René Samuel Sirat, le savant bon et humble, est parti le 10 février 2023, creusant un vide sans retour dans nos mémoires.
L’érudit à la barbe généreuse, dont la lumière inondait la personne lorsqu’il souriait, avec des yeux qui riaient en même temps que son visage comme pour cacher son érudition, savait ouvrir sa porte à autrui.
Il était de la race des Rabbins d’Algérie pudiques et tenaces, savants et humbles, défenseurs sans défaut de notre peuple.
Il est né à Bône, la ville que son cimetière, l’envie de mourir il te donne, et la Ghriba, ce rouleau de la Thora balloté par les flots écumants de la méditerrannée, mais qui fuyait les barques tentant de s’en approcher, miraculeusement se laissa envelopper et bercer dans les bras d’un Juif qui l’installa dans le cœur de sa synagogue.
René-Samuel Sirat est né le 13 novembre 1930 à Bône l’algérienne qui se croyait française en ce temps-là.
Il doit sa vocation de Rabbin à la grâce de l’enseignement de son maître, le grand Rabbin Naouri, de mémoire bénie. Les bônois, et j’en connais de magnifiques, sont fiers de leur ville, de leur piété et de leurs Rabbins.
René Samuel Sirat est un pur produit de nos communautés dispersées et vivaces.
Il occupe une place essentielle dans l’Histoire des Juifs d’Algérie qui ont résisté aux invasions arabo-turques grâce au tranquille courage de leurs rabbins et leur résistance millénaire à l’oppression musulmane.
Ce n’est ni par les armes, ni par la violence que les Juifs d’Algérie ont survécu aux temps obscurs, mais par l’Etude et l’application des mitsvot dans leurs communautés faites de tolérance affectueuse.
Ils étaient nos Rabbins, des Maitres d’Etude et de sagesse. C’était un bonheur d’être juif au sein de nos communautés serrées autour de nos synagogues.
La conquête française a libéré les Juifs de la férule ottomane et les a inscrits dans la libre et égalitaire Cité française. Sans renoncer à leur profonde identité hébraïque, ils ont alors accédé à l’Ecole française et aux grands principes qui fondent la République des droits de l’Homme: René Samuel Sirat, le jeune juif d’Algérie, avait 17 ans à la Libération.
Sa double vocation s’est dévoilée à la mesure du temps qui passe: Un savant en études juives et un érudit dans les sciences humaines. Sa brillante carrière est connue de tous. Il fut l’un des trois jeunes gens que son Maitre, Naouri, appela en 1945, à la sortie de la guerre: Son fils Saül, Emmanuel Chouchena et lui-même. C’étaient des adolescents âgés de 15 ans, ils devaient se rendre en France, poursuivre des études rabbiniques à la Yéshiva d’Aix les Bains et favoriser les efforts de reconstruction du judaïsme français en ruine. Il intégra ensuite l’école Rabbinique de la rue Vauquelin.
Il fut Chargé de mission de l’Inspection générale de l’Éducation nationale pour l’enseignement de l’hébreu. Il devint ensuite Professeur à l’INALCO, Ecole Nationale des Langues Orientales.
Il y dirigea la section d’études hébraïques et juives pendant près de 30 ans.
Il a exercé comme Grand Rabbin de France de 1981 à 1988. Il laisse le souvenir d’un rayonnement de bonté et d’érudition ouvert au dialogue interreligieux, et rigoureux quant à l’application de la Thora et de la Halakha.
Avant 1968, son itinéraire l’a rapproché des géants du XXème siècle, connus sous le nom d’Ecole de Paris ou Ecole d’Orsay : Léon Ashkénazi (Manitou), André Néher, Eliane Amado Levy Valensi, Théo Dreyfus, le Rabbin Hazan, Paul Roitman.
En France ou à travers l’Ecole d’Orsay et des E I F, ils prirent toute leur part dans la reconstruction des communautés désemparées.
Puis dans un élan messianique, ils montèrent en Israël en 1968 et firent merveille chacun dans son domaine. René Samuel Sirat a aussi été emporté vers ce miracle qu’est Israël où la guerre des six jours vit Israël défaire les Etats arabes déterminés à détruire le seul pays où les Juifs sont souverains.
René Samuel Sirat fut pris dans ce tourbillon, mais avec la pondération et la sagesse qui est la marque du judaïsme d’Algérie. Il fit de nombreux allers-retours entre la France et Israël.
Il a suivi les enseignements du Rav Kook, fils et continuateur de l’œuvre son père Abraham Kook, le promoteur du sionisme religieux, qui a réconcilié les pratiquants et les bâtisseurs de Sion.
Ce grand homme cependant fut plutôt attiré par l’enseignement de l’Hébreu, il était très réservé quant au projet du Grand Israël. Cf : Itinéraire d’un enfant juif d’Algérie, chez Albin Michel 2020 page102
Peu de gens savaient, comme lui, évoquer la beauté infinie de Jérusalem, qu’il raconte avec amour. Son enthousiasme fut tel après la victoire d’Israël en juin 1967 qu’il a tenté (en vain) de faire supprimer le jeûne du 17 Tammouz.
Les Dirigeants de la Communauté juive de France lui ont rendu hommage, mais selon moi, ils n’ont pas suffisamment insisté sur son engagement sioniste et son implantation en Israël où il résidait en permanence depuis 2013.
De 1970 à 1974, il a enseigné l’hébreu à l’université hébraïque de Jérusalem
C’est à cette époque que j’ai eu la chance de le connaitre et d’organiser ses interventions au Moadon Haolé de Jérusalem, en même temps que les conférences et les leçons d’Eliane Amado Levy Valensi, Manitou, André Néher, le rav Hazan et d’autres encore.
J’ai connu un homme de grande bonté, amoureux de la paix, mais ferme quant à ses convictions au confluent de la culture française et de l’Histoire juive plurimillénaire, qui jamais, n’a oublié Sion. Il ne doutait pas que la source de l’identité hébraïque est liée à l’arrivée des hébreux au pays où coulent le lait et le miel.
Ce géant m’a fait cadeau de son amitié, peut-être grâce aux liens invisibles qui unissent les Juifs de là-bas.
Le grand Rabbin René Samuel Sirat est bien un enfant juif d’Algérie qui repose en paix, sa mission accomplie.
Désormais, il dispense pour l’éternité son enseignement aux étoiles. Que sa mémoire nous couvre de bénédictions.
© Charles Baccouche
Poster un Commentaire