Gérard Kleczewski. Avant la soirée de Shibboleth du 9/02 autour du « Sacre des pantoufles » de Pascal Bruckner

Je me réjouis d’assister, jeudi 9 février, à la soirée autour du livre de Pascal Bruckner « Le Sacre des pantoufles, du renoncement au monde« . Ce, dans un contexte bien particulier : la loi sur les retraites Borne-Macron. 

Comme pour la session sur le Wokisme autour du film de Michaël Prazan, j’ai voulu m’interroger personnellement sur le sujet abordé. Ce, avant même d’avoir lu le livre de Bruckner. Je me voulais vierge de toute phrase ou argumentaire de l’auteur, pour mieux être surpris, séduit et sans doute convaincu par les thèses avancées par quelqu’un que je tiens pour l’un des seuls à « penser » encore le monde sans se plier à une quelconque doxa ou à quelque effet de mode que ce soit. 

J’ai donc réfléchi. A quoi me faisait penser cette tentation humaine de remettre en cause ce qui avait fait partie des éléments du « mode de vie à la française » : les rencontres, les échanges en dehors de son « chez soi », le travail quotidien et collaboratif dans un lieu en partage, le travail en opposition à l’oisiveté ? 

J’ai pensé d’abord que la tentation du « rien faire » existait depuis longtemps, sous toutes les latitudes. En particulier en France. Une tentation théorisée par Lafargue dans son « droit à la paresse » à la fin du 19èmesiècle, contre le travail « qui asservit les masses » et ne permet pas au « travailleur » de vivre sa vie, en tous cas de la vivre intensément.  

J’ai repensé ensuite à des bribes de ce modus vivendi dans l’œuvre de Boris Vian et chez son ami et complice Henri Salvador (paroles Maurice Pon) dans « Le Travail c’est la santé » (1965) : 

Le travail c’est la santé

Rien faire c’est la conserver

Les prisonniers du boulot

N’font pas de vieux os. »

Suivi par :

Dire qu’il y a des gens en pagaille

Qui courent sans cesse après le travail

Moi le travail me court après

Il n’est pas près de m’rattraper.

Maint’nant dans le plus p’tit village

Les gens travaillent comme des sauvages

Pour se payer tout le confort

Quand ils l’ont, eh bien, ils sont morts.

Hommes d’affaires et meneurs de foule

Travaillent à en perdre la boule

Et meurent d’une maladie de cœur

C’est très rare chez les pétanqueurs ».

Autre lieu, autre époque – et une forme de langueur méditerranéenne (qu’on a retrouvé aussi dans une chanson de Moustaki) : trente ans plus tôt Albert Cossery publie « Les fainéants dans la vallée fertile » (1948) qui se déroule en Égypte. Un roman devenu bien plus tard pièce de théâtre puis un film, sorti en 1978. Que raconte-t-il ? Dans une petite ville de la vallée du Nil, trois frères vivent dans la maison de leur vieux père avec leur oncle et une fille à tout faire. Chacun à sa façon a décidé d’aborder la vie de manière détachée que d’aucuns considèrent paresseuse. Rafik ne travaille pas mais, observateur cynique, philosophe sur le sens des choses, de son pays et de la vie ; Serag possèderait un diplôme d’ingénieur mais ne se désespère pas vraiment de voir l’usine proche – dans laquelle il pense ou prétend devoir travailler –, laissée à l’abandon en cours de construction ; enfin Galal dort depuis sept ans, ne s’activant que pour manger… 

Il y a aussi mes souvenirs du début des années 80.  Je me souviens d’une émission des dossiers de l’écran en 1982 (j’ai vérifié : c’était le 3 août), avec un débat qui suivait la projection du film « Les Bronzés » de P.Leconte, à la suite de la mise en œuvre des 40 heures de travail et de la retraite à 60 ans sous le gouvernement de Pierre Mauroy. 

Le ministre de l’époque dont le nom du poste est en lui-même tout un programme (« ministre du temps libre ») se nomme André Henry. Enseignant et syndicaliste, dirigeant la FEN puis adhérant au PS en 74, franc-maçon revendiqué, il théorise face à l’animateur Alain Jérôme et au milieu d’un parterre d’invités dont André Trigano (l’inventeur du Club Méditerranée) et l’historien Marc Boyer, la réduction progressive et inexorable du temps de travail au profit d’une société des loisirs qui deviendra, selon lui, la règle (la  « norme ») au 21ème siècle. 

Aujourd’hui…

Depuis, de nombreux épisodes sont survenus qui ont fait du « droit » à la paresse ou aux loisirs une sorte d’acquis dans les médias, comme d’autres « droits » qui veulent s’imposer à tous, même à ceux qui tiennent à leur mode de vie, au travail et au « french way of life ». 

L’évolution des technologies et le contrecoup de semaines de confinement, suivies de semaines de couvre-feu, ont semble-t-il donné aux travailleurs et salariés français des envies de « chez soi », une appétence pour le repli sur soi et l’auto-confinement, même si on a assisté dans un premier temps à l’effet exactement inverse, dès la réouverture des cafés, des bars et des boites de nuit. Je mets de côté ici l’idée que, pour nombre de mes concitoyens, les voyages ne forment plus la jeunesse mais polluent et vont éteindre la planète…  

La visio (Zoom, Skype, Meet, Teams, BlueJeans), notamment pour les cours, et l’invention de ces deux crypto-concepts de présentiel/distanciel, l’arrivée d’univers en ligne massivement ubiquitaires poussés notamment par Facebook (Metavers ou Metaverse), ont poussé un peu plus loin l’idée que tout pouvait se faire sans bouger de chez soi.  Cependant, dixit nombre de patrons, y compris ceux qui ne sont pas opposés par essence au télétravail, tout ne peut pas se faire « en remote » (à distance). Certains métiers ou certaines missions réclament d’être physiquement présent en un temps T en un lieu L.  

Or, pas plus tard que ce matin, j’ai découvert dans Télématin un reportage d’Anicet Mbida, qui évoque, images à l’appui, que tous les métiers ou presque peuvent désormais s’envisager comme praticables à distance. Pas remis en cause une seule seconde par les animateurs Vignali et Sotto, le chroniqueur ne donne que les bons côtés de cette pratique (à commencer par l’intégration possible de personnes en situation de handicap, mais aussi la réduction des déplacements intra et interurbains qui deviennent un cauchemar, notamment à Paris avec la triste Anne H). 

Bref, avec ces éléments en tête, c’est peu de dire que la session de Shibboleth dans le cycle des « Passions contemporaines » le 9 février va me passionner. Que ce soit sur place (si possible) ou sur Zoom par défaut ! 

Gérard Kleczewski



Le phénomène du cocooning

En amont de la conférence avec Pascal Bruckner, avec Ulysse Manhes et la modération de Michel Gad Wolkowicz, j’ai aussi pensé à ce qu’on appelle le cocooning (les québécois parlent de coucounage). 

Il semble que le terme ait été inventé en 1987 par une consultante en marketing et prévisionniste de tendances autoproclamée répondant au nom de Faith Popcorn (un pseudonyme, sans doute parce qu’elle aime faire son cinéma). 
Mme Popcorn a désigné l’attitude consistant à se trouver si bien chez soi qu’on n’est guère poussé à en sortir excepté pour les nécessités vitales. L’idée est assez proche de ce que l’on nomme en français plus classique un comportement « casanier ». 

Le concept n’a pas eu beaucoup de succès aux États-Unis, mais beaucoup en Europe, et en particulier en France. Dans son ouvrage « The Fortune Sellers: The Big Business of Buying and Selling Predictions », William A. Sherden a démonté l’argumentaire selon lesquelles le cocooning allait prédominer, qui s’est révélé faux selon lui. De 1989 à 1994, contrairement aux prédictions de Popcorn (mais c’était bien avant le Covid), la fréquentation des lieux de restauration a augmenté de 25 % tandis que celle des parcs et des centres de loisir et des musées augmentait de 61 % ; le nombre de voyages a augmenté de 21 %, la participation aux clubs de sport de 22 % et l’achat de billets de cinéma de 20 %. 

Le premier auteur à avoir prévu une attitude généralisée de cocooning dans son futur semble être l’auteur britannique Edward Morgan Forster (Route des Indes, Two cheers for democracy) dans sa nouvelle de science-fiction « La machine s’arrête ». Il y imagine une humanité dont chaque individu vit à demeure dans sa cellule hexagonale, peu désireux de contacts humains directs ou de voyages, et qui ne communique que par le truchement d’appareils électroniques. Il décrit une humanité allant à sa perte parce que les systèmes fonctionnent de plus en plus mal et qui, ayant perdu le goût de l’action, assiste à cette dégradation avec fatalisme, voire indifférence.

Reste que le marketing, et notamment celui des fabricants de meubles, utilise à outrance ce concept de cocooning pour désigner tout ce qui touche à l’environnement intérieur. Son sens dérive lentement vers une identité commerciale, de sorte qu’une personne achetant du matériel pour améliorer son intérieur, pratique le cocooning. On pourra noter l’analogie avec le tuning pour les voitures.

Gérard Kleczewski

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