Des photos inédites du soulèvement du ghetto de Varsovie retrouvées 80 ans après

Le 19 avril 1943, la veille de Pessa’h, les dernier juifs du ghetto de Varsovie se soulèvent contre les troupes nazies qui mènent une opération de déportation.  » Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d’ici, déclare le militant de la résistance juive Arie Wilner, nous voulons sauver la dignité humaine « . Dans un élan désespéré, l’insurrection se met en place autour, notamment, de l’Organisation juive de combat. Fuites, cachettes, prises d’armes… Les soldats SS sont pris de court par la révolte. Elle est écrasée un mois plus tard : le ghetto est bombardé et rasé, la grande synagogue de la capitale polonaise, détruite. 6 000 juifs meurent dans les combats ou se suicident, 7 000 sont fusillés sur place. Les autres sont déportés, quelques miraculés y réchappent en fuyant par les égouts de la ville.

Jusqu’à alors, les images que nous avions de l’insurrection de ce ghetto créé un an après l’invasion de la Pologne, en 1939, étaient celles prises par des soldats allemands et servaient la propagande du régime en guerre. Notamment les 53 clichés en annexe du « rapport Stroop », que Jürgen Stroop, le responsable SS des opérations contre l’insurrection du ghetto de Varsovie, adressa à ses supérieurs, Friedrich Krüger et Heinrich Himmler. On y retrouve la célèbre photographie du petit garçon du ghetto de Varsovie, légendée « Extraits de force des bunkers« . Avec ses mains levées en signe de reddition, position qu’on réclame d’un combattant devant l’ennemi, son regard effrayé sous la menace d’un pistolet-mitrailleur, la postérité a voulu que ce Gavroche condamné figure, presque à lui seul, la traque des civils juifs par les nazis.

Une pellicule oubliée, au fond du grenier…

Mercredi 18 janvier, le musée de l’histoire des juifs de Pologne, le POLIN Museum, a révélé 33 images inédites du soulèvement de Varsovie. Celles-ci sont d’autant plus rares qu’elles n’ont pas été prises par l’occupant allemand, mais par Zbigniew Leszek Grzywaczewski, un pompier polonais âgé de 23 ans. L’homme intervenait alors dans le ghetto incendié par les nazis.  » Cette pellicule est un document inestimable car elle dépasse cette perspective allemande (…), celle des bourreaux qui photographiaient les juifs comme des victimes déshumanisées, anonymes « , a déclaré Jacek Leociak, historien de l’Holocauste, lors d’une conférence au musée de l’histoire des juifs polonais.

L’existence de 12 photographies de cette série était déjà connue des spécialistes de l’Holocauste. Mais elles n’existaient que sous la forme d’empreintes sur du papier de mauvaise qualité, dans un cadrage étroit. Elles avaient été transmises par Zbigniew Leszek Grzywaczewski à une famille juive cachée dans son appartement qui, après la guerre, a émigré aux Etats-Unis. Dans les années 1990, celle-ci en a fait don au Mémorial de l’Holocauste, à Washington. En pleine préparation d’une exposition sur le ghetto de Varsovie, en août 2022, le musée Polin a contacté la famille du photographe de la série conservée au mémorial américain, dans l’espoir de retrouver d’autres clichés. C’est au fond d’un grenier, dans un carton abandonné depuis des années, que Maciej Grzywaczewski a retrouvé la pellicule miraculée, au milieu des archives de son père, décédé en 1993.  » Nous savions que mon père avait participé à l’insurrection du ghetto de Varsovie parce qu’il y avait été blessé, et qu’en tant que pompier, il avait aidé à éteindre les incendies, confie Maciej Grzywaczewski au magazine Newsweek. Mais il ne nous avait jamais dit qu’il avait pris des photos dans le ghetto. Peut-être parce que c’était trop dur « .

Autour de nous, une mer de feu

Flammes au-dessus du ghetto de Varsovie après la révolte, avril-mai 1943.© AFP – Les archives familiales de Maciej  Grzywaczewski, Musée POLIN

Pas de scènes de combat sur ces images. Sur l’un des photographies retrouvées, en haut de cette page, un groupe de femmes, d’hommes et d’enfants est escorté par les soldats allemands. Ils se tiennent de part et d’autre du cortège, balisant le chemin vers Umschlagplatz, d’où partaient les convois pour les camps d’extermination. « Je garderai toute ma vie en tête l’image de ces silhouettes chancelantes de faim et d’effroi, sales, déchirées, écrit Zbigniew Grzywaczewski, en mai 1943, dans le journal qu’il tient pendant la guerre. Des gens fusillés massivement, et des vivants qui se prennent les pieds dans les cadavres à terre« .

La bobine dévoile aussi des scènes de vie quotidienne autour du ghetto en flammes, des femmes qui se promènent dans le parc Lazienki, par exemple. On y voit aussi « le monde des hommes au travail, c’est-à-dire en guerre – des soldats allemands et des pompiers polonais faisant leur devoir« , commente pour Newsweek Barbara Engelking, professeure au Centre de recherche sur l’Holocauste de l’Académie polonaise des sciences. Des images qui évoquent les mots du poète polonais Czesław Miłosz. Dans Campo di Fiori, il dessine ce « printemps à Varsovie, près des gaies balançoires » où « la vive mélodie faisait taire les coups de canon au ghetto« .

L’une des photographies prises par Zbigniew Leszek Grzywaczewski dans le ghetto de Varsovie.
© AFP – ZBIGNIEW LESZEK GRZYWACZEWSKI

Sur la photographie ci-dessus datée du 20 avril 1943, Zbigniew Leszek Grzywaczewski assiste à l’incendie de maisons abandonnées par la population juive lors de l’évacuation du ghetto. De la fenêtre marquée d’une croix, environ six personnes sautèrent du balcon et moururent.

Dans ses journaux, le pompier raconte avoir tenté de lutter contre le pillage des maisons promises à la destruction, en vain : « Quatre semaines sont passées comme ça. Brûler une maison à la fois est devenu la règle, on savait que, tel jour, c’était dans telle rue que les Allemands mettraient le feu. (…) Ceux qui ont été chassés ont été dépouillés, puis précipités dans la zone de rassemblement, escortés jusqu’aux chemins de fer de la rue Stawki [Umschlagplatz], et emmenés dans une direction inconnue. La rumeur veut qu’ils aient été envoyés dans un camp de concentration à Treblinka, et de là… dans l’au-delà. »

Grzywaczewski raconte aussi, aux dernières pages de son carnet de guerre, l’impression indélébile que lui fit la vision de ces juifs s’échappant de sous-sols transformés en cachettes :

« Ce n’étaient pas des visages d’humains, mais plutôt ceux de demi-animaux au regard halluciné et presque inconscient. Les yeux plissés par le soleil (ils s’étaient cachés plusieurs semaines dans de sombres sous-sols), des silhouettes affaiblies par la faim et la terreur, sales, dépouillées. Ils ont été abattus en masse, certains d’entre eux, encore vivants, tombaient sur les cadavres de ceux qui avaient été liquidés. »

L’image témoin

Un incendie rue Nalewki, à côté du parc Krasinski, lors de l’évacuation du ghetto le 20 avril 1943 à Varsovie. Archives de Maciej Grzywaczewski, Musée POLIN. © AFP – ZL GRZYWACZEWSKI / MACIEJ GRZYWACZEWSKI ARCHIVE / POLIN MUSEUM

« Depuis l’enfance, je tourne et retourne psychiquement autour d’une telle situation, celle du ghetto de Varsovie entre 1939 et 1943. Comprendre cette situation défie notre imagination« , confiait le philosophe Georges Didi-Huberman dans son essai Éparses (Minuit, 2020), récit de sa plongée dans les archives du ghetto de Varsovie du fonds « Oyneg Shabes ». « J’essayai surtout de comprendre la force extraordinaire – extraordinaire parce que désespérée, aussi certaine de son bon droit que de sa défaite prochaine – qui avait porté un petit nombre de personnes à se révolter contre l’oppresseur nazi, ecrit-il. Désir immense de soulèvement. Désir brûlant ; désir bientôt brûlé, tout ayant fini en cendres et en gravats, puisque le ghetto fut incendié et rasé sur ordre du général SS Jürgen Stroop.« 

La découverte de cette pellicule, les vues inédites qu’elle nous offre, permet de poursuivre ce travail iconique de témoignage. Ces images qui prolongent notre regard sur cet événement et ce lieu de l’histoire Shoah, seront dévoilées au public lors de l’exposition « Autour de nous une mer de feu. Le sort des civils juifs pendant le soulèvement du ghetto de Varsovie » au musée de l’Histoire des Juifs polonais de Varsovie, à partir du 18 avril 2023. La veille du 80e anniversaire du déclenchement du soulèvement du ghetto.

Source : , https://www.radiofrance.fr

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4 Comments

  1. Les martyrs du ghetto se sont battus avec des clopinettes.Les allies auraient pu au moins ecraser sous les bombes de l aviation a long rayon d action les voies ferrees utilisees par les bourreaux du reich,notamment celles qui menaient aux camps,ce qui ne fut jamais fait.

  2. Des armes legeres de 14-18 en quantites ridicules,pas de stocks de munitions,aucune arme lourde… c etait foutu d avance.Mais avaient ils d autres choix ? La Pologne n etait pas liberable avant 18 mois.Le ghetto etait tellement rikiki que les parachutages allies seraient tombes en zone allemande.Ce fut donc un combat pour l honneur qui donna des sommets d horreur.

  3. Ne critiquons pas continuellement les Alliés par ignorance . J’ai 90 ans . Les rescapés comme moi nous leur sommes profondément reconnaissants . Dans les cimetières militaires de Normandie , ils sont des milliers enterrés , morts pour nous sauver et nous apporter la liberté . Gardons les dans notre mémoire et en notre coeur .
    Bombarder les lignes de chemin-de-fer qui menaient à Treblinka ? En ce temps-là , les avions-bombardiers n’avaient aucun moyen de viser correctement leurs cibles . Par chance , je suis sorti indemne de leurs bombardements qui causaient surtout d’énormes dégâts collatéraux et de nombreuses victimes innocentes . Une seule vérité : à bas la guerre !

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