Georges Bensoussan. En savoir la genèse pour comprendre le conflit israélo-arabe

« Les Origines du Conflit israélo-arabe ( 1870-1950) » 1.
Georges Bensoussan. Que Sais-je? 18/1/2023

Revenir sur « Les Origines du Conflit israélo-arabe ( 1870-1950) » 1 , tel est le projet de Georges Bensoussan dans l’Edition Que sais-je ? parue hier 18 janvier : sujet surabondamment couvert par des médias qui persistent à traiter, depuis 1967, ce conflit israélo-arabe sous le prisme d’un interminable conflit israélo-palestinien, oublieux d’en évoquer la genèse, faute peut-être de la maitriser. Décidé à montrer que les discours dominés par la propagande sont à mille lieues d’une véritable connaissance historique, l’auteur mettra en lumière l’importance de la dimension culturelle et anthropologique dans la connaissance d’un conflit qui perdure et dont aucun des schémas explicatifs classiques n’est parvenu depuis cent quarante ans à rendre compte. 

Voilà le projet de l’historien défini d’emblée : parti de l’intuition que l’origine de l’événement recèle une vérité profonde qui, sans déterminisme, indiquerait en creux sa direction ultérieure, il entreprend de rappeler au préalable la réalité du milieu du XIXème siècle, et de regarder ce qu’est alors la Palestine : montrer à ses lecteurs que c’est bien avant 1914 qu’a pris forme dans les discours à la fois des élites arabes, de la vieille communauté juive séfarade et des sionistes d’Europe orientale ce qui n’est pas seulement le choc de deux nationalismes mais aussi un affrontement culturel recouvert par un conflit religieux et d’innombrables polémiques sur la nature du projet sioniste, tel est le projet de Georges Bensoussan pour interroger les enjeux et les discours du XXème siècle ; les schémas d’explication classiques et autres simplifications s’étant avérés inaptes à rendre compte de la singularité d’un conflit déterminé par la nature atypique du mouvement national juif, le lecteur comprend la nécessité d’en décrypter la genèse, d’interroger les certitudes des deux camps et de questionner les enjeux en cause chez chacun d’entre eux :  si ce conflit met en scène deux nationalismes qui se disputent une même terre, il oppose aussi deux sociétés séparées par des blocages d’ordre culturel essentiels mais trop souvent sous-estimés, engendrant deux discours cheminant parallèlement, animés par des logiques également légitimes, mais qui demeurent encore généralement ignorants l’un de l’autre. 

Après avoir délimité le théâtre du conflit et expliqué qu’au milieu du XIXème siècle la Palestine était une entité qui n’existait pas et faisait partie d’un grand ensemble appelé la Syrie et englobant le Liban d’aujourd’hui, la Syrie d’aujourd’hui, les territoires palestiniens d‘aujourd’hui y compris Gaza, et l’État d’Israël d’aujourd’hui, au point, écrit Bensoussan, qu’on distinguait si peu la Palestine de la Syrie qu’on parlait de Syrie du Sud, il poursuit : 

C’est de ces méconnaissances qu’est venue l’idée de ce livre proposé au PUF il y a quelques années : je partais d’une intuition : plus on connaît la genèse du conflit, mieux on en comprend les rebondissements actuels. Mieux on comprendra pourquoi ce conflit mineur, de faible létalité, qui dure depuis un siècle et demi alors qu’il concerne une région grande comme 5 départements français et une population proche de celle de l’île de France, qui passionne le monde entier, polarise les passions et mobilise une floppée de journalistes, si l’on en remonte à la genèse, c’est-à-dire à avant 48-49, au lieu que de faire comme si tout avait commencé en 67 avec la Guerre des 6 jours. C’est bien avant que tout est joué, bien avant 48, c’est en gros dans les années 1919-1939, années décisives.

Bensoussan, travaillant sur archives, insiste sur l’état désolé de l’endroit où un tiers seulement des terres est cultivé et où à l’exception de la communauté juive, 3% de la population sait lire et écrire. Si la rotation des lopins collectifs régit alors le lieu, le droit de propriété moderne fera triompher l’exploitation individuelle et favorisera la naissance de grandes propriétés foncières, engendrant une nouvelle réalité foncière où va se greffer une immigration juive encore modeste avant 1914, via deux Alya vécues par les métayers arabes comme un déracinement. C’est le temps où, face à un Empire ottoman affaibli, s’opère une percée occidentale en terre d’islam accompagnée de la crainte inspirée par une immigration juive et contrée par un processus de turquification qui ravive en retour le nationalisme arabe. 

Sont rappelés le statut de la dhimma, mise en place entre 717 et 720, instituant une situation d’infériorité légalement reconnue selon qu’on était ou pas musulman et à laquelle sont soumis les Juifs, mais encore les massacres dont la communauté juive fut l’objet jusqu’à l’abolition de ladite dhimma, abolition qui sera à l’origine d’une montée des tensions avec la majorité musulmane sunnite mais encore avec les minorités chrétiennes opprimées. 

Mon livre ne commence pas en 1882 mais en 1870 avec la création des Mikveh-Israel, premières écoles d’agriculture. Lorsque la première Alya commence il y a environ 30 à 35000 Juifs en Palestine pour quelque 450 000 arabes, dont 88% environ sont des musulmans sunnites et 12% des chrétiens ; tout l’ensemble est rattaché à la Syrie ; il n’y a pas de Palestine en tant que telle ; personne ne parle de Palestine alors, ni les Juifs pour lesquels c’est Eretz Israël, ni les Arabes pour lesquels on est en Syrie du Sud : ceux qui parlent de Palestine sont les Occidentaux, qui ont inventé aussi le vocable de la Terre Sainte. 

Ce n’est qu’à partir de 1920-1921 que les Palestiniens parlent de Palestine , l’idée d’une unité avec la Syrie et le Liban étant impossible et le divorce d’avec la Syrie étant acté : ils déclarent lors de leurs congrès de 1921-1922 qu’ils doivent s’appeler désormais Mouvement national palestinien. Ce n’est que dans les années 20-30 que le nationalisme palestinien se structure et acquiert une conscience de lui-même mais encore le sentiment que le mouvement sioniste va progressivement les déposséder de leur patrie. Même si le statut de dhimmi existe en Palestine tout autant qu’en Irak, Tunisie ou au Yémen, pour autant, la Palestine n’est pas une terre centrale pour l’islam. Jérusalem n’est jamais mentionné dans le Coran. C’est le mufti Amin al Husseini, comprenant que seul l’islam saura fédérer autour du combat palestinien antisioniste, qui fera dans les années 20-21 d’Al Quds la sainte le centre spirituel de l’islam et de la Palestine une cause islamique. 

A la question de savoir si ce conflit si enchevêtré et d’une extrême complexité pourra être un jour résolu, l’historien répond qu’on peut parvenir à comprendre même ce qui est très complexe et qu’une résolution pourrait advenir, à condition que le monde occidental prenne conscience des blocages culturels qui empêchent que la paix soit signée, qualifiant de nœud gordien le fossé anthropologique entre la vision du monde qui est celle d’un arabo-musulman du XIXème et du XXème siècle et la vision du monde occidental qu’ont portée les Alyas successives : pour lui, la Transjordanie constitue le verrou de la situation, le plan Peel, qui avait suscité en 1937 l’opposition de tous les protagonistes, étant peut-être la moins mauvaise des solutions. 

Bensoussan le répète : si ce à quoi on assiste en 48-49 au moment de la victoire israélienne est d’abord l’affrontement entre une société profondément rurale et très archaïque et une société moderne et profondément occidentalisée, c’est aussi le conflit anthropologique sur le fond entre 2 sociétés, la société palestinienne étant clanique, et l’idée de Nation ne parlant pas à la grande masse de la population. 

Pour autant, l’historien, pour qui par définition les mentalités ne sont pas statiques, l’histoire est dynamique et le temps est un grand dissolvant, fait montre d’un brin d’optimisme lorsqu’adviendra le courage politique nécessaire pour contrer des oppositions qui ne manqueront pas d’être fortes.

Détruire des stéréotypes, essayer de repenser une réalité, c’est ce qu’il a fait ici, se livrant à un travail d’historien jamais militant : en attestent les écrits des mémorialistes arabes , les passionnantes mémoires d’Issa al Issa ou encore celles de l’historien Khalidi étant pour l’auteur des sources extraordinaires qui expliquent comment la nation palestinienne s’est formée et comment elle réagit vis-à-vis des Juifs qu’elle connaît bien.

A lire par tous, avec une exhortation particulières aux négociateurs, aux commentateurs journalistes et aux Enseignants.


Quelques-unes des sources citées en fin d’ouvrage : Israël, fait colonial ? in Le conflit israélo-arabe. Dossier. In Les Temps modernes. 1967, de Maxime Rodinson. The Arabs ans Zionism before World War I, 1976, de Neville J. Mandel, ou, Traduit de l’arabe, Histoire de la Palestine (1896-1940), de A.W. Kayyali, jusqu’à des recherches plus récentes : Juifs et musulmans en Palestine et en Israël. Des origines à nos jours. 2016. D’Amnon Cohen.

Des cartes : Palestine, 1856-1882 . Les Implantations juives en Palestine en 1914. Le Projet de partage de la Commission Peel, Juillet 1937. Le Partage de la Palestine par les Nations unies en 1947. 1949. 


[1] Les Origines du Conflit israélo-arabe ( 1870-1950). Georges Bensoussan. Que Sais-je ? 18 janvier 2023. 

© Sarah Cattan

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7 Comments

  1. La haine naît certes de l’ignorance tout comme le déni (voir commentaire precedent) mais il est illusoire de croire qu’on peut raisonner des individus (« commentateurs journalistes » par exemple) qui sont intellectuellement incapables de se remettre en question et qui ne veulent pas connaître la vérité sur ce sujet ou un autre . Ni Georges Bensoussan ni personne ne pourra changer l’opinion des antisémites modernes parce que 1) la plupart d’entre eux sont persuadés d’incarner le camp du bien (ils croient être « antiracistes » et « progressistes ») 2) les ignorants d’aujourd’hui sont ignorants parce qu’ils VEULENT l’être (a fortiori quand ils sont bardés de diplômes : ce sont les plus indécrottables) 3) parce qu’on ne peut pas lutter contre plus d’un demi siècle de mensonges, de deni de réalité, de désinformation et de novlangue (voire commentaire précédent également) du moins au niveau collectif .

    • Judith , Georges Bensoussan est historien, pas politicien , il essaie de deçrire le réel passé ou present , et le fait merveilleusement bien avec probité , mais il ne pretend pas  » changer  » le monde .

  2. Le cas de la Russie est un exemple parfait . Lorsque un pouvoir pendant 20 ans, a force de propagande a inculqué le mensonge et a travesti l’histoire , la majorité du peuple ne peut que suivre et approuver les fantasmes des dirigeants, d’autant que tout discours contraire est interdit. Pour beaucoup l’Ukraine est nazie en oubliant l’histoire du Pacte germano-soviétique ( Ribbentrop-Molotov) sans parler du cas du général soviétique Vlassov qui après avoir combattu les nazis les a rejoint avec son armée. L’Armée de Vlassov de triste mémoire.
    Le Monde arabo-musulman , lui, c’est pendant plus de 100 ans, qu’il est élevé dans le mensonge et les mythes , sans parler des sourates coraniques anti-juifs , dont il est abreuvé dès son enfance , comment voulez-vous , qu’il pense et agisse autrement. Bien des Etats Arabes , préoccupés par le devenir de leur pays face aux difficultés et aux retards , peuvent changer d’avis sur Israël . Les peuples , NON. Car ses Etats ne font rien pour l’informer, l’éduquer et le former, cela est très dangereux pour eux. Donc , tant que ces pays ne changeront pas leur enseignement de l’histoire du Moyen-Orient, en expliquant bien , que la Palestine n’a jamais été un Etat souverain , mais une simple province de l’Empire Ottoman , qu’il a colonisé pendant plus de 400 ans. Que Jérusalem n’a jamais été une capitale arabo-musulmane ni musulmane non arabe, même sous l’annexion du Royaume de Jordanie après l’armistice de 1949, Rien n’avancera . Le Qatar , lors de la Coupe du Monde le prouve.
    Les équipes arabo-musulmanes comme le public arabo-musulman sont toujours dans le délire et la haine d’Israël. Ils exhibent le drapeau palestinien , et se f… des morts , de Syrie, Irak , Soudan, Somalie , Yemen , Libye auxquels il faut ajouter ceux de la mollachie et ceux des kurdes , par Erdogan.

  3. @Jonas Ne vous inquiétez pas, en matière de désinformation et de réécriture de l’histoire, la plupart des pays d’Afrique , les États-Unis, la Grande Bretagne, la Belgique et la France et l’UE dépassent largement et haut la main la Russie. Et on plus en France on réécrit l’histoire a notre désavantage.
    Je connais beaucoup mieux la société russe que vous.
    En outre je rappelle à toutes fins utiles que 1) les Russes ont été le grand vainqueur de l’Allemagne nazie et de ses alliés (notamment ukrainiens) 2) les Allemands réservaient aux Russes un sort pas beaucoup plus enviable qu’aux Juifs et aux Tsiganes. La barbarie Allemande contre les Russes dépasse de loin ce que vous semblez imaginer. De véritables camps concentrationnaires pour prisonnières Russes utilisées comme esclaves sexuelles, des centaines de villages exterminés (comme oradour sur glanes chez nous…mais par centaines). Hitler considérait les Russes comme une sous race qu’il fallait exterminer ou réduire en esclavage. Donc pour les Russes anti russe = nazi et historiquement c’est assez justifié.

    Les nazis Palestiniens sont finances par l’UE bientôt rejoints par les USA par ailleurs grands alliés du Pakistan (parmi les pires dictatures islamistes au monde) et de l’Arabie saoudite et anciens alliés des islamistes afghans et plus récemment syriens. L’UE est complice des criminels de guerre Turcs et Azerbaïdjannais.

    Et contrairement à ce que j’entends beaucoup il existe bien une opposition (plusieurs) en Russie. Il est vrai que la guerre l’a fortement diminuée et que la liberté d’expression y est drastiquement en baisse mais soyez rassurés avant d’atteindre le niveau d’abjection et de désinformation des universités et des médias franco américains les Russes ont encore du chemin à faire…

    Ce qui m’étonne c’est que les lecteurs et contributeurs de TJ savent pertinemment que nos médias mentent sur Israël et le Moyen-Orient, sur les USA, l’Europe et la France mais que des qu’il s’agit de la Russie…ce que racontent nos médias devient tout à coup parole d’évangile pour certains d’entre eux !… Comme c’est curieux.

    • @Lucie Kowalski C’est bien pour cela que je ne crois presque pas un mot de ce que racontent nos médias sur ce sujet également : la liste des fake news avérées de la TV et la presse françaises (et des autres pays atlantistes) sur ce sujet pourrait déjà remplir une page entière.

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