

Le Kyiv Jewish Forum, un événement annuel, se tient dans la capitale ukrainienne les 15 et 16 février. Cette semaine encore, des chasseurs néerlandais ont escorté des avions militaires russes « égarés » dans le ciel polonais. Quant à la petite Moldavie, elle accusait hier la Russie de préparer un coup d’Etat pour renverser la présidence pro-européenne. La présidente moldave évoque de possibles « prises d’otages » et de « violentes attaques ». Elle a fermé temporairement son espace aérien.
On peut penser que la Roumanie est la voisine attentive, et inquiète, du pays moldave.
Cette menace semble confirmer, de façon sinistre, les prévisions de l’ex-Premier ministre britannique Boris Johnson, qui fait partie des intervenants au Kyiv Jewish Forum. Ce Forum annuel réunit des dirigeants juifs et ukrainiens pour échanger des idées, débattre des enjeux régionaux ou mondiaux et les mettre en perspective.
Cette année, lors de ce cinquième Forum qui se tient — après les années Covid — dans la capitale ukrainienne en guerre, la Confédération juive d’Ukraine entend témoigner du rôle de la communauté dans le développement du pays et encourager le soutien international à son indépendance.
Les nombreux invités à cette rencontre réunissent des personnalités ukrainiennes, israéliennes et américaines, dont le Président Volodymyr Zelensky, le Président Isaak Herzog, l’ex-Premier ministre anglais Boris Johnson, et un membre du Parlement géorgien… Bernard-Henri Lévy semble être le seul invité français.
Le combat de sa vie
Boris Johnson n’a pas brillé comme Premier ministre, mais il a trouvé avec l’Ukraine le combat de sa vie. Il a été le premier à soutenir le Président Zelensky quand les autres dirigeants ne donnaient pas cher de sa peau et de la capacité de résistance de son pays. Il s’est rendu à Kyiv dès avril 2022, s’est promené dans les rues désertes de la ville avec le Président Zelensky — « il n’était pas sorti de son bunker depuis 6 semaines »— pendant que la sécurité faisait la chasse aux hommes de main de Poutine. Il a donné l’impulsion pendant qu’il était en exercice, et dans son discours de démission, en septembre 2022, il a exhorté son pays à poursuivre dans cette voie.
Il est vrai qu’il a les coudées franches depuis qu’il a quitté ses fonctions à Downing Street. Et avec une curieuse stature de commandeur hirsute, il reprend les accents farouches et rugueux qui étaient ceux de Winston Churchill — dont il est un des biographes très remarqués.
Et le plus impressionnant, c’est que toute la classe politique anglaise le suit, gauche et droite réunies. Contrairement à ce qu’on peut remarquer en Allemagne, en France et en Italie, le soutien à la cause de l’Ukraine est sans faille au Royaume Uni.
Intangibilité des frontières
« Mais qu’est-ce qu’on attend ? » En lançant l’alarme dans le Daily Mail du 23 janvier, Boris Johnson affirme que l’Ukraine peut gagner la guerre cette année si les alliés européens lui fournissent l’équipement nécessaire et suivent l’exemple de l’Angleterre en livrant des chars.
« C’est maintenant », dit-il. « Ce peuple héroïque se bat pour tous ceux qui peuvent être menacés par l’esprit revanchard dément et le néo-impérialisme de Poutine. Ils se battent pour le principe de l’intangibilité des frontières et le respect des accords internationaux. Quand l’Ukraine gagnera, c’est un message qui sera entendu partout dans le monde ».
Le contraire serait une catastrophe.
Pendant que l’Allemagne faisait un pas de deux, ne se décidant pas à livrer à Zelensky des chars Leopard, Johnson s’adressait aux étudiants de l’université Taras Shevchenko de Kyiv. « Poutine doit échouer », martèle-t-il depuis le début de la guerre, « et l’Ukraine doit gagner. Il en va de l’avenir de toutes les nations, y compris de celles qui soutiennent la Russie ou restent prudemment en retrait ».
Ayant décidé que l’Ukraine n’était pas un « vrai » pays, Poutine y voyait, rapporte le journaliste David Samuels qui a interviewé Boris Johnson pour le magazine américain Tablet, un curieux salmigondis de « paysans nazifiés et de Juifs serviles ». En trois jours, huit jours au plus, Poutine, ce petit Staline, saurait les mettre au pas.
Mais aujourd’hui, les Ukrainiens se battent pour leurs familles, leurs foyers, leur terre, leur liberté. Leur pays.
Le prix du sang
Alors négocier… ? Mais comment négocier avec un dirigeant auquel on ne peut faire confiance ? Signer aujourd’hui un compromis dont on sait que Poutine peut l’écarter demain, comme il l’a fait en violant les frontières de l’Ukraine et en lorgnant sur celles de la Moldavie ?
Pour l’ex-Premier ministre anglais, les négociations avortées n’étaient que du baratin, du temps perdu.
L’Ukraine a payé du prix du sang sa liberté et sa place en Europe. Bien malgré lui, Poutine a démontré que l’Ukraine était une nation. Désormais la démonstration est inéluctable, définitive, une preuve qui ne souffre et ne souffrira aucune remise en cause.
Par-dessus le marché, le président russe a fait naître en Europe un sentiment inconnu jusque-là. En menaçant les frontières de l’UE, il a créé une vision qui outrepasse les frontières de chaque composant, force un sentiment d’appartenance, et a chassé le confort dans lequel se prélassait le continent.
Brexit et Format Normandie
Ultime constat désolant sur l’Europe, Boris Johnson se réfère au Format Normandie, associant avant le Brexit l’Angleterre, la France, l’Allemagne et la Russie aux discussions sur la guerre du Donbass en 2014, alors que Poutine venait d’annexer la Crimée. Dans ce cas, l’Angleterre aurait encore été dépendante et emprisonnée dans une politique étrangère commune, avec des discussions à n’en plus finir. « Et nous n’étions même pas à table », remarque Bojo. « Malheureusement », conclut-il, « la France et l’Allemagne ont cru dans ce Normandy process. Mais ça n’a pas marché ».
En somme, explique-t-il, grâce au Brexit, l’Angleterre a eu les coudées franches en matière de politique étrangère, ce qui lui a permis d’apporter son soutien à la résistance ukrainienne dès le début de la guerre alors qu’aujourd’hui encore, l’UE patine.
Boris Johnson, qui préfère porter le chapeau de Churchill plutôt que le parapluie de Chamberlain, vient peut-être de trouver sa place dans l’Histoire.
© Édith Ochs
Edith Ochs est journaliste et se consacre plus particulièrement, depuis quelques années, aux questions touchant à l’antisémitisme. Blogueuse au Huffington Post et collaboratrice à Causeur, Edith est également auteur, ayant écrit notamment (avec Bernard Nantet) « Les Falasha, la tribu retrouvée » ( Payot, et en Poche) et « Les Fils de la sagesse – les Ismaéliens et l’Aga Khan » (Lattès, épuisé), traductrice (près de 200 romans traduits de l’anglais) et a contribué, entre autres, au Dictionnaire des Femmes et au Dictionnaire des intellectuels juifs depuis 1945.