Face à la polémique persistante, le maire de Lyon a finalement préféré annuler ce lundi 30 janvier sa table ronde consacrée à la Palestine et aux 30 ans des accords d’Oslo. La conférence, annoncée le 24 janvier dernier, aurait dû se tenir le 1er février à l’Hôtel de Ville.
Grégory Doucet a donc choisi de faire marche arrière, comme il l’a confirmé ce lundi matin à Tribune de Lyon, constatant une montée de la « violence verbale » et rappelant que son rôle est « d’assurer la paix civile et la concorde dans la ville ».
Le maire de Lyon a surtout été contraint de prendre en considération la colère d’une grande partie de la communauté juive, choquée par l’invitation faite à l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, mais aussi les risques de troubles à l’ordre public.
La peur d’importer à Lyon les violences du conflit israélo-palestinien
Grégory Doucet a aussi justifié sa décision par le regain de violence au Proche-Orient et les récents attentats perpétrés à Jérusalem. « Je dois tout faire pour que la violence qui est vécue là-bas ne vienne pas ici, même si ma responsabilité est aussi de garantir la liberté d’expression » a-t-il indiqué. « Les conditions ne sont pas réunies pour que l’on puisse la garantir sereinement », a décrit le maire de Lyon.
« Les évènements qui viennent de se produire au Proche-Orient qui aurait pu les prédire ? », interroge Grégory Doucet, « il y a une flambée de violences et on a déjà connu des moments où il y a eu une forme d’importation de cette violence-là. Dans un moment de crispation localement, je ne souhaite pas prendre ce risque. J’agis en responsabilité en tant que maire ».
La préfecture a demandé l’annulation de cet évènement
Les risques de violences ont pris corps notamment après la houleuse cérémonie, organisée le 29 janvier en commémoration de la libération du camp d’Auschwitz.Le nom du maire de Lyon, absent, y avait été violemment hué et sifflé.
Son adjointe le représentant, Florence Delaunay, avait également été prise à partie par de nombreux représentants de la communauté juive, lesquels prévoyaient d’ailleurs d’organiser une conférence de presse ce lundi. Après l’annonce du maire de Lyon, elle a finalement été annulée.
Grégory Doucet se défend toutefois d’avoir envoyé son adjointe au feu, préférant, lui, se rendre aux cérémonies du Nouvel an chinois. « C’est une commémoration où, depuis le début du mandat, mon adjointe aux droits et à l’égalité se rend en mon nom. Le degré d’instrumentalisation est tel qu’il rend impossible le dialogue, ce qui m’importe c’est de le rétablir. Je ne l’ai pas envoyée au casse-pipe, il n’y avait pas de raison de remettre en cause sa participation. On parle d’un évènement dédié à la mémoire des morts d’Auschwitz, la situation actuelle au Proche-Orient n’a rien à voir », s’indigne le maire de Lyon.
La colère perçue dimanche menaçait toutefois de ne pas s’éteindre. Aussi, face à ces tensions, la préfecture avait d’ailleurs elle-même mis en demeure la ville de Lyon de renoncer à sa table ronde, identifiant elle aussi des risques de violences et de débordements en marge de l’évènement.
Une table ronde à l’équilibre fortement contestée
La présence de Salah Hamouri, avocat franco-palestinien proche du FPLP, à cette table ronde avait il est vrai soulevé la colère d’une grande partie de la communauté juive, dénonçant une conférence sans équilibre et à « une seule voix ». De grandes figures comme Alain Jakubowicz étaient montés au créneau et le Grand rabbin de Lyon, Daniel Dahan, avait annoncé son retrait du groupe inter-confessionnel « Concorde et Solidarité » créé par la Ville de Lyon sous Gérard Collomb.
La communauté juive, pour une grande partie, reprochait à Grégory Doucet d’avoir convié un homme réputé proche du FPLP et accusé d’avoir fait partie d’une initiative visant à assassiner un rabbin. Il avait été condamné en ce sens par Israël et expulsé en France. L’intéressé nie les faits et a reçu le soutien de nombreuses ONG, organisations et partis de gauche, le disant victime d’une justice politique et expéditive.
Grégory Doucet ne pensait donc semble-t-il pas que la colère monterait à ce niveau. « On n’avait invité aucun représentant d’une autorité palestinienne, mais un universitaire, le président d’Amnesty, le défenseur des droits humains, des personnalités qualifiées et aussi un témoin, Salah Hamouri. Forcément, on savait que sa présence allait susciter des réactions. Mais c’est quelqu’un de nationalité française, présent sur le territoire en toute légalité. Il a le droit de s’exprimer », explique le maire de Lyon.
Cette formule n’était à tout le moins pas la bonne a-t-il convenu à demi-mots. « On va travailler pour trouver la bonne formule pour mettre le sujet du Proche-Orient, trente après les accords d’Oslo, sur la table et comment faire avancer cette solution à deux États, dont je ne suis qu’un modeste défenseur car c’est la position de la France »
Le risque de rupture avec la communauté juive
Toutefois, face à cette colère et au risque de rupture définitive avec la communauté juive, le maire de Lyon a jugé préférable de faire machine arrière et de renoncer. « J’en suis très attristé. Les problématiques sont d’une très grande complexité. Il est utile d’arriver à parler de cela avec nuance ».
Grégory Doucet déplore par ailleurs « l’instrumentalisation politicienne de la commémoration » de la libération du camp d’Auschwitz et assure qu’il ne peut être pris en défaut sur les sujets mémoriels et sa relation à la communauté juive. « Je mets au défi quiconque de pouvoir me reprocher de pas avoir accorder d’importance à cette question mémorielle. Sur ce point, je suis triste. Mon premier déplacement était à la maison d’Izieu. Le mémorial de la Shoah, qui était un sujet flottant, je m’en suis emparé tout de suite, on s’apprête à installer des plaques dans sept écoles à la mémoire d’enfants déportés », justifie le maire de Lyon.
Pas sûr pour autant que le dialogue puisse reprendre tout de suite. Pour tenter de le renouer, Grégory Doucet a écrit ce lundi aux associations et représentants du groupe « Concorde et Solidarité ». « Jamais nous ne céderons aux exercices identitaires d’essentialisation d’une personne à partir de sa religion ou encore de sa citoyenneté », leur écrit-il. « Jamais nous ne céderons au piège des identités meurtrières, à partir desquelles les volontés de vivre ensemble en paix sont amoindries », ajoute Grégory Doucet.
Et surtout, le maire de Lyon dit son regret concernant le départ du Grand rabbin. « Je suis sensible à son émotion. Je conserve mon amitié pour lui et toutes celles et ceux qu’il représente, et espère de tous mes vœux qu’il reconsidérera sa décision, au regard de l’importance du dialogue interreligieux », explique-t-il.
Des tensions dans la majorité municipale
La décision de Grégory Doucet a également pu se nourrir d’un début de contestation au sein de sa majorité, où plusieurs élus de gauche déploraient aux aussi la tenue de cet évènement. Depuis l’annonce de la conférence, mardi 24 janvier, le sujet a en effet créé des remous au sein même des groupes de la majorité.
« Quand on a reçu l’invitation et qu’on a vu le nom de Salah Hamouri, on a tout de suite demandé une annulation de l’événement », confie David Souvestre, co-président du groupe Lyon en commun. Même constat du côté du groupe Socialistes, la gauche sociale et écologique dont fait partie l’adjointe Sandrine Runel, qui a lui aussi fait pression en interne pour pousser le maire à faire marche arrière.
Ce lundi 30 janvier, l’annonce de l’annulation est perçue comme « un grand soulagement » pour David Souvestre qui regrette tout de même que « les réactions sur Twitter des élus Verts aient ajouté de l’huile sur le feu » ces derniers jours. « Je n’étais pas contre l’idée d’une conférence, mais il fallait être vigilant dans la façon de présenter les choses, précise l’élu du 1er arrondissement. Recevoir Salah Hamouri dans le salon Justin Godart, ancien maire de lyon et Juste parmi les nations… Ce n’était pas pensable ! Ils (les écologistes, NDLR.) ne mesurent pas l’épaisseur de notre ville et de son histoire. »
« Cette annulation est un bon signal, qui marque une volonté de compréhension et d’apaisement de la part de la Ville », estime quant à elle Sandrine Runel.
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