Gérard Kleczewski. Les préjugés antijuifs n’ont pas toujours la côte… 

« Histoire des préjugés ». Lecture critique et personnelle

Gérard Kleczewski

J’ai vécu les seize premières années de ma vie dans une petite ville des Alpes de Haute-Provence (on disait « Basses Alpes » au début des années 60). Cette ville avait connu une très forte « communauté » juive au moyen-âge (plusieurs dizaines de familles). Une « communauté » décimée par des pogroms au 14ème siècle, en particulier au moment de la Peste noire de 1348. 
Là, les habitants provençaux chauffés à blanc par les édiles locales et les prêtres catholiques, avaient envahi, comme en d’autres lieux du sud-est de la France, la « juiverie » et s’y étaient livrés au massacre des hommes, femmes, enfants et vieillards, accusés collectivement d’être des empoisonneurs de puits et des propagateurs d’une épidémie mortelle. 
Dans les années 1970-1980, soit plus de six siècles plus tard, ma ville était devenue quasiment « judenrein » ou « judenfrei », au sens donné par Theodor Fritsch, quand bien même subsistaient ici et là des traces du passé : une rue des « hébréards », la trace d’un four à pain de shabbat, de petites excavations inexpliquées pour le « péquin moyen » sur les chambranles de quelques vieilles portes qui avaient accueillis jadis un petit rouleau dans un étui… 
Pour ma famille et moi-même, nos origines n’étaient pas, ou n’auraient pas dû être, un problème. Nous nous pensions intégrés au sein d’une population, certes sans Juifs ou presque, mais ouverte et tolérante. Et pourtant…

… Pourtant, je pourrais vous citer un grand nombre d’anecdotes sur l’antijudaïsme et l’antisémitisme qui habitaient de façon décomplexée, parfois plus latente ou sournoise, les concitoyens de ma ville. Des expressions de tous les jours (« manger en juif », « tu ne vas pas faire ton juif », « il était assis sur les petits juifs » (coudes), etc.) aux attitudes plus ou moins hostiles ou violentes. 
Sans doute, ma confrontation avec la bêtise et les préjugés antijuifs, hérités de pères en fils depuis des générations, a-t-elle construit ce que je suis, quand bien même je me sens farouchement Français dans l’âme. J’ai longtemps voulu croire qu’au vingtième siècle, des dizaines d’années après « la solution finale », les préjugés étaient faciles à déconstruire. En ce début de vingt-et-unième siècle, où l’on parle de déconstruction pour tout et pour rien – surtout pour rien -, je trouve que j’ai été bien naïf ! 

Les préjugés, nos préjugés

Il n’empêche, je rêve toujours que les préjugés antisémites, mais aussi tous les autres préjugés, petits et grands, qui alimentent l’intolérance et le racisme, veuillent bien disparaitre. 
Une utopie salutaire, mais utopie tout de même. Comme beaucoup de mes concitoyens d’origine juive, j’ai conscience que plusieurs des drames que nous avons connus au cours des dernières années sont directement corrélés avec les préjugés dont nous sommes collectivement l’objet.

S’appuyant sur quelques-uns de nos coreligionnaires  « pas très catholiques » réels ou fantasmés, nous serions tous riches (y compris un petit vendeur de téléphones du boulevard Voltaire), pingres, fourbes et traitres (la base de l’affaire Dreyfus), infiniment puissants (Attali, Soros, Rothschild, Drahi, etc.), ourdirions des complots (dont celui du très faux, mais très partagé, protocole des Sages de Sion, ou bien celui des faiseurs de vaccins et des médecins juifs à l’ère du Covid-19), possèderions les médias, serions tous des mafieux nous soutenant les uns les autres, voire des violeurs (Epstein, DSK, Abittan, Weinstein, Polanski, etc.). 
Pour les plus imbéciles, y compris un député autrefois journaliste et chroniqueur qui osa mettre en parallèle la mort d’Ilan Halimi avec celles d’enfants palestiniens, nous prendrions un malin plaisir à torturer les animaux au moment de l’abattage. Nous serions également assez cruels pour « torturer » nos bébés garçons en pratiquant sur eux une semaine après leur naissance la circoncision (Brit Mila). Je ne parle même pas de tous les préjugés qui accablent Israël et sa population, dont nous partageons la responsabilité puisque nous sommes solidaires avec eux, donc co-responsables, du malheur d’un peuple (les Palestiniens) opprimé par un autre peuple (nous autres les Juifs) qui n’aurait pas su retenir les leçons de l’histoire (un contresens absolu repris jusqu’à l’écœurement par Dieudonné à la contrition en carton et son pote et mentor Soral, nazi 2.0 et fier de l’être). 

Les préjugés antijuifs je les ai lus souvent sous l’analyse des plus grands penseurs, juifs.
A commencer par l’immense Taguieff – Je vous conseille en particulier la nouvelle édition de son livre   « L’antisémitisme », parue dans la vénérable et nécessaire collection « Que Sais-je ? »  (1).
S’appuyant sur les travaux de Gavin I. Langmuir, Taguieff évoque trois types d’assertions à contenus antijuifs, comme autant de préjugés funestes. Des assertions ordonnées selon leur degré respectif d’éloignement du champ de l’observable : les « réalistes », les « xénophobes » et les « chimériques ».

Les premières, empiriquement bien fondées, comme le strict respect des interdits alimentaires chez les Juifs pratiquants, que le groupe majoritaire ou dominant évalue négativement. 
Le champ des assertions « xénophobes » avec les accusations, présentes dans la judéophobie antique, qui visent les juifs comme « insociables »  ou « exclusivistes » car ils pratiquent selon eux le « séparatisme » ou prônent la haine envers tous les autres peuples. 
« Elle consiste à attribuer à tous les juifs une attitude hostile ou une conduite menaçante observable chez certains juifs en exagérant leur importance et leur intensité et en laissant de côté d’autres caractéristiques observables chez les Juifs », explique Taguieff. 
Le plus connu et le plus répandu de ces stéréotypes négatifs est celui qui stigmatise les Juifs en tant qu’usuriers. Apparu vers le milieu du 12e siècle, il enveloppe aussi une assertion xénophobe sur le plan cognitif.  « Ce qui caractérise les assertions xénophobes c’est donc une généralisation abusive, accompagnée d’une essentialisation. Elles satisfont une demande d’identification de ce qui est perçu comme une menace ».  La campagne du « Qui ? » lancée en pleine pandémie du Covid-19 par un militaire à la retraite aux accents fascisants sur une chaine de télévision, repris par une institutrice sur un panneau lors d’une manifestation « antivax », vient de là. Le « street art » d’Avignon avec un Pinocchio Macron piloté par un Gepetto Attali, aussi…
Enfin, il y a les assertions « chimériques ». Soit les accusations les plus délirantes visant les Juifs. Pour Taguieff ils « ont pour résultat de transformer ces derniers en symbole du mal et à ce titre en représentants de l’ennemi absolu ». Difficile de ne pas penser que Kobili Traoré s’est plus appuyé sur ce délire et sur les prêches de la mosquée de la rue Jean-Pierre Timbaud pour massacrer Sarah Halimi, qualifiée de « Sheitan du quartier ». 
Parmi ces assertions « chimériques », on retrouve les accusations les plus diffamatoires et grotesques (si elles n’avaient pas autant de conséquences) avec des énoncés du type « les juifs saignent rituellement les enfants non juifs » (l’accusation de meurtre rituel sous sa forme chrétienne), l’empoisonnement des puits devenus au 21ème siècle un empoisonnement par vaccins interposés (avec, « comme par hasard », le Juif Bourla en tête de pont et le Juif Salomon tous les soirs à la télé ). Et puis, on y revient, par des inventions pures et simples comme le « Protocole des sages de Sion », vieille accusation maintes fois contredite et totalement disqualifiée, mais toujours vivace à l’ère moderne, d’un complot juif mondial. 

J’inciterai mon lecteur, si le sujet l’intéresse vraiment, à se pencher sur d’autres auteurs. En particulier :

  • Le remarquable historien et académicien Pascal Ory qui, dans son essai « De la haine du Juif » (2), évoque une tragédie en trois actes, précédée d’un prologue. Le premier acte c’est le monothéisme juif qui n’était pas réellement un problème pour les polythéistes mais qui devient un problème central pour les Chrétiens et dans la foulée pour les Musulmans. Le peuple « élu » refuse en effet de se plier à l’avènement d’un « sauveur », qui n’est pas pour lui le messie qu’il attend de pied ferme. Grand mal lui fasse !    
    Le deuxième acte c’est quand l’occident s’éloigne de l’hégémonie chrétienne et laisse émerger « la question juive », si mal traitée par Sartre (surtout dans l’édition originelle de son essai) et dont le monde moderne va faire une sacrée mayonnaise, cuisinée par une certaine science qui invente la « race » tandis qu’un certain athéisme invente « l’antisémitisme ». 

Troisième et dernier acte : sitôt la défaite d’Hitler (mal) digérée, l’antisémitisme se voit rallumer par la haine d’Israël, via son faux nez antisioniste. Une instrumentalisation à l’envi qui n’a aucune (dé)raison de s’éteindre. 

La conclusion d’Ory est à la fois triste et imparable : la judéophobie, qui ne remonte pas à la nuit des temps – comme on le dit souvent – prend date pour être éternelle, renaissant sans cesse, tel le phénix, des cendres de tous ceux que nous avons perdus.    

  • Chez les auteurs plus anciens et aujourd’hui décédés, je citerai volontiers deux penseurs, à priori aux antipodes mais qui se rejoignent dès lors qu’il est question des préjugés et de la haine s’exerçant contre les Juifs. Je veux parler de Vladimir Jankélévitch, avec notamment son ouvrage « La conscience juive » (3), et d’Albert Memmi qui, dans « Portrait d’un Juif »(4), s’implique dès 1962 dans l’étude des préjugés les plus insolents qui accablent le Juif « universaliste » et anticolonial qu’il est. 

   

Une histoire des préjugés, disent-ils    

J’écris aujourd’hui cet article pour Tribune Juive. Il est donc parfaitement logique que j’évoque les préjugés qui nous accablent en tant que peuple. Mais je ne voudrais pas que l’on croie que seuls les préjugés qui nous frappent m’interpellent, me mettent mal à l’aise, m’angoissent parfois ou provoquent chez moi une colère inextinguible. 

Tropisme oui, « exclusivisme », non !  

Je n’ignore pas que de nombreuses communautés humaines sont l’objet de préjugés, de railleries, d’insultes, d’accusations délirantes parfois. J’en ai cité plus haut un certain nombre qui nous concernent au premier chef, mais les Arabes, les Chinois, les roux, les gros, les homosexuels et tant autres groupes encore font l’objet de préjugés terribles et d’attaques essentialistes, de crimes aussi parfois. Il ne me viendrait pas à l’idée de chercher un apaisement aux préjugés qui nous touchent en développant à rebours des préjugés à l’encontre de groupes humains dont je ne suis pas membre.   

Voilà pourquoi je m’intéresse aussi aux « autres » préjugés. Tous les autres. 

Dans ce cadre, j’ai découvert que venait de sortir aux éditions Les Arènes, un livre sous la direction de Jeanne Guérout et Xavier Mauduit, titré « Histoire des préjugés »(5). Le bandeau vert qui entoure le livre précise « 39 historiennes et historiens remontent à la source de nos préjugés ». 

« Que voilà une œuvre salutaire », me dis-je, me réjouissant déjà d’apprendre beaucoup de ces 39 historiennes et historiens qui composent le collectif. Tous des universitaires et chercheurs brillants, aux CV longs comme le bras. A peine avais-je tiquer devant l’évocation de certains noms (Jean-Pierre Filiu, Pascal Blanchard et quelques autres) me faisant augurer d’un livre pour le moins « orienté ». 

Mais je n’allais pas m’arrêter à un tel préjugé ! 😉 
J’étais convaincu que la variété des auteurs devait assurer une variété des thèmes et des façons de les aborder. Cette diversité des signatures me donnerait sans doute à apprendre et comprendre. Forcément, je retrouverai aussi quelques-uns des plus grands préjugés visant les Juifs, tant notre vie et notre histoire sont – encore une fois – marqués de ce sceau qui agit comme un moteur puissant alimentant la haine… J’allais tomber un peu de haut ! 

Disons-le tout de suite : sur les 56 préjugés analysés par nos experts sur plus de 460 pages, un seul concerne directement le peuple Juif. Il se trouve en page 259 et est abordé sur un moins de 6 pages par Katell Berthelot, que je ne connaissais pas. Non seulement ça n’est pas à priori le plus grave des préjugés qui nous vise mais encore est-il titré comme suit par son auteure : « Les Juifs ne se soutiennent qu’entre eux ». 
Un titre assez étrange. Pourquoi ne pas avoir écrit simplement « Les Juifs se soutiennent entre eux » ? L’expression « ne se soutiennent qu’entre eux » tient à la fois du pléonasme et de l’injonction contradictoire. Autrement dit, et exprimé de façon excessive, le préjugé serait que les Juifs n’aiment que les Juifs et ne peuvent pas venir en aide à quelqu’un qui n’est pas « comme eux », « des leurs ».  L’auteure, qui a étudié la « misanthropie juive » dans l’antiquité est donc en terrain de connaissance, quand bien même elle prétend étudier un préjugé actuel dans un recueil qui veut faire référence (sinon pourquoi l’avoir appelé « Histoire des préjugés » et pas « 56 préjugés parmi tant d’autres ? » ). 

Mme Berthelot a du reste bien compris que ce préjugé n’était pas essentiel, ou pour le moins réducteur, parmi tous ceux qui frappent les Juifs. Citant un sondage, elle relaye d’autres préjugés tenaces testés par l’institut Ipsos, et autrement plus graves symboliquement : « Les Juifs ont beaucoup de pouvoir », « Globalement, les Juifs sont plus riches que la moyenne des Français ». Selon l’auteure ils « renvoient à des stéréotypes antisémites bien connus » avant de préciser : « Richesse, puissance à la fois souterraine et tentaculaire, solidarité exclusive : cette triade correspond à des thèmes étroitement imbriqués ». Soit, mais c’est donc le prétendu soutien intracommunautaire qui est censé être abordé. Comme si nous formions un groupe homogène, votant tous de la même manière (le vote juif est lui aussi un vieux préjugé qu’il aurait été simple d’aborder et de contredire), étant parés des mêmes défauts et qualités. 

Elle détaille ensuite ce qui est reproché aux Juifs en tant que membres d’un peuple. Leur richesse avec Shylock dans « Le marchand de Venise », et l’archétype du banquier juif, pilier du capitalisme mondial. Ce, en dépit de « l’existence de Juifs pauvres et même socialistes et communistes (sic) ». Des Juifs responsables du malheur des ouvriers et d’une modernité « qui a mal tourné ». Pas loin de ce que pensent nombre d’Insoumis par exemple…   
Pourtant ce sont les gens d’extrême-droite, Drumont et les antidreyfusards, ainsi que les auteurs du Protocole des sages de Sion, qui sont principalement cités comme porteurs des pires préjugés antisémites. A peine, au détour d’une phrase est-il admis du bout des lèvres que les pays Arabes se comptent parmi les plus actifs dans la propagation des préjugés qui nous ciblent, ou dans la diffusion de « fake news » que ce soit à l’heure du 11 septembre 2001 ou plus récemment dans le complot décelé dans la propagation et les ravages du Coronavirus. Les pays arabes, pas les Arabes qui vivent en occident. Nuance !  
Arrivant enfin à notre prétendue incapacité à soutenir d’autres populations que nous-mêmes, Katell Berthelot réenfourche sa théorie d’un préjugé issu de l’antijudaïsme grec dans l’antiquité qui a fait du Juif un « misanthrope ». Détaillant cette théorie, elle explique ensuite que la prétendue « misanthropie juive » passe au second plan avec l’avènement de l’antijudaïsme chrétien. Avec la mise au ban de la société des Juifs et leur ghettoïsation sans appel. Quand bien même la misanthropie supposée des Juifs refait surface au 18ème siècle, prétendument des Lumières, avec par exemple les mots d’une extrême violence de Voltaire et autres acteurs de la révolution qui certes finissent par affranchir les Juifs. Quant au début du 20ème siècle, il est encore question de l’extrême-droite et de l’église qui ajoutent au reproche de misanthropie forcenée des Juifs une double accusation : le manque de patriotisme et la « double allégeance ». 

Vient alors un drôle de passage. Et si, in fine, nous étions un peu responsables de ce qui nous arrive ? « De fait, explique l’auteure, certaines coutumes religieuses, alimentaires en particulier, peuvent expliquer que les Juifs aient été perçus comme se tenant à l’écart des non-juifs, qu’une solidarité ait existé et existe encore entre les membres de communautés confrontées à l’antijudaïsme, à l’antisémitisme, au ghetto, aux pogroms et à un génocide tel que celui perpétré par le nazisme, n’a par ailleurs rien d’étonnant. On peut parler dans ce cas d’une communauté de destin ».  
Un peu plus loin elle dit : « Cependant les divisions religieuses culturelles sociales et politiques sont aujourd’hui tout aussi profondes dans les communautés juives de diaspora et dans la société israélienne que dans d’autres communautés ou nations. Comme le dit une blague juive, là où se trouvent 2 juifs, on compte 3 synagogues. Dans une veine plus tragique faut-il rappeler que c’est un Juif qui a assassiné Yitzhak Rabin en 1995 ? » Et l’auteur de conclure : « La prétendue solidarité exclusive des Juifs entre eux relève en définitive très largement d’une projection fantasmatique enracinée dans une longue tradition d’antijudaïsme et d’antisémitisme ».  

Bref, il faut vraiment attendre la fin de son texte pour voir contredit ou déconstruit le préjugé qui fait des Juifs des gens à l’esprit grégaire poussé à l’extrême, seulement capables de vivre en bonne intelligence avec leurs coreligionnaires, et encore… Regardez, ils peuvent même s’assassiner entre eux ! 

Il eût été utile, en tous cas très efficace de déconstruire le préjugé invoqué en listant tous les bienfaiteurs juifs de l’humanité qu’a connu au fil des siècles notre pays, notre continent, notre planète…  
Des philanthropes qui n’ont pas réservé leur générosité, et l’amour de leurs prochains, aux seuls membres de notre communauté ! Deux exemples, parmi tant d’autres (en plus du FSJU qui, en France, avec sa « tseddaka » alimente chaque année un puissant moteur de générosité, bien au-delà des seuls Juifs) :

  • Daniel « Osiris » Iffla (1825-1907) si méconnu du grand public qui, fortune faite et parmi tous ses  « faits de gloire », donna sans compter à toutes sortes de fondations, permit la construction de nombre de bâtiments importants bien au-delà de la communauté juive, est encore à ce jour le plus grand donateur de tous les temps de l’Institut Pasteur, a aidé les travaux de recherches de Marie Curie et a inventé plus d’un siècle et demi avant Coluche le principe des restaurants du cœur, en créant le Bateau Soupe à Bordeaux, lieu où quiconque dans la nécessité et dans l’impossibilité de se nourrir pouvait venir s’alimenter gratuitement (sans besoin de montrer un certificat de circoncision, de bar-mitva ou une ketouba en bonne et due forme).     
  • Stéphane Benhamou, juif pratiquant a créé avec un musulman (Daoud Tatou) l’association « Le Silence des Justes », composée de structures d’accueil et d’accompagnement des jeunes autistes de toutes origines et de toutes confessions. Le film « Hors Normes » de Toledano et Nakache, avec Vincent Cassel dans le rôle de Stéphane Benhamou, a rendu hommage à leur magnifique travail !  

Et le reste du livre ?       

La chose est entendue : un seul préjugé concernant les Juifs est abordé, alors que les 55 autres textes de l’ouvrage (dont plusieurs qui concernent les Noirs, les Arabes et les Musulmans) ne se contentent pas de détailler la nature des préjugés évoqués. Ils font en sorte de leur tordre le cou. 

Quand bien même l’ouvrage prétend faire « L’histoire des préjugés », il n’est pas exhaustif (comment le pourrait-il ?, « les préjugés étant aussi nombreux que les étoiles dans le ciel », prétendait un philosophe du 20ème siècle, tombé en disgrâce depuis.). 

De plus, le contenu s’avère assez frustrant car il met sur le même plan des sujets graves et des thèmes on ne peut plus légers : « les Arabes sont violents » (signé Filiu) et « les belles-mères, toutes des peaux de vache ! », « les immigrés veulent islamiser l’Europe » et « un homme ça ne pleure pas », « la langue française est fichue » et « les gros manquent de volonté », « les riches gouvernent la France » (Jean-Noël Jeanneney) et les « banlieusards sont des racailles » ou « les Noirs sont serviles par nature » ou encore « les Noirs (encore) sentent fort et les Blancs sentent la mort »…

Ne soyons pas que négatifs avec ce livre. Il est possible en grignotant ici et là d’apprendre des choses intéressantes. Si, si… Même des faits originaux, drôles ou cocasses, puisés aux meilleures sources documentaires, listées à la fin de chaque chapitre. 

Certains propos ou thèses m’ont toutefois fait sursauter. Soit parce qu’ils sont marqués d’un parti-pris évident, soit parce qu’ils sont carrément hors sujet. Trois exemples, dont deux signés Jean-Pierre Filiu, contributeur régulier du « Monde », en plus d’être professeur « spécialiste » du Moyen-Orient très pro-palestinien. 

  • Quel besoin par exemple chez Jeanne Barnicaud de citer la chasse au faciès Juif, au port de signes distinctifs rendu obligatoire par les nazis et au tatouage déshumanisant des camps dans son chapitre sur un préjugé libellé comme suit : « Les criminels ont une sale gueule ».  Est-ce à dire que les victimes des nazis avaient une sale gueule ou qu’ils étaient des criminels ?   
  • Quel besoin chez Filiu de charger une fois de plus l’occident qui ne comprendrait rien aux musulmans en concluant le préjugé « Les Musulmans ne peuvent pas vivre sans calife » par ces mots : « les dirigeants occidentaux n’en continuent pas moins de chercher en vain une autorité islamique qui serait leur interlocuteur alors que le pape François, plus avisé, à développer pas moins d’une vingtaine de canaux différents de dialogues avec les clercs musulmans. Il n’est que temps pour les ‘laïcs’, plus encore que pour les croyants, d’accepter que les Musulmans vivent depuis déjà des siècles sans calife. Et qu’il ne s’en porte pas plus mal » ?
  • Contrecarrant le préjugé « les Arabes sont violents », le même Filiu, prétend que les arabes ne sont nullement les « sauvages » attirés perpétuellement par le sang et la « baston » que l’on veut bien dire. Au milieu d’une démonstration peu convaincante, il écrit : « les luttes armées pour l’indépendance menées dans d’autres pays arabes ont relancé les stéréotypes sur les arabes intrinsèquement violents ». Ces préjugés se sont même aggravés du refus de reconnaître la légitimité des exigences de ces arabes, réduits à n’être qu’une « masse d’agressivité pathologique ». Le conflit ouvert en 1948 entre Israël et ses voisins arabes est également présenté de manière manichéenne dans la plupart des médias occidentaux, et cela jusqu’à la victoire historique de l’état hébreu dans la « guerre des 6 jours » de 1967. Charles de Gaulle rappelle alors à Israël que, à Jérusalem-est, en Cisjordanie et à Gaza, son occupation ne peut aller sans oppression, répression, expulsion nourrissant une résistance qu’à son tour il qualifie de « terrorisme » (nda : ça n’en est pas ?). De fait, les attentats des fédayins palestiniens qui se développent malgré les représailles israéliennes ne font qu’alimenter dans une grande partie de l’opinion européenne et américaine le cliché d’une violence arabe à la fois aveugle et sanguinaire. Le retournement n’en est que plus spectaculaire lorsque dans les territoires occupés, 20 ans plus tôt une intifada (littéralement un « soulèvement ») éclate en 1987, s’accompagnant de l’abandon par cette mobilisation collective de la lutte armée au profit d’une « révolte des pierres » qui se veut non violente (nda : Sic). « Le courage des jeunes frondeurs face aux blindés de l’occupant entraîne un courant de sympathie inédite envers la population palestinienne, y compris au sein de la société israélienne et rend possible le processus de paix et les accords israélo-palestiniens de 1993 ».  Ce paragraphe contient à mon sens beaucoup d’erreurs et de présupposés idéologiques (de préjugés à l’envers si l’on veut). Considérer par exemple l’Intifada comme une suite d’actions non violentes, en omettant d’évoquer les nombreux attentats sanglants qui n’ont jamais cessé en parallèle, ni pendant la première ni pendant la deuxième Intifada. 

En conclusion

Je suis et reste convaincu, en tentant de ne plus être candide, que les préjugés doivent systématiquement être combattus, avec toute la vigueur nécessaire. 
Nous sommes très bien placés pour estimer combien ces préjugés constituent de puissants ferments de violence et de mort. 
Je pense donc qu’éditer un ouvrage déconstruisant les préjugés c’est faire œuvre utile. Surtout à l’heure des « fake news » et de la lie des réseaux sociaux si mal modérés par ceux qui les possèdent. 
Nonobstant, je ne suis pas certain que ce livre réussisse vraiment cette mission. 
Alors une idée pour conclure : et si une équipe pluridisciplinaire (pas que des historiens, mais aussi des philosophes, des sociologues, des anthropologues, des psychanalystes, etc) se réunissait et travaillait à une autre « histoire des préjugés »? Je la lirais avec plaisir ! Je serais même honoré d’y contribuer !  

© Gérard Kleczewski 


Notes

  • « L’antisémitisme ». Pierre-André Taguieff, Collection Que Sais-Je ? PUF nouvelle édition corrigée (2022)
  • « De la haine du Juif ». Pascal Ory, Bouquins Essais (2021)
  • « La Conscience juive ». Vladimir Jankélévitch. Editions de l’Herne (réédité en 2023 avec une préface de Françoise Schwab). 
  • « Portrait d’un Juif ». Albert Memmi, Folio (1962)
  • « Histoire des préjugés ». Collectif sous la direction de Jeanne Guérout et Xavier Mauduit. Les Arènes (2023) 

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