Michel Dray. Ce sont tous des journaux de droite, ça, dit ma concierge. « Non madame. Ce sont tout simplement des journaux »

                                                                       

                  Dans un récent papier, j’ai accusé, sans le vouloir, les journalistes en appelant ironiquement « Messieurs-je-sais-tou ».

Aussi, avant d’aller plus loin, je prie les lecteurs d’excuser une certaine tendance à l’impulsivité qui parfois me conduit à des malentendus. C’est vrai qu’il suffit que je lise dans « Le Monde » ou bien dans quelque média woke (« Libération » par exemple) qu’Israël est un Etat fasciste pour que mon sang tourne au vinaigre au point, qu’ivre de colère, je n’ai plus la sagesse de séparer le grain de l’ivraie. Il fallait donc que ces excuses fussent faites, et ainsi, entrer dans le vif du sujet.

                  Dans ‘Illusions perdues », Balzac dresse un tableau implacable, cannibale même du journalisme parisien des années 1830. La description est si puissante, les personnages si forts en gueule qu’on a l’impression que la plume du génial auteur de la « Comédie Humaine » est encore tout imprégnée d’encre tant les vérités qu’il décrit témoignent d’une actualité criante.

Et quand il fait dire à l’un de ses personnages  : « Sachez, mon cher Lucien, (1) que votre lutte sera sans trêve  si vous avez du talent, car votre meilleure chance serait de ne pas en avoir. L’autorité de votre conscience, aujourd’hui pure, fléchira devant ceux à qui vous verrez votre succès entre les mains », Balzac a exploré un monde loin d’être mort.

Albert Londres, exemple-même de ce que doit être un journaliste, a pénétré mille mondes, dénoncé bien avant l’heure les folies bolchéviques (2). De même il n’a jamais hésité à mettre son honneur en jeu quand, à la suite de plusieurs de ses reportages qui le mèneront des quartiers misérables de Londres en Palestine, alors sous mandat britannique, il dénonce sans détour l’hostilité arabe à l’égard des immigrants juifs. Mais il est surtout connu pour avoir dès 1923 écrit toute une série d’articles sur la Guyane et le bagne qu’elle abrite. Ses articles permettront aux députés d’abolir le bagne.

Londres, parce qu’il est journaliste, n’a pas jugé ni le bagnard ni l’Etat qui organise le bagne ni le criminel enfermé. Il a simplement observé son monde et s’est élevé contre la barbarie. C’est ainsi qu’un journaliste se grandit. 

                  Ce journalisme-là existe encore. Mais, comme dit Balzac, la lutte sera sans trêve pour ceux qui ont du talent. Les chaînes d’information continue passent en boucle des informations qui, à la longue, finissent par ne plus être écoutées. Trop d’information tue l’information comme on dit. Quant à la presse papier, elle coulerait sans une aide substantielle de l’Etat refusée d’ailleurs à la presse numérique pour ne citer que celle-là. D’observateur de la société, le journaliste (quand il n’a pas de talent) devient un vendeur de papier à la sauvette.  « Je ne vous demande pas d’être intelligents, je vous demande d’avoir l’œil », écrit Balzac.  Autrement dit on ne demande plus au journaliste d’être un ciseleur de mot, mais de trouver le titre le plus accrocheur, car tout le monde sait qu’un lecteur sur dix se contente de lire un titre à défaut de réfléchir sur son contenu. 

                  Dans les rédactions, il faut suivre une « ligne éditoriale ». La « clause de conscience » c’est un truc pour la galerie. Ce qui importe c’est que le lecteur trouve ce qu’il a envie de lire. Alors, à gauche toute pour les lecteurs de gauche, à droite toute pour les lecteurs de droite ; bref tout le monde trouve le sandwich qu’il aime. « Coulez Israël », lance le rédac-chef, et forcément on coupe les machines et fait couler le navire. Cette presse est une crevasse intellectuelle.

Si tu n’as pas de talent, reste dans ces salles de rédaction obtuses, étriquées et sectaires. Mais, en revanche, comme dit Balzac, si tu as du talent, accroche-toi mon bonhomme parce qu’il existe encore des journaux pour qui ce qui compte n’est pas de juger mais de « dire », pour qui ce que qui importe n’est pas seulement de dénoncer mais de prouver ce qu’il faut dénoncer.

Cette presse-là, je la connais pour parfois y avoir écrit et, sans citer « Tribune Juive » (parce que franchement ça serait trop facile), il y des revues comme « Front Populaire » qui non seulement sont admirablement bien écrites, mais accueillent des vrais journalistes pour qui avoir du talent c’est ne pas vouloir passer à « France 2 », « ARTE » ou « France3 ».

Ce sont tous des journaux de droite, ça, dit ma concierge. Ce à quoi je lui réponds: Non madame. Ce sont tout simplement des journaux. 

Des vrais journaux, il y en a :  « Marianne », « Le Point », « L’Express » ou encore « Le Figaro » , sans oublier « Atlantico ». Mais, comme dit ma concierge, ce tous des journaux de droite ça ! Ce à quoi je lui réponds: Non madame. Ce sont tout simplement des journaux. 

                  Un jour viendra où la presse télévisée sera privatisée et ce jour-là, ceux qui qui n’ont pas de talent ne pourront plus compter sur leur fiche de paie pour vivre mais sur leurs dictionnaires pour travailler.  

                  J’aime les journalistes de talent. Ils me font penser à un Brel ou un Brassens qui ont bouffé de la vache enragée et qu’aujourd’hui aucun producteur ne se presserait d’engager.  

                  Alors à ces journalistes, ces vrais ciseleurs de mots et chercheurs d’idées, qu’ils acceptent une fois de plus mes excuses, car ce serait les insulter que de les comparer aux journaleux du « Monde » ou de « Libération » pour ne citer que les plus navrants d’entre tous. 

                                                                                         © Michel Dray 

Notes

  • 1. « Illusion Perdues ». Le personnage s’adresse à Lucien de Rubempré qui croit encore que la vie est long fleuve tranquille. 
  • 2. Toujours dans « Illusions Perdues ». A voir le film tiré du chef d’œuvre et Depardieu dans le rôle de l’imprimeur Didot. Même Balzac aurait applaudi dans la salle. 

Historien, Analyste en géopolitique méditerranéenneMichel Dray travaille depuis de longues années avec des universités, des écrivains, des acteurs de la société civile et des chercheurs dans le cadre d’un Think Thank hors des Réseaux sociaux sur les analyses géopolitiques en Méditerranée. Il fut en 2021 Président du Jury du “Festival International de Cinéma et Mémoire commune” au Maroc.      


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3 Comments

  1. Non Mr Dray, les journaux que vous citez ne sont pas  » de droite » , ils sont un poil moins alignés sur la doxa officielle que certains autres , mais n en sont pas moins des vehicules efficaçes de la bienpensance obligatoire en France si l on pretend donner une parole publique .
    D ailleurs c est quoi la gauche ou la droite ?

    Liberation ou l immonde sont des organes de propagande au service des possedants et patrons de ce pays , et il faudrait reflechir aux etranges liens qui unissent les nobliaux du quai d orsay , les grands patrons français et cette cohorte de  » journalistes  » si serviles et pour 95% encartés a gauche …..

  2. On voit bien encore le confusionnisme à l’œuvre dans les esprits. Liberation et Le Monde journaux de gauche…comme Je suis partout ? Comme Rivarol ?…Aux yeux de mes contemporains Hitler et Mussolini étaient donc de gauche, et De Gaulle ou Jaures de droite ou d’extrême droite ?… Etre un fasciste raciste, antisémite et identitaire (qui plus est favorabla à la guerre et la destruction du système social) serait ce donc la Nouvelle définition de la gauche ? c’est ce qui ressort des inepties délirantes qu’on peut lire ou entendre à peu près en permanence ! Mes contemporains 🤓 ont l’esprit un peu confus , dirons-nous…
    Mais peut-on parler de « journaux » ?…Peut-on parler de « journalisme » à une époque où non seulement les sujets les plus graves sont presque tous tabous et où même les mots servant à désigner le réel sont proscrits ?
    Le journalisme (en dehors du net en tout cas) n’existe pas : il n’existe que des organes de propagande. Certains étant moins pires que d’autres, voilà tout.

  3. Marianne journal de droite ???…On touche le fond de la débilité. Quand on naît idiot, peu importe que l’on devienne concierge, journaliste ou ministre : on le reste pour la vie.
    (Et ça marche dans l’autre sens aussi)

    J’ai lu les Illusions perdues de Balzac. Je vois bien le rapport entre ce qu’il décrivait et la propagande médiatique d’aujourd’hui, mais je vois d’autant moins le rapport entre Liberation/Le Monde et la « gauche » que leurs lecteurs sont presque tous des bobos, des bourgeois…Pas vraiment la cause du peuple !

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