Deux dates: la date de sa naissance et celle de son départ définitif de la Tunisie : c’est la confession d’un enfant d’un demi siècle , ce sont les souvenirs précis et nostalgiques d’un petit juif de Tunisie .
Rien ne manque : par touches successives l’auteur trace le cadre du tableau, la Tunisie de toujours sous le protectorat français puis de l’autonomie interne à l’indépendance .
Dans le pays il y avait une communauté juive installée avant la conquête arabe et la religion musulmane. Elle a reçu des apports de Juifs chassés du Maroc, elle a profité de l’arrivée de Juifs de Livourne et s’est enrichie des Juifs du monde entier qui avaient choisi la Tunisie .
Elle était une province de l’Empire Ottoman avec des liens très distendus et les Beys ont remplacé les Deys .
Se souvenir de sa jeunesse dans le pays de cocagne que fut la Tunisie
L’auteur n’est pas un historien et il survole les événements et les soubresauts politiques. Ce qui l’intéresse et c’est là toute l’originalité de son ouvrage, c’est de décrire le cadre et le déroulement de sa jeunesse dans le pays de cocagne que fut la Tunisie .
Tout ce qu’il raconte , toutes ses descriptions et tous les héros anonymes dont il rapporte faits et paroles, le “Tune” qui les lira sourira ou sera ému . C’est frais, c’est gentil, amusant, attendrissant.
Rien ne manque : le Lycée Carnot trône en majesté mais il y a aussi Le Café vert, La Baraka, Les Dunes, Le Chantilly … et on évoque les chanteurs de l’époque, Ali Riahi et Johnny, Raoul Journo et Elvis Presley … en fond sonore éclectique et original, mais encore … les bains de mer sur les plages de Khereddine ou Gammarth, les matchs de foot ou de volley sur le sable, et même le water-polo entre les digues.
Mais alors… Pourquoi tous les Juifs de Tunisie sont-ils partis ? Tous!
La grande question qui est toujours posée et qui ne peut recevoir une explication simple : pourquoi tous les Juifs de Tunisie sont-ils partis ?
Tous !
Il reste un millier d’artisans indéracinables à Djerba, une douzaine de grabataires dans un hospice et, dans les beaux quartiers, quelques poignées de rétifs “qui se la jouent intellos !”
Les causes :
- La guerre à Bizerte décidée par Bourguiba qui n’avait pas prévu le lâchage de l’Algérie par De Gaulle et qui entendait se ranger dans le camp des anticolonialismes victorieux.
- Attaque de la synagogue organisée par le ministre Caïd Essebssi
- La Tunisie est un pays arabe et sa religion est l’ Islam: Article 1 de la Constitution.
- Peu de Juifs lisent ou écrivent l’arabe.
- Peu d’importateurs juifs obtiennent les licences demandées.
Comme l’a écrit Paul Germon dans “Adoubai”, ce fut “une épuration ethnique sans violence”.
Joseph Secnazi ne s’attarde pas trop sur le sujet et son livre reste une biographie et nous reviennent les mots de Nietzsche: “L’homme a beau s’étirer de toute la longueur de sa connaissance, s’apparaître aussi objectivement qu’il voudra : le seul fruit qu’il en retire n’est jamais pour finir que sa propre biographie”.
Il s’agit d’une œuvre originale par le mélange de ses sujets, la sincérité de ses émotions et vous ne regretterez pas d’y avoir consacré du temps pour mieux vous souvenir de ce que vous fûtes et de ce que vous êtes devenus !
Pour finir, deux citations qui emportent la conviction. D’abord celle de Felipe VI, recevant une délégation de Juifs d’ Espagne et qui leur adresse un vibrant discours avant de conclure : “Comme vous nous avez manqué !”
Et, citée par l’auteur, une phrase de Romain Gary parlant de son pays: “Les rues sont pleines de Juifs qui ne sont pas là”.
© André Simon Mamou
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