Céline Florentino. De la soubresade de chez « Pons » … à mon oncle Jean-Claude

Aujourd’hui j’ai pris deux kilos de soubressade chez Pons. Si vous n’êtes pas niçois d’origine pied-noir, comme je suppose que c’est le cas chez 99% des personnes en train de lire, vous ne pouvez pas comprendre. Alors je vous explique, si ça vous intéresse. Sinon, passez votre chemin, je ne vous en tiendrai pas rigueur.

La soubresaut des pieds noirs. Un peu comme la Mouna. Ou les montecao

La soubressade, c’est une charcuterie d’origine espagnole que les pieds noirs affectionnaient particulièrement. Un peu comme la Mouna à Pâques. Ou les montecao. On la trouvait toujours dans les pique-nique familiaux. Quel dommage de ne pas pouvoir faire l’accent en écrivant… Cet accent du sud, enfin plutôt du nord de l’Afrique, à la Enrico Macias et Marthe Villalonga… Dans ma famille, des deux côtés, tout le monde l’avait, cet accent. Tout le monde parlait très fort. Il y avait beaucoup de disputes, ça explosait très vite. Au sujet de tout et n’importe quoi. En parlant d’Alger, sur le nom des rues, où elles se trouvaient… « Mais non j’t’e dis, arreeeete un peu tu m’eneeerves »…

Non décidément, ça donne rien l’accent pied noir par écrit. Et bientôt tout le monde l’aura oublié. C’est une culture en voie d’extinction. C’est pourtant celle dans laquelle j’ai grandi. Alors oui, bien sûr, je m’en suis émancipée. Heureusement d’ailleurs, puisqu’elle appartient à une autre époque, et que je vis dans la mienne, et dans mon pays. Mais pas question d’en rougir aujourd’hui parce que mes ancêtres seraient tous des colons qui auraient spolié les indigènes. Et de toute façon, même si ça a peut-être été le cas chez certains, je n’en serai jamais responsable, et encore moins coupable. Ni fière non plus. Il n’y a pas à être fier d’une origine qu’on n’a pas choisie, ni à revendiquer une quelconque différence. Ni fière ni honteuse donc, mais heureuse d’avoir eu la chance de grandir dans une grande famille qui a vécu l’exil et a dû s’en remettre, même si leur cœur est resté là-bas. Qui en voulait un peu à la France, mais n’a jamais empêché ses enfants d’en faire partie, puisqu’ils étaient Français. Une grande famille chaleureuse, qui se disputait, parlait fort, et riait beaucoup, vraiment beaucoup. Et passait un peu pour des extra-terrestres aux yeux des « vrais » Français.

La boucherie Pons est sans doute une des dernières en France à faire la soubressade comme là-bas, dis. Le jour où elle fermera, la soubressade continuera sans doute d’exister, mais ce ne sera plus un truc de pied-noir. Ce sera juste un truc espagnol pas très connu en France.

L’accent sera oublié, les enfants de rapatriés auront eux aussi disparu, et leurs enfants cacheront ou oublieront ces origines parce que la France coloniale n’aura jamais vraiment existé, puisque le colonialisme n’aurait jamais dû exister et que certains crétins aimeraient bien réécrire l’histoire comme ils voudraient qu’elle fût. Tout cela disparaîtra.

Alors c’est pour ça que demain je suis contente d’en amener deux kilos jusqu’à Nîmes pour ma tante Annie et mon oncle Jean-Claude. Annie ne veut que celle de chez Pons. Jean-Claude ne pourra pas en manger cette fois-ci. Mon oncle, mon si gentil tonton, n’est plus. Je les amène pour son enterrement. Ceux qui seront là pour lui la mangeront. Nous serons tristes parce que nous l’aimions, mais je suis sûre qu’il y aura quand-même quelqu’un pour me demander : « Tu l’as bien prise chez Pons, la soubressade ? Y’a pas à djire, c’est vraiment la meilleure ». Et ça nous fera sourire, peut-être même rire. Parce que c’est bon, la soubressade. Je l’aimerai toujours.

© Céline Florentino

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3 Comments

  1. Je suis fier d’ être pied noir né à Constantine dans le département du même nom le 3 mars 1960.Il est marqué 93 sur mon numéro d’INSEE.
    Je suis en plus un descendant d’esclave chrétien et de dhimmi, au temps où avant 1830 les provinces turques pratiquaient sans vergogne l’esclavage des noirs et des chrétiens.
    L’auteur de cet article hait d’ une certaine façon sa famille.Les colonisations ont existé à toutes les époques..Cette moraline est insupportable.
    Je suis en train de terminer un grand ouvrage sur le langage de chez nous , y compris les gestes.Et je suis en train d’enregistrer des pieds noirs en leur faisant raconter à notre manière des histoires drôles.L’accent on l’a jamais perdu dans ma famille au xcontraire de certains qui en ont eu honte.Sûrement des personnes qui n’avaient pas participé au débarquement de Provence.
    PS: j’ai rédigé 95 pour cent de l’article consacré à notre cuisine sur Wikipedia.Celle qui roule le coucous , c’est ma mémé.En espérant vivre le plus longtemps possible avec ou sans soubressade: je resterai fier de mon petit peuple, celui de Camus et Macias.
    Mektoub

    • Bonjour. 24 rue Lépante Nice pour la charcuterie et 66 avenir d’Estienne d’Orves Nice pour la « Maison Pons ». Ils livrent. 04 93 01 35 76. Nous sommes en train, par gourmandise, ou nostalgie, de leur faire … de la pub. Un ami m’ a proposé pour les Parisiens la boucherie 6 rue des Ecouffes 75004 pour soubresaut.

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