
J’aime Houellebecq. J’assume grave, comme disent les gosses d’aujourd’hui.
J’aime son style simple et en même temps heurté. J’aime cet homme qui nous raconte une société en plein désarroi avec des mots crus, des mots d’aujourd’hui, des sensations limite pornographiques parce que la vie ce n’est pas simplement regarder The Voice ou la Star’Ac. J’aime cet auteur qui met en scène des personnages qui passent leur temps à s’aimer, à se désaimer, à se chercher, et finissent souvent par se perdre, comme si à travers leurs démarches ils tentaient inconsciemment une sorte de suicide. Houellebecq ressemble aux paysages perdus de ses anti-héros. Lire, par exemple, Les Particules Élémentaires une seule fois en se disant « qu’on a tout compris », c’est comme un jeune médecin tous frais émoulu capable de découvrir chez un malade venu pour la première fois dans son cabinet la maladie dont il souffre.
Houellebecq n’est pas un auteur facile : tant mieux pour la littérature !
Je dirais même que c’est cela qui le rend follement intéressant. Lire Houellebecq ça s’apprend. Il faut du temps, de la patience et oublier que le monde dans lequel on vit est friendly. Houellebecq se décrypte, au sens étymologique du mot. Comme beaucoup d’écrivains, il se cache derrière les mots, et cela, contrairement à ceux qui y voient de la lâcheté, demande au contraire beaucoup de courage. Décrypter Houellebecq signifie donc l’extraire de sa crypte, de sa bulle. Avec lui, il faut toujours aller plus loin, tailler sans anesthésie les sentiments qu’il voudrait nous dissimuler. Aussi est-il, à la manière d’un Navarre, timide, renfermé ; dans une certaine mesure: triste.
Houellebecq : un homme en souffrance
En relisant Houellebecq on a donc une chance de mettre au jour la partie la plus intime, la plus secrète, peut-être même la plus inavouable de lui-même : la souffrance. Une souffrance nécessaire pour vivre. Je ne connais pas Houellebecq mais je l’imagine âme en souffrance. Ça n’a rien d’extraordinaire puisque nous sommes tous des êtres en souffrance. S’il fallait dire pourquoi il faut lire Houellebecq, je dirais que c’est parce qu’il ne peut y avoir d’humanité sans souffrance, d’identité sans errance. En ce sens il y a du Juif dans Houellebecq comme il y a du mystique dans son œuvre, un peu comme ces religieux de toutes les confessions qui entrent en eux-mêmes davantage pour comprendre l’Homme que pour adorer Dieu.
Anéantir, le dernier livre de Houellebecq, sans doute à mes yeux le plus achevé, nous fait découvrir des personnages qui nous gênent, qu’on aurait même envie de haïr pour la bonne et simple raison qu’ils nous ressemblent, et on déteste ça, nous, pitoyables homoncules orgueilleux.
Les imbéciles et les idéologues détestent Houellebecq : normal: cet auteur n’est pas fait pour être lu par des idiots, fussent-ils utiles (à quoi ? on se le demande)
Houellebecq ne pouvait que s’entretenir avec un philosophe comme Onfray. D’abord parce que c’est toujours intéressant qu’un écrivain qui imagine des histoires rencontre un philosophe qui échafaude des théories. Mais surtout nous avons l’un face à l’autre deux hommes qui, parfois sans même s’en rendre compte, se découvrent eux-mêmes des points d’existence (comment appeler cela autrement) grâce aux questions qu’ils se sont posées autant pour eux que pour nous.
Voilà pourquoi l’entretien Houellebecq – Onfray n’est pas à mettre entre toutes les mains, notamment entre celles des imbéciles qui se vautrent dans le gauchisme comme un gamin se salit avec joie dans un bac à sable. Il faut avoir du chou, (comme aurait dit Gabin) et à choisir entre le discours de Stockholm de Nathalie Ernaux et la rencontre Onfray-Houellebecq ma réponse est simple : comme je suis gourmand, je préfère les gâteaux aux chocolats plutôt qu’une murge au Préfontaine; autrement dit: Houellebecq et Onfray plutôt que Annie Ernaux ; les premiers me régalent, Ernaux me troue les intestins avec sa prose. Je fais dans l’excessif et j’assume. Je fais dans la gouaille et j’assume. Finalement même si Houellebecq n’était pas pro-israélien je l’aimerais quand même, car je le trouve intelligent et j’ai un faible pour les gens intelligents. J’ai eu la chance de rencontrer à plusieurs reprises Michel Onfray pour savoir que cet homme, à bien des égards, ressemble à Houellebecq : l’un et l’autre, contrairement à ce que beaucoup imaginent, n’aiment pas les médias. Et s’ils y vont, c’est précisément parce qu’ils ont quelque chose à dire.
Traiter Houellebecq de raciste est aussi con que traiter Onfray d’opportuniste.
La Mosquée de Paris, dont il serait intéressant de fouiller les intérêts algériens, n’est plus celle que Mohamed Aïssaoui dans son livre merveilleux (1) a décrite et qui s’est comportée admirablement en sauvant des enfants Juifs. Par des amis communs j’ai su toutes les difficultés qui lui ont été faites pour qu’il n’accède pas aux archives de la Mosquée, ce qui est assez éloquent en soi. Houellebecq évoque dans la première partie de l’entretien qu’en Europe les EPHAD sont souvent des mouroirs (certes il ne faut pas en faire une généralité) et d’ajouter que mourir pour mourir il préfère aller au Maroc où on respecte encore les anciens. Sont-ce là les paroles d’un raciste ? Si le recteur a retiré sa plainte, c’est précisément qu’il savait parfaitement qu’il allait perdre la partie.
Houellebecq n’est pas raciste. Mais comme Sansal que j’aime, que je respecte même si nous ne sommes pas toujours d’accord, Houellebecq à sa manière est un lanceur d’alerte. Ce qu’il dit , il le dit pour nous prévenir. L’état de droit est menacé par les milices privées mais qui en serait le déclencheur ? Les violeurs, le voleurs, les assassins (à aucun moment il ne dit arabes) Si on violait ma petite-fille de 20 ans, oui je serais sans doute capable de tuer son agresseur, quitte à passer 20 ans en prison (vu mon âge c’est la perpet’ assurée même avec les remises de peine!) Qu’il soit juif, chrétien, arabe ou rien du tout, je le tuerais de la même façon.
Veilleur où en est la nuit ?
C’est un verset célèbre de la Bible (Livre d’Isaïe). Houellebecq, Sansal, les regrettés Garcia Marquez, Jules Romains, Amos Oz, resteront à jamais des veilleurs. Onfray est un veilleur au même titre que celui qui le lit est à sa manière une honorable sentinelle.
Pour actualiser mon propos je dirais « Veilleur où en est la Nuit? » Et je répondrais « Il est minuit sur le monde et personne ne se bouge ».
D’où l’urgence de lire Sansal ou Houellebecq et tant d’autres, connus comme Orwell ou méconnus comme Zamiatine (2)
© Michel Dray
Notes
- 1. L’étoile et le croissant (Gallimard) qui raconte comment la Grande Mosquée de Paris a sauvé des Juifs… dont Philippe Bouvard.
- 2. J’aurai prochainement à vous parler de ce grand auteur méconnu qui en 1922 (100 ans déjà ! ) a écrit un livre intitulé Nous, sans lequel 1984 n’aurait sans doute pas vu le jour de la même façon.
Historien, Analyste en géopolitique méditerranéenne, Michel Dray travaille depuis de longues années avec des universités, des écrivains, des acteurs de la société civile et des chercheurs dans le cadre d’un Think Thank hors des Réseaux sociaux sur les analyses géopolitiques en Méditerranée. Il fut en 2021 Président du Jury du « Festival International de Cinéma et Mémoire commune » au Maroc.