Michel Dray. « Amos Oz, Pourquoi es-tu parti si vite. Tu manques à Israël »

                          

      

Le « Malgré tout, Restez calmes » d’Yitzhak Ben Zvi

            A la différence du mot « juif » dont la monosyllabe claque comme une profession de foi, une conviction profonde et une raison d’être, le terme « israélite » traîne ses syllabes comme si on mâchait quelque chose de rance : idéal pour antisémite « éduqué », qui, en vous traitant d’israélite, garde en lui cette envie de vous cracher à la gueule un « sale juif » qui au moins aurait eu le mérite d’être clair. J’ai cru pendant longtemps qu’il existait un « monde » juif, qu’un Moïshé de Cracovie ressemblait trait pour trait à un Moïse de Meknès.  Eh bien pas du tout. Il n’y a pas de « monde » juif, pas plus qu’il y a de « monde » arabe. Les Juifs sont un peuple là où les Arabes sont des nations islamisées au fil du temps. Moi qui suis natif du Maroc, je sais que ce pays dont la dynastie remonte au XVIIème siècle est d’une stabilité qui offre à l’islam un base nationale et pas tribale comme en Algérie par exemple, avec comme conséquence pour le Maroc l’acceptation de l’antériorité des Juifs et pour l’Algérie un véritable ethnocide allant jusqu’à gommer la présence juive dans les manuels scolaires. (1)

            Je n’étais pas né lors de la création de l’Etat d’Israël, mais quand j’ai pu comprendre, j’ai eu le sentiment qu’avec la déclaration historique prononcée par David Ben Gourion le 14 mai 1948 (2) le peuple retrouvait enfin le « chemin de la maison ». Mais il y a eu les guerres, l’ambition haineuse de Nasser et l’exode massif de 1967 où les communautés juives ont été quasiment expulsées de la terre de leurs ancêtres comme en Tunisie. Et puis il y a eu la tuerie de Münich.

            Faut-il que je continue ? 

            Et puis il y a cette gauche qui, à force de n’aimer les Juifs que lorsqu’ils sont exterminés dans les camps de la mort (3) mais certainement pas les Israéliens qui combattent debout pour leur liberté, cette gauche-là au sujet de laquelle il suffit de lire Taguieff ou Tarnero (4) pour saisir à quel point ces  « humanistes de la main gauche », ces enfants naturels d’une gauche adultère, cette gauche-caviar qui ne cesse de caviarder sur Israël, a depuis bien longtemps vendu son âme aux islamistes pour cause de clientélisme électoral.   Car Israël n’est pas un pays comme un autre : cet État comme tout juif qui se respecte est un voleur de terres. Pourtant on sait que la vérité est ailleurs. Les fellahs ont vendu (et à très bon prix), et leurs terres, et les malheureux arabes qu’ils exploitaient. Nasser pouvait bien se frotter les mains en incitant ces pauvres hères, paysans tout juste sortis de l’Empire Ottoman à devenir  « soudainement »  des Palestiniens, entité créée de toute pièce aux seules fins des politiques intérieures des nations arabes (5).

            A la fin du XIXème siècle, si chaque anticlérical avait son curé à sa table, chaque antisémite y avait aussi son israélite. Puis il y eut la Seconde Guerre, la revanche des anti-dreyfusards, fanatiques de la Révolution Nationale et surtout cette exposition tristement célèbre : « Apprenez à reconnaître un Juif ». Cet antisémitisme officiel, étatique, totalement décomplexé fait qu’on peut dire dès 1940 « sale Juif » sans se faire traiter de mauvais Français. Aujourd’hui, la presse, jadis quatrième pouvoir devenu premier pouvoir de désinformation, a modifié les règles. On ne doit plus dire « Juif » mais « sioniste ». 

            Les mots changent mais pas l’intention.  

            Chers lecteurs, hormis quelques mauvais coucheurs, je pense que nous sommes, jusqu’à preuve du contraire, sur la même longueur d’ondes. Ce qui va suivre risque de susciter bien des remous. Tant mieux après tout. Si j’ai fait avec tout ce long voyage dans le temps sémantique depuis l’israélite du XIXème siècle jusqu’au sioniste du XXIème, c’est pour vous dire que nous ne manquerons jamais d’ennemis, et que, si à Dieu ne plaise, ils venaient à se faire rares, la loi visant le rétablissement de la peine de mort pour les terroristes viendra combler le vide. Je ne suis pas religieux et je dois dire que depuis aujourd’hui je suis heureux de ne pas avoir été touché par cette disgrâce. Mais qu’on regarde les choses en face pour une fois. Israël est largement inspiré du droit anglais comme on le sait. En 1954 l’abolition de la peine de mort pour meurtre est votée. Jusque-là elle n’était applicable que pour des crimes en cas de guerre. Entre 1948 (en pleine guerre israélo-arabe) et aujourd’hui deux exécutions ont été effectuées. La première sur un innocent, un officier, Meir Tobianski, faussement accusé d’espionnage passé par les armes mais réhabilité … à titre posthume. Eichmann en 1962.

Certains me diront (et ils auront raison) que nous sommes en guerre, mais c’est une guerre contre le fanatisme religieux. Déjà on voit poindre des ultra-orthodoxes prêts à en découdre selon le vieux principe du « œil pour œil, dent pour dent ». Bref, une loi qui nous ramènera à l’antiquité et qui fera le miel des Islamistes voyant se fissurer la société israélienne en laissant faire le travail par leurs idiots particulièrement utiles que sont les ultra-religieux. Ne vous faites aucune illusion. A ce petit jeu-là, les islamistes ne seront jamais perdants.  

            Je rends hommage à Sarah Cattan d’avoir publié un beau texte génialement intitulé « Pas d’exception pour la peine de mort » en y ajoutant le texte de Badinter que tout Français, que dis-je, tout Français ! tout homme fier de faire son métier d’homme devrait avoir chez lui. Je suis contre la peine de mort parce que c’est une régression et morale et civilisationnelle. Je suis contre la peine de mort parce qu’elle ne changera rien à la question israélo-palestinienne. Le Cabinet contre les experts, les juristes, les philosophes ; bref nous avons en Israël le gouvernement le plus autiste du monde. 

            Méditez sur cette phrase écrite en 1936 :  « Malgré tout, restez calme ! Le sens profond de cette injonction est un antidote au microbe du désespoir dont notre atmosphère est emplie, un revêtement intérieur de courage à la place du découragement et de la faiblesse qui risque de nous envahir ». Yitzhak Ben Zvi (6)

            Pour conclure cet article permettez-moi de citer une blague qu’Amos Oz, l’un des plus grands écrivains israéliens, aimait à raconter: (7) »Un jour Dieu, s’ennuyant là-haut où personne ne venait vraiment le consulter sinon pour lui demander telle ou telle guérison, ou telle ou telle chance au loto, décida de descendre sur terre et d’aller faire un tour dans un bistrot de Jérusalem. L’établissement était bondé. Un homme s’attabla à côté de lui et dit :

            — Vous êtes Dieu, n’est-ce pas ? 

            — Oui, mon fils. 

            — Est-ce que je peux vous poser une question ? 

            — Oui, mon fils. 

            — Quelle est la vraie foi, celle des Juifs, des Chrétiens, des Musulmans ? 

            — Tout le monde croit que je m’intéresse aux religions. Et bien ce n’est pas vrai. Seuls les hommes m’importent. 

            — Parce que vous trouvez que les guerres font le bonheur des hommes ? 

            — J’ai dit que les hommes m’importaient, je n’ai pas dit qu’ils n’étaient pas cons. 

© Michel Dray

Notes

  • Cf les différents ouvrages de Georges Bensoussan, notamment son dernier opus, dans la collection Que Sais-je: « La genèse du conflit israélo-arabe ». 
  • David Joseph Grun prend le nom de David Ben Gourion en souvenir d’un combattant juif, Joseph Ben Gourion, qui lutta contre les Romains (Flavius Joseph, « La guerre des Juifs »  )
  • Encore ce 28 février où au 28 mn on attaque Israël dans sa lutte contre le Hamas mais quelques minutes plus tard à 20h50 on s’apitoie sur les Juifs victimes du nazisme.  
  • A lire et relire sans modération l’excellent article de Jacques Tarnero, « Le Monde est-il devenu le  ‘Je suis partout’  de la bonne conscience » ?  Article paru dans TJ le 21/02/2023
  • Il ne fait aucun doute que la focalisation des gouvernements arabes sur la Palestine et contre Israël masque les difficultés intérieures desdits gouvernements (misère etc.) 
  • Yitzhak Ben Zvi (1884-1963) fut le deuxième Président d’Israël.
  • Comment guérir un fanatique. Texte repris dans Amos Oz Oeuvres complète (in quarto) Je me suis permis (mais je sais que d’où il est il ne m’en voudra pas), d’adapter cette blague, un peu par dérision et beaucoup par colère contre cette loi. 

Historien, Analyste en géopolitique méditerranéenneMichel Dray travaille depuis de longues années avec des universités, des écrivains, des acteurs de la société civile et des chercheurs dans le cadre d’un Think Thank hors des Réseaux sociaux sur les analyses géopolitiques en Méditerranée. Il fut en 2021 Président du Jury du “Festival International de Cinéma et Mémoire commune” au Maroc.        

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3 Comments

  1. L’auteur semble l’ignorer: le GR sépharade d’Israël a déclaré hier qu’il s’opposait au rétablissement de la peine de mort, interdisant ainsi au parti Shas de voter ce projet de loi. Quant aux ultra-orthodoxes ashkénazes, ils avaient déjà fait savoir qu’ils ne voteraient pas en faveur de ce texte.

    Ce projet de loi ne trouvera donc pas la majorité nécessaire pour être voté.

    Quant à la loi du talion, M. Drai tombe dans l’erreur commune, il en ignore (ou feint d’en ignorer) la véritable portée qui était la substitution de la réparation pécuniaire à la réparation en nature. Et peu de gens savent que celle-ci pouvait aller très loin dans l’Antiquité, y compris en dehors du domaine pénal. La preuve ? Des textes du droit romain font référence à l’expression  » partes sequentes » que l’on trouvait en matière de dettes commerciales dans le très ancien droit romain. Sa signification est redoutable : le débiteur était mis à mort et son corps était débité en morceaux remis aux créanciers à hauteur de ce qui leur était dû ( » partes sequentes »), à l’exception de son foie, considéré comme une partie sacrée du corps humain. Et, pour ne pas souiller le sol de Rome, exécution et partage devaient être réalisés au-delà du Tibre. 

    La loi mosaïque du talion était donc un progrès immense, tout comme celle de l’interdiction du sacrifice humain et de l’exposition des nouveau-nés. Elle n’a jamais constitué – sauf dans l’imaginaire antijuif- une apologie de la vengeance, mais, à l’inverse, la première affirmation d’un principe juridique aujourd’hui communément admis : celui de la réparation en deniers du préjudice ( y compris corporel) subi par la victime.

    Il est regrettable que même des Juifs tombent dans cette interprétation.

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