Un thriller biographique, c’est comme cela qu’on pourrait définir cet ouvrage. Car François-Xavier Freland, s’il est journaliste et reporter international intrépide, n’en est pas moins un romancier de talent. Avec son style bien à lui, incisif, un peu haletant, il nous emporte en phrases rythmées, dans un jeu de miroirs. Cette randonnée parisienne menée au pas de charge à travers les rues de la capitale, nous amène à bout de souffle jusque sur la côte ouest des États-Unis où Henry Miller termine sa vie comme il l’a menée : paradoxal, jouisseur ascétique un brin exhibitionniste. Et toujours indéfectiblement lié à la France.
“C’est en France que cet Américain se révèle à lui-même”
“C’est sur son lit de mort, à Pacific Palisades, qu’il donne une célèbre interview quasi posthume, à la télévision française, avec une mise en scène aussi impudique que ses écrits érotiques des années parisiennes”. C’est en France que cet Américain se révèle à lui-même. Dès les années 30, grâce à des amis intimes qui sont comme des jumeaux, Blaise Cendras, écrivain grand voyageur, et le photographe Brassaï qui l’introduit au monde intellectuel et artistique de l’époque. Et à travers une foule de rencontres jusqu’aux années 60, comme celle avec Georges Simenon en qui il se reconnait sans doute un peu lorsqu’il lui dit dans un échange amical : “Je considère l’homme qui balaie dans la rue, ou qui sert dans un restaurant, l’égal de tout le monde, de moi”.
Mais ce n’est pas seulement cette sensibilité à l’humain dans sa touchante légèreté ou sa tragique banalité qui le rapproche de Simenon. Sans doute a-t-il aussi perçu chez lui “l’homme aux dix-mille femmes”. Pas qu’Henry Miller ait été à proprement parler un “homme à femmes”, un collectionneur ou un obsédé sexuel. Henry Miller est plutôt un homme qui aime les femmes, fasciné par le mystère de l’altérité. Comme pour son compatriote Philip Roth le Professeur de désir qui pourrait être un autre double, le sexe par la passion et l’excès qu’il peut provoquer ouvre à une autre dimension, celle du “plus” et de la création.
Henry Miller ne serait pas sans les femmes
Il a eu cinq épouses mais c’est la seconde, June Mansfield, et son amante Anaïs Nin qui ont été les plus décisives pour son devenir d’écrivain, par leur soutien à la fois financier et intellectuel, et par le partage de leur entregent. June, fut “le déclic”, celle qui lui fit connaître Paris, les mœurs libres et les affres de la passion amoureuse. Anaïs Nin, quant à elle fit connaître Henry Miller. D’abord en lui présentant « les bonnes relations. Parmi elles, deux personnes déterminantes, Bradley, son futur agent et Jack Kahane, ex-industriel britannique (…) qui s’engage presque aussitôt à publier “Tropique du Cancer”. Puis par ses propres ouvrages : “J’ai donné de l’amour… Henry a merveilleusement bien utilisé mon amour : il en a fait des livres”, résume-t-elle dans “Inceste”. Or aujourd’hui en France, Anaïs Nin qui a fait de lui un personnage central de son Journal, est sans doute plus connue qu’Henry Miller. Pourtant, leurs œuvres n’ont-elles pas été écrites comme en miroir ainsi que le laisse à voir leurs écrits érotiques croisés ?
“Anaïs Nin débride son corps et son esprit à son contact, il trouve en elle inspiration et assurance”
Anaïs Nin, l’autre féminin d’Henry Miller : libérée, toujours libre. Contrairement à ce que prônent aujourd’hui des pseudo-féministes la sexualité hétérosexuelle n’est pas forcément maquée du sceau de la domination patriarcale, ni d’avantage exclusive d’une sexualité plurielle où l’homosexualité a elle aussi sa place. Si la passion amoureuse est toujours ravageuse, elle est aussi libératrice et créatrice. Si Henry Miller aime les femmes, il n’est pas misogyne et sa relation avec Anaïs Nin en témoigne. La réciprocité est au cœur de leurs démarches créatives respectives. Ils se soutiennent et se lisent mutuellement. Elle débride son corps et son esprit à son contact, il trouve en elle inspiration et assurance. Et bien loin de la relation de couple monogamique !
Comme le dit François-Xavier Freland : “Miller aime les humains, sans différence de sexe, avec un léger complexe d’infériorité néanmoins pour la femme… Et s’il se sert des autres, il a au moins le mérite d’utiliser autant ses amis hommes que femmes”. Notre époque du rejet de l’universalisme humaniste, du boomerang puritain, de la peur de la chair sous toutes ses formes, de la viande rouge saignante au sexe affranchi des injonctions moralisatrices, tendrait à reléguer Miller à l’enfer des bibliothèques. Osons donc lire et relire Henry Miller ! François-Xavier Freland nous y invite avec fougue et élégance, dans une empathie fascinante avec son auteur fétiche. En nous glissant dans ce “rêve parisien”, c’est déjà l’atmosphère des livres d’Henry Miller qui nous saisis, grâce à son autre double contemporain, l’écrivain, l’amoureux, l’ermite d’”Un été à Anafi”, le roman précédent de François-Xavier Freland.
© Renée Fregosi
Henry Miller, un rêve parisien, de François-Xavier Freland,
Ed. Magellan, 180 p., 15 €
Philosophe et politologue, Renée Fregosi est membre de l’Observatoire du décolonialisme (http://decolonialisme.fr/)
Dernier ouvrage : “Comment je n’ai pas fait carrière au PS. La social-démocratie empêchée”. (Ed. Balland mai 2021)
Anais Nin est un auteur plus intéressant que Miller, je trouve. Son journal, certains de ses romans ou encore ses nouvelles érotiques (“Venus Erotica”) valent vraiment le détour.
Anais Nin était une femme d’autant plus libre qu’elle aimait les hommes. Et elle aimait les hommes parce qu’avant tout elle s’aimait elle même.
A l’inverse les feminazies américaines et européennes se détestent en tant que femmes (mais S’agit-il de femmes ???) et ensuite projettent leur haine d’elles-mêmes sur les hommes. Au fond la misandrie n’est souvent rien d’autre qu’une forme inconsciente et particulièrement virulente de la misogynie.
J’aurais bien aimé que Freud vive à notre époque pour pouvoir analyser ce phénomène occidental pathologique et endémique. Et en toute honnêteté je comprends parfaitement que les Russes, les Asiatiques ou les Africains ne veuillent pas avoir de spécimens du “genre” Virginie Despentes ou Sandrine Rousseau chez eux.