Opération « Arche de Noé » : révélations sur la véritable histoire des vedettes de Cherbourg
L’opération des services secrets israéliens montée en 1969 pour subtiliser à la France six vedettes de guerre bloquées par l’embargo décrété par Paris s’apparente sans conteste à l’une des plus grandes arnaques montée de toutes pièces par un état occidental.
Précédemment,
La France de de Gaulle, décide de punir Israël pour sa contribution à l’enlèvement de Ben Barka.
L’embargo partiel sur les ventes d’armes devient total. Conséquence : les six vedettes militaires commandées par Israël, que la France devait livrer, resteront à quai dans le port militaire de Cherbourg dans le Finistère. La transaction est annulée même si une partie de la commande avait déjà été livrée. Les bateaux ont été conçus en coopération technique avec Israël. Avec le temps, le port du Finistère, battu par l’océan et de rudes tempêtes, avait pris des allures de petit village israélien. Des familles de techniciens étaient à demeure.
Le Mossad recommanda un montage rusé et légal pour atteindre l’objectif : voler les vedettes et les « rapatrier » en Israël
C’est à partir de ce constat que Golda Meir, nouvellement arrivée aux commandes du pays, donne pour consigne au Mossad d’échafauder un plan pour récupérer les vedettes malgré l’embargo. Le Mossad recommanda un montage rusé et légal pour atteindre l’objectif : voler les vedettes et les « rapatrier » en Israël.
L’opération Arche de Noé était lancée. Via des société-écran au Panama, une vrai-fausse compagnie de nationalité norvégienne, appelée Starboat (en référence à l’étoile du drapeau d’Israël), spécialisée dans le forage des zones pétrolières en mer, prend contact avec le département achat de l’armée française. Dirigée par un armateur norvégien – partie prenante de la manœuvre – Starboat déclare son intérêt pour les bateaux en rade à Cherbourg.
La compagnie a justement besoin de ces bâtiments pour faire face à ses activités croissantes. L’armée française, qui souhaitait rentrer tout de même dans ses fonds après la construction des navires, ne se méfie pas devant ce dossier déposé à la dernière minute, à la fin de l’année 1969. L’armée négocia avec l’armateur norvégien qui obtint les bateaux moyennant un rabais au motif qu’ils devraient être rééquipés pour la recherche de pétrole. Un argument que le département des achats de l’armée française a entendu.
C’est ainsi que la France, sans le savoir, revendait à nouveau ses vedettes à Israël et à un prix moins élevé que lors de la transaction initiale. L’arnaque était à dimension multiple : politique et économique. L’arsenal de Cherbourg prit acte de cette vente à Starboat et ne trouva pas illogique la dernière demande de l’armateur : permettre à quelques techniciens israéliens sur place, et qui connaissaient bien les bâtiments, d’aider à quitter l’arsenal pour rejoindre la Norvège.
A partir de ce moment, des dizaines d’agents spéciaux et membres de commando prirent des vols à partir de Tel Aviv à destination de plusieurs capitales européennes. Objectif : rallier Cherbourg sans éveiller l’attention
Une fois que toutes les autorisations furent obtenues, le décor était officiellement monté. Plus personne dans l’administration et l’armée n’avaient à s’étonner de voir des personnes originaires d’Israël s’affairer dans les bassins de l’arsenal de Cherbourg autour des vedettes vendues à une compagnie pétrolière norvégienne. A partir de ce moment, des dizaines d’agents spéciaux et membres de commando prirent des vols à partir de Tel Aviv à destination de plusieurs capitales européennes. Objectif : rallier Cherbourg sans éveiller l’attention. Sur place, la ville se préparait aux fêtes de Noël et il fallait rester discret. Personne ne devait s’apercevoir de la présence d’un nouveau groupe d’Israéliens dans la cité bretonne. Le Mossad devait tout faire pour ne pas attirer l’attention.
Ainsi, afin de pas dévaliser les supermarchés pour les réserves en nourriture pour la future traversée, les agents israéliens ont surtout passé commandes de produits festifs, consommés à cette période. De même, les moteurs des bateaux ont tous été mis en route chaque soir durant une semaine, sous prétexte d’essais techniques, afin d’habituer le voisinage de l’arsenal à ne plus prêter attention aux bruits de six bateaux en même temps. Une accoutumance nécessaire liée à la date du départ : dans la nuit du 24 au 25 décembre, et alors qu’une tempête est prévue. Le spécialiste météo, venu de Tel Aviv, devra trouver le trou de souris… l’heure d’accalmie entre deux salves de pluies et de coups de tonnerre.
L’alarme est finalement donnée au sommet de l’Etat : personne ne sait où sont les bateaux qui devaient rejoindre les eaux norvégiennes
A 2h du matin, les vedettes se mettent en route, après plusieurs reports dus aux conditions météo. La France est en pleine trêve des confiseurs, autrement dit à l’arrêt total, à une époque où les moyens de communications pour les urgences sont le téléphone filaire, le télégramme et le télex. C’est la presse qui donne l’alerte, après un article du correspondant du journal local de Cherbourg. L’alarme est finalement donnée au sommet de l’Etat : personne ne sait où sont les bateaux qui devaient rejoindre les eaux norvégiennes.
C’est le branle-bas dans l’exécutif. Voici ce qui se passe alors dans les coulisses du pouvoir français : Jean Sicurani, haut fonctionnaire, et directeur de cabinet du Premier ministre Jacques Chaban Delmas, réveille le chef du gouvernement et l’informe de la crise. Aucun doute pour lui : c’est un coup des Israéliens. Chaban Delmas récupère une information importante que lui transmet son directeur de cabinet. Le ministre des Armées, Michel Debré, est en train de convaincre le général de Gaulle de bombarder les bateaux en fuite avant qu’ils ne sortent des eaux territoriales. Chaban s’y oppose fermement. « Bombarder nos amis israéliens ?? Quelle idée ?? Nous n’allons pas en plus rajouter l’odieux au ridicule !! ».
L’ancien premier ministre rapportera ce récit des années plus tard à des officiels israéliens. Il est donc permis pour la première fois de prendre connaissance de ce qui s’est passé au sommet de l’Etat durant les derniers jours de 1969. Le tableau est saisissant : une escouade de vedettes françaises achetées par une compagnie norvégienne, en réalité créée par le Mossad, fonce vers Israël. Dans le ciel, des avions militaires français, des Mirage, les menacent. Le feu vert doit être donné par le premier ministre qui fait connaitre sa décision à son aide de camp : « Laissez croire à Debré que nous coopérons avec lui mais je rentre en clandestinité (sic) pour un laps de temps. Je serai injoignable pour tout le monde, y compris pour le Général. Ne me joignez qu’une fois assuré que nos « amis » sont hors des eaux territoriales de la France ».
C’est ainsi que le bombardement envisagé des vedettes qui voguaient vers Israël n’a pu être mis en œuvre. Quelques jours plus tard, les bateaux et les commandos étaient accueillis dans la liesse, devant les caméras de télévision et félicités par la Première ministre d’Israël, Golda Meir, qui avait fait le déplacement. Une banderole sur laquelle était inscrit « Bienvenue en Israël » sembler narguer de Gaulle par images interposées.
L’affaire des vedettes de Cherbourg marquera pour longtemps les relations entre la France et Israël, tant le camouflet fut retentissant. Le petit pays insolent et intrépide était alors auréolé de sa victoire éclair en l’espace de six jours contre les armées arabes, deux ans plus tôt. Le message d’Israël à son ancien partenaire privilégié, la France, se voulait sans équivoque : en choisissant le camp arabe, la France n’avait pas rejoint le camps des vainqueurs au Proche-Orient.
© Michaël Darmon
Michaël Darmon, Journaliste politique, a travaillé au service économie et politique de TF1 avant de devenir le correspondant de la RTBF à Jérusalem, puis d’entre à France 2, au sein du service politique. C’est en 2011 qu’il rejoint la chaîne d’information en continu I-Télé et en devient éditorialiste politique et intervieweur. Depuis 2013, il travaille également pour la chaîne israélienne I24news. En novembre 2016 il quitte I-Télé et rejoint Sud Radio en tant qu’éditorialiste politique.
Michaël À la rentrée 2018, il arrive sur Europe 1 en tant qu’éditorialiste politique et y .présente « Le Grand Rendez-vous d’Europe 1 » le dimanche de 10 h à 11 h. Il quitte Europe 1 en juin 2021.
Merci au Premier Ministre Chaban !