L’entends-tu ? Entends-tu ce chant lointain qui bourdonne sans cesse autour de moi, tantôt obsédant tantôt harceleur, tantôt charmeur ? Cet hymne soviétique chanté par le chœur de l’Armée Rouge, où l’ai-je entendu d’ailleurs la première fois. Il s’approche et s’éloigne comme une vague perpétuelle échappée de l’océan, dans le silence feutré de la nuit, nourrissant malgré lui et paradoxalement l’espérance et la liberté.
Les paroles de cet hymne me sont pourtant inconnues et incompréhensibles, mais son aria tend à se confondre en une complainte me rappelant douloureusement l’effroi, le supplice, l’agonie de ces millions de gens, en Europe, en Ukraine, en Russie et ailleurs, tombés sous le feu barbare d’une soldatesque criminelle pour qui l’humanité, et en particulier le peuple Juif, n’est que vermine à exterminer ou espèce non-humaine à éradiquer…
Vois-tu, parfois mes pensées se perdent dans le tréfonds de mon âge, faisant remonter le souvenir de l’enfant que j’étais et qui voyait, sans comprendre, son grand-père maternel, son « papa-dido » le patriarche derrière deux rangs de grillages et de barbelés, le visage blême et le sourire blafard, interné comme des centaines d’autres hommes dans un camp de prisonniers civils durant la sale guerre d’Algérie. Cette image m’est restée gravée au fin fond de ma mémoire, une mémoire d’enfance qui refuse de s’effacer et qui, au contraire et au fil du temps, au-delà du trouble qu’elle aurait pu m’occasionner, m’a appris à distinguer et à mesurer la souffrance humaine, l’exclusion, l’injustice et les vicissitudes de la violence.
C’est alors qu’à mon adolescence, flânant dans une librairie de la ville rose à Toulouse, je découvrais les ouvrages de Christian Bernadac, un historien-écrivain fils de résistant, qui allaient m’ouvrir l’esprit sur les horreurs et l’abjection dont l’humain est capable de commettre sur ses semblables.
Curieux mais non-moins fébrile, j’achetais un à un ses livres que je parcourais, que dis-je, que j’avalais tour à tour tel un passionné d’histoire, tel un assoiffé de l’érudition, tel l’explorateur d’un monde nouveau, d’un monde parallèle horrible et ténébreux, sanguinaire et démoniaque. « Les médecins maudits », « Le train de la mort », « Les mannequins nus », « Le camp des femmes », tout autant de documents du même auteur qui ont forgé ma conscience sur la véritable nature de l’humanité, à travers les tragiques abominations que subirent les juifs dans les camps de la mort, lors de la seconde guerre mondiale.
Ah, ces maudits barbelés… !!!
En ce 27 janvier, jour de commémoration de la libération du camp d’Aushwitz par l’armée soviétique, en cette célébration de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, j’ai une pensée émue pour tous mes amis juifs de France et d’ailleurs, pour la communauté tzigane que j’ai rencontré récemment près de chez moi. Je vous réitère toute ma fraternité.
© Mohammed Guerroumi
Musulman rationaliste, engagé et laïc, nommé en 2016 Délégué régional à l’instance nationale de dialogue avec l’islam, Mohammed Guerroumi est très impliqué dans le dialogue interreligieux. Auteur à Causeur, il est un des Signataires du « Manifeste contre le nouvel antisémitisme
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