Orly Ben-David. La censure, l’auto-censure et l’atteinte à la liberté d’expression au sein des Universités israéliennes


Perditions idéologiques
Discussions sur la propagation des idéologies dangereuses – ISSN 2781-0496

Une grave tension s’invite dans les universités israéliennes depuis que la droite est arrivée au gouvernement. Depuis une semaine, des événements scandaleux se sont produits au sein de plusieurs campus israéliens. Ces événements sont la conséquence de ressentiment et de frustration contre la réforme judiciaire proposée par le ministre de la Justice actuel, Yariv Levin.

La gauche et l’extrême-gauche ne cessent de défiler dans les rues de Tel-Aviv depuis plusieurs jours. Le lundi 16 janvier, des activistes ont ainsi décidé de faire entendre leur colère dans tous les campus israéliens, de Tel-Aviv à Jérusalem, de Bar-Ilan à Ben-Gurion. Des étudiants mais aussi des enseignants manifestaient – et continuent de manifester – contre la réforme.

La contre-manifestation du plus grand mouvement étudiant israélien sioniste, Im Tirtzu

Or, dans le même temps, d’autres étudiants se sont rassemblés pour contrer cette manifestation. La contre-manifestation était organisée par le plus grand mouvement étudiant israélien sioniste, Im Tirtzu[1].

Les choses se sont malheureusement vite dégradées et des étudiants d’Im Tirtzu se sont fait insulter par un professeur à l’université de Tel-Aviv.

Dans une vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux, et qui a été republiée par Israël Hayom, ce dernier a insulté les étudiants de droite sioniste, en les appelants « fascistes »; il a juré de ne pas leur donner de bourse et a également traité le journaliste qui l’interrogeait de « pute ». Voir lien ci-dessous:

https://www.israelhayom.com/2019/06/04/hebrew-u-professor-calls-pro-israel-student-activists-nazi-dogs/

Un scandale éthique: quand l’enseignant devient militant politque

Normalement, le dissensus fait partie de toute société démocratique, son existence et son expression sont corrélatives à la liberté d’expression. En revanche, l’injure, combinée à l’amalgame, est une forme de violence verbale dont l’objectif est d’imposer le silence à l’autre. La déontologie universitaire suppose que les enseignants transmettent du savoir, qu’ils agissent avec éthique et responsabilité à l’égard de leurs étudiants. Même s’il s’agit d’un désaccord fondamental concernant les sujets d’actualité, le respect d’un point de vue différent est une exigence minimale de la cohabitation commune. Ce respect ne suppose pas l’adhésion au point de vue adverse, il suppose simplement qu’on laisse la place à la différence au sein des sociétés démocratiques. Or, lorsque un enseignant en poste se transforme en militant politique au sein même de l’université et menace ses étudiants de les punir en les privant d’une bourse d’étude à cause de leurs vues politiques, il dépasse complètement son rôle. L’incident a fait le tour des réseaux, mais les institutions universitaires israéliennes ne se sont pas prononcées sur ce scandale éthique, ni n’ont annoncé de mesures contre le manque de déontologie de cet enseignant.

Censure intellectuelle et délit de la liberté de pensée et d’expression

Un autre incident est également survenu au sein de l’Université hébraïque de Jérusalem. Un enseignant a catégoriquement refusé l’entrée dans son cours aux étudiants d’Im Tirtzu. N’avons-nous pas affaire à une censure intellectuelle ainsi qu’à un délit de la liberté de pensée et d’expression ? N’est-ce pas antithétique, de la part de ces professeurs qui prônent la démocratie, le pluralisme et la liberté de la parole de transgresser les lois fondamentales de l’État démocratique qui garantit cette liberté à tous ses citoyens ? Et quelles seront les conditions d’études de ces étudiants à l’avenir ? Pourquoi Im Tirtzu est-il autant craint et déprécié ? Y-a-t-il matière à s’inquiéter ?

Im Tirtzu disqualifié pour ses positions, qualifiées « à droite »

Im Tirtzu est notamment et surtout disqualifié pour ses positions, qualifiées à droite. Cette association soutient l’idéologie sioniste, la défense de l’État d’Israël et de ses soldats, combat l’antisionisme et l’antisémitisme dans le pays (car les deux existent au sein même d’Israël), soutient des familles israéliennes ayant perdu des proches dans des attentats terroristes, manifeste partout en Israël, dès que l’existence de l’État est attaquée et délégitimée, visite des survivants de la Shoah pour leur tenir compagnie, et souhaite conserver l’identité juive du pays. Cependant Im Tirtzu est accusé de la part de la gauche et de l’extrême-gauche d’islamophobie et d’extrémisme de droite. Or, les manifestations publiques de Im Tirtzu visent le terrorisme palestinien, le soutien financier aux Palestiniens, par rapport auquel la position de la gauche israélienne n’est pas toujours claire. Im Tirtzu  proteste également contre les discours de certains enseignants israéliens qui soutiennent ouvertement le boycott d’Israël, en faisant preuve de l’antisionisme, qui peut mener à l’ostracisme des Juifs israéliens en Europe et aux États-Unis. 

Voilà comment les amalgames arrivent, par peur, par crainte, par ignorance voire par haine ou abus de certaines idées politiques. Par ailleurs, dans le contexte actuel, les manifestants contre la droite veulent se convaincre que l’État deviendrait un « monstre fasciste » et qu’une nouvelle réforme judiciaire nous plongerait dans une théocratie religieuse. Mais n’y a-t-il pas danger lorsqu’on en vient à convaincre et à se convaincre soi-même que le fascisme est sur le seuil de notre porte ? Cela ne reviendrait-il pas à dénaturer et à minimiser les réelles atrocités qu’ont vécues nos grands-parents et les réelles victimes de théocraties contemporaines ? Eux savent vraiment ce qu’est le fascisme, le nazisme, l’antisémitisme, la censure, l’atteinte à la liberté d’expression, l’atteinte à la liberté de pensée. Peut-on vraiment comparer la situation en Israël à une Italie sur le point de se fasciser ? 

D’autre part, en regardant de près ces manifestations, j’y voyais surtout des drapeaux de Shalom Ahchaf, l’ONG israélienne anti-sioniste, notamment à l’université de Jérusalem et de Tel-Aviv. On pouvait aussi y lire des pancartes comme : « Non à l’apartheid » ou encore « Non à la colonisation » (sic !).  On se croirait à une manifestation des Indigènes de la Républiques en France. Quel rapport avec la réforme judicaire ? Ces manifestations sont-elles vraiment le fruit d’une colère ou bien sont-elles le miroir d’une haine contre la droite, le sionisme, l’État d’Israël lui-même, dans son essence et dans ce qu’il représente ? Cette gauche radicale, – et bien sûr l’extrême-gauche, – aiment utiliser dans leur rhétorique des amalgames grotesques, en appelant la politique de droite comme un mouvement politique fasciste et dangereux pour la démocratie. Mais la droite a également eu sa part d’angoisse lorsque le mouvement politique précédent accueillait en son sein une extrême-gauche antisioniste et le parti islamique RAAM, qui ne manifeste pas sa joie non plus (ô ironie !) face à l’existence de l’État d’Israël en tant qu’État juif. Je ne me rappelle pas non plus, durant ces temps, que la droite ait autant manifesté que la gauche lorsque cette dernière était au pouvoir. La droite faisait justement preuve de tolérance face à la sortie de la gauche des urnes, bien que très inquiète pour la sécurité future des Israéliens et du pays. De plus, et lorsqu’il y avait manifestation, je n’y voyais pas non plus des drapeaux symbolisant l’ennemi, ni de représentations odieuses comparant un Lapid ou un Bennett à un fasciste voire à un crimeminister. Par ailleurs, on avait aussi pu voir une poupée de Netanyahou déguisée en nazi à la place de Paris à Tel-Aviv. C’est encore le cas hier soir durant une manifestation où une manifestante a comparé Netanyahou à Hitler (sic !) La limite du raisonnable a été largement dépassée, prouvant (s’il s’en faut !) que le peuple juif oublie vite son Histoire.

Pour finir sur un dernier évènement, cette semaine au sein même de mon travail à l’université Bar-Ilan. Une étudiante s’est permis de traiter le gouvernement de droite de « racistes » dans un groupe de travail WhatsApp. En suivant l’analogie perelmanienne, ceux qui ont donc voté pour ce gouvernement seraient des racistes. Il n’y a pas eu d’avertissements ni aucune remise à l’ordre de la part du personnel pour injure, bien au contraire. Les conséquences sont désastreuses : le personnel tout comme les étudiants se retrouvent devant une autocensure. En effet, le message que renvoie l’Université est contraire à l’éthique, car elle dénigre l’intégrité des personnes ayant une opinion autre que celle de la gauche et de l’extrême-gauche. Les victimes de ces injures sont invitées à ne pas parler, pour conserver l’image et le prestige de l’université. En somme, si les gens de droite se retrouvent à être insultés, ils doivent se taire. En écrivant ces lignes, et alors que j’avais demandé directement à l’étudiante de parler avec plus de retenue, ma supérieure m’a appris que je n’étais plus désirée au sein de l’équipe de mon travail. Je n’ai aucune preuve que mes opinions soient la principale raison de mon licenciement – et bien entendu, personne ne le dira jamais – mais la situation est tellement mauvaise que je ne peux que m’en douter.

Y a-t-il censure et atteinte à la liberté d’expression au sein de l’Université israélienne?

Certains me diront : « la démocratie, ce n’est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité ». Ceux qui soutiennent cet argument en Israël se rapprochent dangereusement de la rhétorique propalestinienne accusant la majorité des Israéliens de racisme. La gauche assimile tout un peuple à un groupe de déficients mentaux, incapables de savoir  pour qui et pourquoi ils votent. Mais surtout, ces derniers ne se préoccupent pas de jeter le bébé sioniste de droite dans les eaux sales du racisme, justifiant par effet ricochet les affirmations de médias mondiaux de gauche et d’extrême-gauche qui comparent Israël à un État raciste et d’apartheid (voire nazi !). État dont l’existence, on le sait, est déjà sérieusement menacée. Je rejoins la théorie d’Austin et de Searle pour qui le langage politique est performatif. Il est en effet impossible de séparer certaines paroles de leurs effets pragmatiques. En s’alignant sur la rhétorique de la hasbara anti-israélienne, les radicaux de gauche jettent de l’huile sur le feu et affaiblissent les chances de survie de l’État d’Israël.

Lorsqu’il s’agit de passer le flambeau du pouvoir politique dans une nouvelle main, tous les coups sont permis, allant jusqu’aux provocations, s’il le faut, d’une nouvelle guerre entre les Juifs du pays.

Nous savons que le consensus concernant la liberté d’expression n’est plus qu’un mythe. Je me réfère ici à ce qu’on appelle aux Etats-Unis le « free speech war« . Il faut se rappeler que le principe de la liberté d’expression absolue a été mis en place aux Etats-Unis par deux juges (Holmes et Brandeis) de la Cour suprême des Etats-Unis, en 1920. Ce principe est brandi à la face du monde comme un des exemples parfaits à suivre. Et en effet, la liberté d’expression se veut le corollaire du principe de la souveraineté du peuple, inextricablement liée au modèle démocratique. Mais beaucoup font connaître leur doute quant à la possibilité d’une réalisation pacifique et sereine de la liberté d’expression absolue au sein des sociétés. Stanley Fish (1994), par exemple, souhaitait une régulation de celle-ci car l’utilisation abusive de la liberté d’expression dans les argumentations faisait face à un nouveau phénomène problématique et justement anti-démocratique : la création d’inégalités.

C’est exactement ce qui est en train de se passer dans les universités : la gauche radicale vide de son sens des concepts fondamentaux,  comme le principe de la liberté d’expression en créant des inégalités entre les étudiants ayant une opinion autre que la leur. Ainsi, la liberté de la parole et de la pensée est protégée par le premier amendement, au détriment de l’égalité de la pluralité des opinions. C’est exactement ce que les deux professeurs de l’université de Tel-Aviv et de Jérusalem ont fait. La liberté d’expression devient-elle ainsi une liberté négative qui nuit l’épanouissement intellectuel et social des étudiants, car elle se transforme en censure et en autocensure. Interdire l’entrée dans les cours aux étudiants,  ayant une opinion politique autre, dépasse largement les limites du raisonnable, mais surtout le cadre démocratique dont ces pseudos-démocrates se réclament. Il y a donc bien une forme de censure et une manière de réduire au silence les opposants. Comme disait R. Barthes : « C’est celle où on contraint de parler et de penser. Elle impose des contraintes quant à ce qui est ou non acceptable ».  Pour faire court, si on ne suit pas le groupe, on sort du groupe.

Il conviendrait de revenir au débat et à un dialogue posé entre les partis politiques en Israël, sans se déchirer les uns et les autres. Il conviendrait aussi de dépasser le traumatisme causé par le meurtre commis par Ygal Amir,  pour construire de nouvelles bases saines en politique. Pour le bien des étudiants, mais aussi de la démocratie en Israël, si l’on ne veut pas arriver un jour à une catastrophe.

« כי אין ארץ אחרת ».

© Orli Ben-David

Orli Ben-David est étudiante à l’université Bar-Ilan


[1] « Im tirzu » veut dire « si vous le voulez » et fait référence à la célèbre phrase de Theodore Herzl, fondateur du sionisme laïque,  auteur de « L’état des Juifs » où il montrait que l’État des Juifs n’est pas un rêve.


La censure, l’auto-censure et l’atteinte à la liberté d’expression au sein des Universités israéliennes.

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« Perditions idéologiques »

Blog de Georges-Elia Sarfati, Yana Grinshpun, Roland Assaraf et Jean Szlamowicz, « Perditions idéologiques » se définit ainsi: « Nous aimerions présenter ici la déconstruction de ces discours qui nous semblent saper le fondement de la liberté de la pensée et nuire à la vie démocratique de la cité. Nous le faisons en nous appuyant sur les concepts et méthodes de l’analyse du discours, la psychologie sociale, la logique, la linguistique et l’histoire des idées. Ce blog se présentera comme un travail d’analyse de chercheurs engagés, mais pas enragés, pour reprendre la formule d’un linguiste et analyste du discours Alain Rabatel ».

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2 Comments

  1. C’est exactement ce que j’avais pointe du doigt dans deux commentaires précédents : l’américanisation (ou l’europeisation) et la wokisation de la classe politique et la société Israéliennes. Phénomène préoccupant en voie d’accélération : c’est de très, très, très mauvais augure.

  2. la puissance de l’analyse d’une pensée critique et constructive, résulte de ce que celui qui la raisonne
    prend comme base de réflexion la réalité et les faits, et non l’idéologie du moment ou celle dominante.
    exprimer par le raisonnement et sans parti pris un fait, permet de distinguer le sujet de la chose réfléchie, et ainsi de voir la réalité par le prisme de la vérité factuelle. shalom…

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