Il y a des faussaires de l’Histoire, et il y a des faussaires qui ont fait l’Histoire.
Modestement Adolfo Kaminsky a commencé sa carrière professionnelle chez un teinturier, où il apprend à effacer une tache d’encre sur un vêtement.
Ce qui lui permettra, par la suite, d’effacer un nom pour le remplacer par un autre, sur des papiers d’identité.
« A l’époque, quand on s’appelle Israelovitch David, il vaut mieux s’appeler Jean-Pierre Dupont. J’ai donc décoloré le nom existant pour y écrire le nouveau ».
Il deviendra sous l’Occupation le mystérieux « faussaire de Paris », recherché activement par la police française et la Gestapo.
En fait il a déjà été arrêté et conduit à Drancy, mais né en Argentine en 1925, il a été libéré grâce à l’intervention du consulat argentin.
La police ne savait pas à qui elle avait affaire.
Kaminsky a produit une telle quantité de faux-documents pour la Résistance et pour des juifs passés dans la clandestinité, que les autorités ont fini par s’alarmer.
Elles recherchent un homme expérimenté à la tête d’un laboratoire sophistiqué.
En réalité, Kaminsky a, à peine, une vingtaine d’années, et trimballe tout son matériel dans une petite mallette.
Lorsque l’armée allemande commence à reculer sur tous les fronts, les nazis ont décident d’intensifier les rafles de juifs.
Kaminsky est informé qu’une dizaine de maisons d’enfants vont être raflées simultanément. Il va devoir réaliser plus de 900 faux-documents en moins de trois jours.
Il travaillera nuit et jour sans prendre une minute de repos.
« Le calcul est simple. En une heure je fabrique 30 papiers vierges. Si je dors une heure, trente enfants mourront… »
Jusqu’à l’évanouissement.
Ses camarades le retrouveront, sans connaissance, étendu par terre.
Mais il a terminé tous les faux-documents qu’on lui a demandé.
…
Après la guerre Kaminsky mettra son talent au service de la Haganah et du groupe Stern et participera à l’alya clandestine des juifs en Palestine, contre le blocus des Britanniques.
Il continuera de produire des faux-papiers pour des militants algériens du FLN, des opposants grecs, chiliens, argentins…
C’est sa façon de lutter contre l’arbitraire.
C’est lui aussi qui fabriquera, en 1968, une fausse carte d’identité à Daniel Cohn-Bendit, pour lui permettre de revenir clandestinement en France.
Parallèlement, il poursuit une carrière de photographe, saisissant des moments anonymes dans les rues de Paris.
Devant un cliché photographique de Kaminsky, ne pas se fier à l’identité du personnage. Il y a souvent une autre histoire qui se cache.
…
Il a quitté hier, ce monde pour un autre.
J’imagine, qu’à l’entrée du Paradis, du Gan Eyden, un ange va lui demander ses papiers avant de le laisser entrer.
J’imagine Adolfo Kaminsky, soupirer dans sa barbe, hausser les épaules et dire :
« Je n’ai pas de papiers. Mais le patron me connaît. Je suis attendu« .
© Daniel Sarfati
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