français privilégient l’acte, les anglo-saxons le résultat. En hébreu, on dit « sabon », savon, moins imagé, quoique…
Espérons que l’ambassadeur allemand ne se prendra pas un savon de sa hiérarchie pour son manque de créativité : il est en pôle position pour le Prix de la Lâcheté et de l’Ignominie !
© Liliane Messika
Écrivain, Essayiste, conférencière, traductrice, Liliane Messika est auteur de plus de 30 ouvrages, dont plusieurs sur les conflits du Moyen-Orient. Liliane Messika est membre du comité de rédaction de Menora.info.
A lire: « Lettre ouverte aux antisionistes de droite, de gauche et des autres galaxies ». Liliane Messika. Éditeur : Éditions de l’Histoire
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