Pierre Lurçat. L’idéologie du genre : un néo-totalitarisme?

Un trait caractéristique du néo-totalitarisme, tel que nous le voyons s’épanouir actuellement, est précisément qu’il parvient à modifier la nature humaine de manière objective, alors même qu’il repose presqu’entièrement sur un nouveau discours. Comme l’explique Shmuel Trigano, analysant l’idéologie post-moderne, « toutes les figures du réel se voient désormais anéanties… c’est le concept même d’Homme qui se voit dénié[1] ». Dire que l’homme et la femme sont des « inventions » aboutit ainsi à créer une réalité nouvelle, dans laquelle le sexe biologique peut effectivement être modifié, voire aboli… Pour s’en convaincre, il suffit de voir les méfaits du discours du genre et de la propagande transgenre dans l’école, lieu par excellence où pénètrent tous les discours totalitaires[2]. Lorsque des jeunes adolescents prétendent « découvrir leur identité de genre » ou changer de sexe pour adapter leur identité biologique à leur vécu de genre, ils créent effectivement une nouvelle réalité objective[3].

Détruire les fondements de l’humanité

            Ce paradoxe d’un discours créateur de réalité, qui triomphe sans aucune contrainte étatique, avait été entre-aperçu dès 1946 par Aldous Huxley. Celui-ci écrivait ainsi que « le gouvernement au moyen de triques et de pelotons d’exécution, de famines artificielles et de déportations en masse » était « non seulement inhumain » mais aussi inefficace. Il évoquait aussi « l’application aux êtres humains des recherches futures en biologie, en physiologie et en psychologie »[4]. Huxley est sans doute un des premiers penseurs à avoir compris que le néo-totalitarisme s’attaquerait aux mécanismes de la filiation et ce faisant, aux fondements de l’identité humaine.

            Dans ces conditions, le combat contre ce néo-totalitarisme ne peut se contenter de dénoncer son discours et son idéologie comme émanant d’un projet totalitaire, utopique et délirant. Le projet d’abolir la différence sexuelle – au nom de l’idéologie totalitaire du « genre », « dernier grand message idéologique de l’Occident [5]» – est certes fou, mais sa folie est d’autant plus dangereuse qu’elle est réalisable et qu’elle connaît déjà un début de réalisation. Le plus grand danger du projet totalitaire actuel réside ainsi dans sa capacité à modifier la nature humaine et à imposer à l’humanité une nouvelle définition de l’homme, envers et contre tout (y compris contre la réalité objective de la nature humaine).

C’est pourquoi il est illusoire de croire qu’il suffit d’opposer au discours totalitaire la réalité objective ; car comme l’avait bien vu Arendt, « pour continuer à exister, la réalité objective elle-même dépend de l’existence du monde non-totalitaire ». Or celle-ci repose en dernière alternative, comme l’explique Arendt – citant Saint Augustin, auquel elle avait consacré sa thèse de philosophie – sur la notion de commencement qu’on retrouve dans le récit biblique de la Création. « Politiquement, il [ce nouveau commencement] est identique à la liberté de l’homme. Initium ut esset homo creatus est – « pour qu’il y eût un commencement, l’homme fut créé », dit Saint Augustin [6]». L’homme est érigé par le récit biblique en joyau de la Création, à laquelle il donne son sens (comme l’exprime le mot hébreu de Berechit que saint Augustin traduit par Initium).

Il n’est pas anodin que l’une des réponses apportées par Hannah Arendt au système totalitaire se fonde précisément sur le récit de la Genèse dans la Bible hébraïque, lu à travers le commentaire de Saint Augustin, qui voyait dans l’hébreu la « langue humaine des origines »[7]. Tout comme il est loin d’être anodin que le projet totalitaire actuel de remodeler l’identité humaine s’en prenne justement à la différence sexuelle, élément clé du récit biblique de la Genèse, au fondement de la civilisation occidentale. Rendant compte du livre d’Arendt en 1953, Eric Voegelin formulait l’hypothèse que « la véritable ligne de partage dans la crise contemporaine ne passe pas entre les libéraux et les totalitaires, mais entre les partisans d’une transcendance philosophique ou religieuse d’un côté, et les adeptes sectaires de l’immanentisme, libéraux ou totalitaires, de l’autre »[8]. Ce faisant, Voegelin se rangeait lui aussi du côté de ceux qui voient dans le totalitarisme une idéologie, bien plus qu’un régime politique. 

Fin du totalitarisme ?

            Dans son compte-rendu du livre d’Hannah Arendt, Raymond Aron accepte avec quelques nuances sa caractérisation de « l’essence du totalitarisme », tout en y ajoutant une question essentielle à ses yeux : « Quelle est la durée promise au totalitarisme ? ». La réponse à cette question, que ni lui ni Arendt ne pouvaient apparemment prévoir à leur époque, est que le totalitarisme en tant qu’idéologie et en tant que projet a survécu aux régimes totalitaires meurtriers du vingtième siècle, nazi et soviétique. L’URSS a en effet disparu, tout comme l’Allemagne nazie, mais leur projet monstrueux d’édifier un « Homme nouveau » n’a non seulement pas disparu, mais prospère et se développe aujourd’hui au cœur même des sociétés démocratiques. L’idéologie totalitaire, qui prétend transformer la nature humaine est ainsi, hélas, bien vivante et plus menaçante que jamais.

© Pierre Lurçat


[1] S. Trigano, La nouvelle idéologie dominante, Hermann 2012 p. 27-28.

[2] La pénétration de l’idéologie dans l’école, notamment par le biais de l’éducation sexuelle avait été analysée par Liliane Lurçat dans son livre prémonitoire, Vers une école totalitaire ? L’enfance massifiée à l’école et dans la société, éd. François-Xavier de Guibert 1998.

[3] Voir C. Masson et C. Eliacheff, La fabrique de l’enfant transgenre, éd. de l’Observatoire 2022.

[4]A. Huxley, Le meilleur des mondes, préface de 1946.

[5] Eric Marty, Le sexe des Modernes, Pensée du neutre et théorie du genre, Seuil 2021, p. 11.

[6] H. Arendt, Les origines du totalitarismeop. cit., p. 838.

[7] Voir Maurice Olender, Les langues du Paradis, Seuil 1989, p. 13.

[8] E. Voegelin, « The Origins of Totalitarianism », Review of Politics, janvier 1953, traduit en français dans Les origines du totalitarismeop. cit., p. 958 s.

(Extrait de mon article « Actualité du débat sur la nature du totalitarisme : Arendt, Aron, Voegelin » publié dans la dernière livraison de la revue Pardès qui vient de paraître)


(Extrait de mon article « Actualité du débat sur la nature du totalitarisme : Arendt, Aron, Voegelin » publié dans la dernière livraison de la revue Pardès qui vient de paraître)

 L’idéologie du genre : un néo-totalitarisme? Pierre Lurçat

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Le blog de Pierre Lurçat, essayiste, écrivain et traducteur. L’actualité vue de Jérusalem, avec un accent particulier sur l’histoire d’Israël et du sionisme.

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4 Comments

  1. Le nouveau totalitarisme s’apparente beaucoup plus à un 4eme Reich qu’à une nouvelle URSS. Beaucoup beaucoup plus. L’URSS ignorait les questions de « race » et de « genre » Beaucoup, beaucoup plus. Or d’après Eco le fait de sexualiser (tout comme le fait de raciser) le discours politique est une caractéristique du fascisme. On trouvait cela dans les régimes mussoliniens, hitlériens. Et plus encore aujourd’hui chez les islamistes et tout autant chez les intersectionnels, décoloniaux et néo féministes. Cette négation de l’homme et de la femme s’accompagne en effet TOUJOURS d’une rhétorique raciale : elle va de pair avec le racisme inversé c’est à dire le racisme tout court alors que les premières victimes en sont précisement des femmes !

    Un néologisme fort pertinent a été créé pour définir cette monstruosité idéologique : le Feminazisme.

  2. Les nouveaux Adam et Eve forment un couple stérile. L’homme nouveau, castré, est devenu une femme stérile et inversement. Tous deux sous hormones à vie. Quel beau progrès en vérité !

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