Grand Entretien: Alexandre Devecchio reçoit Florence Bergeaud-Blackler
C’est une enquête qui fera référence et que nos dirigeants politiques devraient lire avec attention. Le Frérisme et ses réseaux de Florence Bergeaud-Blackler est une somme impressionnante dans laquelle l’anthropologue au CNRS décrypte le fonctionnement du mouvement islamiste des Frères musulmans.
La chercheuse explore ses racines historiques et ses fondements doctrinaux, mais surtout met en lumièrela manière dont il s’est internationalisé, faisant de l’Europe sa terre d’élection. Préférant la duplicité à la confrontation, davantage stratèges que théologiens, les Frères ont su étendre leur emprise sur les institutions européennes par le biais d’une myriade d’associations “antiracistes” et par la subversion des “droits de l’homme”.
Leur but final, souligne Florence Bergeaud-Blackler, n’est autre que l’accomplissement de la prophétie califale, c’est-à-dire l’avènement d’une société islamique mondiale, dont l’Europe, pourrait être l’épicentre.
LE FIGARO. – Dans quel contexte historique et politique, la confrérie des Frères musulmans est-elle née ?
Florence BERGEAUD-BLACKLER. – On le sait peu mais, dans le monde musulman, la chute du califat ottoman en 1924 s’est accompagnée presque immédiatement d’une ferveur sans précédent pour laréunification de l’umma (la nation musulmane). Quatre années après l’abolition du califat par le dirigeantautoritaire Atatürk, l’Égyptien Hassan el-Banna crée la confrérie des Frères musulmans avec pour mission de mettre en marche une armée de missionnaires qui chassera les colons européens, réinstaurera l’islam au moyen de l’islam, et soumettra le monde musulman à la seule loi de Dieu.
Naît de cette époque la grande fracture entre Islam et Occident qui s’est traduite plus tard par deux géographies mentales chez les musulmans : celle dominante et imposée des pays membres de l’ONUavec sa “déclaration universelle des droits de l’homme” et celle des pays de l’Organisation de la conférence islamique (OCI) avec sa “déclaration des droits de l’homme en islam”, donc de l’humanité sous la gouvernance de Dieu.
En quoi le frérisme se distingue-t-il d’autres mouvements islamistes comme le salafisme ? Alors que dans de nombreux pays, il est classé comme mouvement terroriste, en Europe, le frérisme est souvent considéré comme non violent et plus modéré que d’autres courants islamistes ? Est-ce réellement le cas ? Comment et quand le mouvement s’est-il internationalisé ?
Dans ce livre, j’ai voulu mettre en évidence le fait que le frérisme n’est pas un courant religieux, mais un “système d’action” qui a pour mission de conduire toutes les tendances religieuses djihadistes, salafistes orthopraxiques et modernistes vers l’accomplissement de la prophétie califale. C’est un dispositif stratégique dont l’unique but est de mettre en marche, guider, encadrer le « mouvement islamique »vers la société islamique mondiale et universelle, qui est pour lui le seul futur possible. Comprenons bien, le visage de cette société islamique est plus proche de la riche société moderne de Dubaï que du désert de Raqqa. Les Frères sont des stratèges et des théocrates davantage que des théologiens.
Je l’appelle frérisme pour le distinguer de l’islamisme porté par des partis qui tentent de prendre le pouvoir dans les pays musulmans. Le frérisme est un mouvement mondialisé et universaliste qui ne reconnaît aucune autre frontière que celle de l’umma (communauté des croyants, nation islamique) séparé de la djâhilîya (le monde anté-musulman, non encore musulman, qui est celui de l’ignorance). Le frérisme contourne le politique et passe plutôt par l’économie et la culture, à l’image du « monde du halal » avec ses burkinis, ses voyages entre musulmans, ses banques islamiques, ses médias chariacompatibles (cf. mon précédent ouvrage Le Marché halal ou l’invention d’une tradition, Seuil).
Cette variante mondialiste de l’islamisme est née en dehors du dar al-islam (territoire de l’islam) sur les campus américains et européens dès les années 1960. C’est en vivant dans le dar al-arb (territoire deguerre), que les étudiants musulmans exilés en Europe ont réalisé qu’ils étaient libres de penser et d’accomplir le plan de Dieu, plus efficacement qu’en terre musulmane où ils étaient pourchassés par les pouvoirs en place. Ils ont adapté leurs moyens à cette nouvelle terre rebaptisée dar al-ahd (terre de contrat) sorte de statut temporaire de ce qui devra à terme devenir dar al-islam. La conquête guerrièreétant peu appropriée, les Frères utilisent la ruse, la dissimulation, dans une société européenne qui, aucontraire, se dévoue à la transparence, et qui vénère la diversité et l’inclusivité.
Les Frères se servent de la force de leurs ennemis contre eux-mêmes. Ils ne rejettent pas la violence par principe, ils la rejettent quand elle est contreproductive par rapport à leur dessein. Quand la violence est perpétrée par des djihadistes, ils la condamnent du bout des lèvres, et surtout détournent l’émotion suscitée en agitant le risque de vengeance. Ils font taire la révolte qui se mue alors en commémoration collective destinée à clore le débat. Ils paralysent ainsi toute réflexion et action politique par avance taxées d’islamophobes.
Vous expliquez que les Frères musulmans ont choisi l’Europe comme terre d’élection. Pourquoi ? Les démocraties ont-elles plus de difficultés à contrer l’influence des islamistes ?
Les Frères européens évitent les confrontations directes avec les États. “Musulmans de France” (ex-UOIF) a toujours évité de se fâcher avec l’État français préférant la duplicité à la confrontation. Ils ne se constituent généralement pas en parti mais utilisent ce que j’appelle des “partis coucous” en référence à cet oiseau qui fait couver ses œufs dans le nid d’autres espèces. Au politique, ils préfèrent, du moins pour le moment, l’influence par la culture et l’économie, le soft power. Les institutions “extranationales” faibles politiquement mais fortes économiquement et culturellement comme l’Union européenne, le Conseil de l’Europe ou l’ONU et ses satellites les intéressent davantage car ils peuvent y exercer leur influence sans se heurter à l’État avec ses contraintes juridiques et politiques.
Ils sont très à l’aise dans les milieux des lobbys à Bruxelles, où l’on se berce de discours de paix et de vivre-ensemble. Bien sûr je parle de l’apparence car la capitale européenne est aussi le lieu d’une corruption souterraine endémique liée à la pression diplomatique et à la présence de filières mafieuses comme l’a montré le dernier « Qatargate ».
Les Frères musulmans ont, selon vous, réussi à s’infiltrer au cœur des institutions européennes. À travers quelles structures ? Sont-ils financés par l’Union européenne elle-même et à quelle hauteur ?
Les organisations des Frères musulmans ont été des interlocutrices directes de la Commission européenne et du Conseil de l’Europe pendant plus d’une décennie à partir du milieu des années 2000, jusqu’à ce que les attentats de 2015 braquent les projecteurs sur eux. Ils abandonnent alors leur lobbying trop direct de leur projet d’Euro-islam qui consiste non pas à adapter l’islam aux valeurs européennes mais à modifier le regard européen sur l’islam. Ils continuent d’agir en se drapant dans la vertueuse lutte contre le racisme et l’islamophobie, et en s’associant à des associations de couverture, juives, LGBTQI+, roms etc. Des organisations caritatives comme Islamic Relief ont reçu des dizaines de millions d’euros de la Commission européenne. La fédération d’associations Femyso a bénéficié de 288 000 euros de la Commission sans compter les apports complémentaires que permettent de lever le logo bleu étoilé. Au sein de l’Enar (European NetworkAgainst Racism) bénéficiaire de 23 millions d’euros de la Commission, les Frères imposent leur définition du problème public “islamophobie”, ses solutions et son agenda au Coordinateur à la lutte contre la haine anti-musulman. Ce poste dont on ignore le coût a été créé par la Commission européenne en décembre 2015. La Française Marion Lalisse vient d’y être affectée par la commissaire à l’Égalité, Helena Dalli, dont on connaît la sympathie pour la Femyso.
À partir du 20 mars prochain aura lieu au Parlement européen la Semaine de la lutte contre le racisme et pour la diversité. Cet événement a notamment été sponsorisé par l’Enar, association longtemps dirigée par un membre des Frères musulmans. Le député européen LR, François-XavierBellamy y voit un symptôme, parmi d’autres, de “l’infiltration de nos institutions par la compromission avec l’islam politique”…
Cette information d’abord révélée par des lanceurs d’alerte sur un réseau social a été reprise par le députéLR-PPE FX Bellamy qui s’est ému à juste titre de la présence d’Enar. Le député connaît les accointances fréristes de ce réseau antiraciste, mais sa marge de manœuvre est limitée car même son groupe parlementaire soutient l’événement (le logo du PPE est présent sur l’affiche de l’événement). De façon générale ses interventions sont jugées politiques par ses homologues européens qui considèrent son étiquette (la droite PPE) et ses biais culturels de français (trop) attaché à la laïcité. Donc cela n’entraîne pas de véritable changement politique.
Le député LR-PPE a certes réussi à faire voter un amendement demandant que les institutions de l’UE ne publient rien qui pourrait être assimilé à une promotion du hidjab, mais il doit repartir au front chaque foisque des lanceurs d’alerte soulèvent de nouveaux lièvres. La Commission se défend de ne pas avoir vu, su oupu… et quelques mois après ça recommence. Quant au Conseil de l’Europe qui rappelons-le inclut la Turquie, il continue de financer et promouvoir les associations fréristes au nom de la lutte contre la haine, les discriminations envers les minorités et les femmes.
Dans votre introduction, vous rappelez que dès les années 1990 les Frères musulmans ont commencé à utiliser l’accusation de “racisme” et d'”islamophobie”, ainsi que la lutte contre l’extrême droite, pour faire taire toute contradiction. Trente ans plus tard, cette stratégie a-t-elle porté ses fruits et fonctionne-t-elle toujours ?
Rappelons que la charte initiale de l’OCI (1972) s’engage à “protéger et défendre la véritable imagede l’islam, lutter contre la diffamation de l’islam”. Je ne sais pas si les Frères ont réaliséimmédiatement les avantages qu’ils pouvaient tirer de la lutte contre l’islamophobie, mais force est de constater qu’ils ont su en tirer tous les bénéfices. Ce programme a en effet abouti, primo, à faire taire toute critique de l’islam et de l’islamisme, imposer le contrôle du langage et culpabiliser l’ensemble de la société. Si je prononce tel mot suis-jeraciste ou islamophobe ? Secundo, à empêcher l’assimilation de l’islam et des musulmans à l’environnement en renforçant l’allégeance à l’umma (la communauté ou la nation musulmane).
Celui qui veut réformer l’islam ou même en sortir est accusé de jouer le jeu des “islamophobes” et de provoquer la fitna (la division de la communauté qui est perçue comme une très grande faute). Tertio, à proposer au fil des rapports internationaux sur l'”islamophobie structurelle”, des programmes de rééducation du “regard occidental” dans tous les secteurs : médias, éducation, université et notamment dans les institutions régaliennes : armée, police, justice pour qu’elles portent une vision tolérante et positive de l’islam y compris sa version fondamentaliste.
Qui sont les alliés des Frères musulmans ? L’expression “islamo-gauchistes” vous semble-t-elle pertinente ? Sont-ils les idiots utiles des islamistes ou leurs complices ?
Les partis coucous se trouvent plutôt à gauche, mais des élus de droite sont tentés par des alliances avec des Frères quand la situation électorale l’exige comme on l’a vu à Valence. L'”islamo-gauchisme” se nourrit du mythe victimaire qui maquille les coups de boutoir islamistes en légitime défense historique contre la colonisation. Les analyses de Pierre-André Taguieff (dans Liaisons dangereuses, Hermann 2021), l’auteur de cette expression, permettent de comprendre les ressorts complexes du victimisme qui continue de produire ses effets bien qu’il ait étémaintes fois dénoncé.
Beaucoup d’observateurs ont souvent considéré les femmes comme les principales victimes de l’islamisme, ce qui est en partie le cas. Cependant, vous montrez que les femmes sont aussi parmi les principales actrices de la stratégie frériste en Europe. Quel rôle jouent-elles ?
La femme musulmane, vue comme doublement victime d’être femme et musulmane, est projetée par les Européens en antithèse pacifique, bienveillante et moderne de l’homme djihadiste violent et archaïque. À ce titre les sœurs musulmanes qui arborent des voiles colorés et modernes bénéficient d’avantages en termes d’image dans la presse, de ressources économiques et politiques pour leurs associations. La Femyso les met systématiquement en avant dans sa communication. Les sœurs jouent un rôle de premier plan dans la réislamisation frériste. Le “mouvement islamique” tel que le prophétise Qaradawi accorde à la femme un rôle d’éducatrice des enfants de l’umma. Elle doit être à ce titre éduquée et capable de prendre des décisions. Le penseur frériste à qui on doit le “féminisme islamique” explicité par Tariq Ramadan n’a pas de mots assez durs pour ses coreligionnaires qui veulent enfermer les femmes dans l’ignorance.
Comment combattre cette idéologie et pas seulement ses conséquences ?
Pour combattre une telle idéologie dont l’impact n’est pas simplement cultuel mais sociétal, il faut dans un premier temps la connaître et la comprendre. Puis il faut que nous sachions si nous voulons vraiment la combattre et la placer parmi les priorités dans notre agenda politique, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui malgré l’inquiétude grandissante des Français dans lesquels j’inclus les musulmans, qui sont leurs premières cibles. Dans L’Art de la guerre, le maître stratège chinois Sun Tse a écrit: “Sois subtil jusqu’à l’invisible ; sois mystérieux jusqu’à l’inaudible ; alors tu pourras maîtriser le destin de tes adversaires””. Les Frères ont manifestement entendu ce message. Si nous le comprenons,nous pourrons déjouer leurs stratégies, les rendrons visibles et audibles et nous serons prêts et armés intellectuellement pour entraver leur dessein. Ce livre, je l’ai écrit pour ça.
Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue au CNRS, est l’auteur de l’ouvrage Le Frérisme et ses réseaux.
FBB semble attribuer ce soutien à une sorte de naïveté des représentants de nos prétendues “démocraties” (qui n’ont plus rien de démocratique, mais passons…) alors qu’il s’agit en réalité d’une réelle promiscuité idéologique.
Agiter l’épouvantail d’une “islamophobie” et d’une extrême droite imaginaires consiste depuis des années si ce n’est des décennies à favoriser l’antisémitisme, la christianophobie et l’extrême droite véritable représentée par ces Frèristes et nos régimes collaborationnistes. C’est aussi visible qu’un rhinocéros dans une pièce mais il est plus rassurant de croire à une faiblesse, une lâcheté ou une simple incompétence de nos dirigeants et institutions. C’est l’erreur fondamentale de tous ceux (majoritaires) parlant encore de “démocratie” ou d'”État de droit” depuis longtemps révolus et refusant de voir la réalité en face.
FBB semble croire que le problème est issu de failles dans le système or en réalité ces failles n’ont pas besoin d’exister… puisque le système lui-même est une faille (et une faillite) gigantesque.
L alliance strategique dite ” eurabia” expliquée par Bat yeor est a l origine de la montée des freres musulmans ainsi que de toutes les tendances islamiques en europe .
Il me parait illusoire de lutter contre un phénomène voulu et encouragé par les possedants qui controlent l UE .
La seule action qui pourrait , a mon sens , avoir de la valeur serait d essayer d expliquer les raisons d une telle alliance (UE /OCI)
Les grands capitalistes occidentaux ont bati leur prosperité depuis 50 ans sur ce pacte occulte mais bien present , ils en tirent d enormes benefices , les perdants sont les peuples européens qui voient leurs classes moyennes broyées par cette concurrence humaine a bas prix , et les identités de chaque pays qui , de toute maniere , n interressent plus nos maitres , car ceux cis , a l image du fantoche de l elysée, visent l aplanissement des particularité et la fabrication d un nouveau matériau humain centré autour du simple ” ouvrier /consommateur ” .