
Encore un scandale dû aux colons extrémistes de droite (excusez le double pléonasme)
Itamar Ben Gvir est « Débraillé, drôle, vulgaire, le col de chemise et la kippa blanche de travers, la sueur au front, pas rasé, pas coiffé, il tempête, sourire en coin, l’œil cherchant sans cesse l’objectif de la caméra ».[1] Ainsi nous le décrit le quotidien de référence de l’antisionisme. Ben Gvir est le contraire de Mélenchon, qui ne porte pas de kippa et dont le débraillé est signe de simplicité bonhomme.
Rien à voir non plus avec nos députés de la NUPES. Eux incarnent la respectabilité et le respect de la démocratie, ce pourquoi Le Monde les encense, quand seuls les extrémistes de droite remarquent « une gauche sale, débraillée, qui crie partout »[2].
Il n’y a qu’une seule chose que Le Monde déteste plus que l’extrême-droite, c’est l’État juif, même quand il est gouverné à gauche. Mais ô joie ! Le nouveau gouvernement est à droite et comprend deux partis religieux. On peut donc le haïr en toute légitimité.
Haïr. Le Monde, lui-même quintessence du bien, ne s’en prive pas, montrant la voie royale de l’antisionisme à l’honnête homme-femme-LGBTQIAETC du XXIe siècle : « Il est violent. Homophobe, antilibéral et antidémocrate, il croit en la suprématie de la loi divine et en celle du peuple juif ».
Il croit en la suprématie du peuple juif, ou bien il considère que le peuple juif est chez lui dans l’État juif, comme les Français en France ?
Être antidémocrate, cela veut dire refuser la légitimité du suffrage populaire. Ce qu’a fait avec insistance Mélenchon quand il s’est avéré qu’il n’avait été élu ni président de la république par les urnes, ni premier ministre par les autres.
Qui est antidémocrate, le député élu ou le journaliste qui lui dénie sa légitimité ?
Horreur : un Juif sur l’esplanade des mosquées ! PRO-VO-CA-TION !
« En Israël, le nouveau ministre Itamar Ben Gvir joue les incendiaires sur l’esplanade des Mosquées ». Ce jugement sobre et dénué d’affect sonne le glas des espérances Mondaines et mondiales de voir l’esplanade des mosquées consacrée islamo-musulmane.
Mahomet en avait rêvé, ou en tout cas il avait rêvé d’une mosquée « lointaine », ou plus précisément c’est ce qu’un écrit apocryphe raconte, un rêve dans lequel il s’envolait d’une mosquée lointaine pour monter au ciel.
Il n’existait pas encore de mosquée à Jérusalem du vivant de Mahomet, ou lors de la rédaction du Coran, mais une basilique chrétienne, elle-même érigée sur les ruines du Temple juif. Les deux mosquées qui ont transformé le Mont du temple en Esplanade des mosquées, mettant du baume au cœur des lecteurs vespéraux, ont été bâties par le calife Abd al-Malik à la fin de la période omeyyade, c’est-à-dire vers l’an 1000, soit pile poil deux millénaires après le premier temple de Salomon.
Jérusalem n’a été intronisé « troisième lieu saint de l’islam » que très tardivement, au grand dam de la grotte de Hira, tenante du titre, où Mahomet a reçu la révélation de l’ange Gabriel. Cela a aussi frustré Qom, Kairouan, d’Alep, Kufa et d’autres, où les musulmans se rendent en pèlerinage. Les premiers pèlerinages musulmans à Jérusalem, eux, datent de 1967. Précédemment, quand les occupants ottomans, puis britanniques, puis jordaniens, faisaient la loi du plus fort à Jérusalem, les Juifs étaient totalement ou partiellement interdits de leurs lieux saints.
La provocation, les Israéliens ont ça dans le sang
Le crime de lèse-Monde commis par Ben Gvir le 3 janvier 2023 n’a d’égal que celui d’Ariel Sharon le 28 septembre 2000. Cette visite est ce qui, dans le dogme des mondialo-antisionistes, a provoqué l’Intifada.
Pour les Palestiniens, cette confrontation violente est une initiative de Yasser Arafat dans la foulée des « négociations de paix » de Camp David.
Vous avez oublié qui était Yasser Arafat ? Non, impossible ! En revanche, Ariel Sharon, mmmmh ? Ce n’est pas grave : demandez à n’importe quel mondo-lecteur de vous réciter la sourate : « En 2000, le chef du Likoud, qui menait l’opposition en Israël à l’époque, avait fait incursion sur le site. La provocation avait entraîné des affrontements puis le déclenchement de la deuxième Intifada ».[3]
Les faits, entendus de la bouche du cheval
En 23 ans, Le Monde n’a pas eu le temps de lire les déclarations des protagonistes, Barak l’Israélien et Clinton l’Américain : « La visite de Sharon… a été coordonnée avec Jibril Rajoub [le chef de la sécurité de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie]…Nous savons, grâce à des renseignements précis, qu’Arafat [après Camp David] avait l’intention de déclencher une confrontation violente – le terrorisme. [La visite de Sharon et les émeutes qui ont suivi] sont tombées entre ses mains comme une excellente excuse, un prétexte ». [4]
Ou celle du ministre palestinien de la Communication de l’époque, Imad al-Faluji : « L’Autorité Palestinienne avait commencé à se préparer au déclenchement de l’Intifada depuis le retour des négociations de Camp David, à la demande du président Yasser Arafat, qui prévoyait cette action comme une étape complémentaire à la fermeté palestinienne dans les négociations et non comme une protestation spécifique contre la visite de Sharon au Al-Haram Al-Qudsi [Mont du Temple] ».[5]
Il ne s’était passé qu’une douzaine d’années depuis les faits, quand l’une des veuves les plus riches du monde, Suha Arafat[6], a confirmé les propos d’al-Faluji et des autres acteurs présents, en ne mâchant pas ses souvenirs. Heureusement, les reporters du Monde ne lisent pas la presse du Moyen-Orient. À moins qu’ils l’ignorent par snobisme ?
Malgré tout, c’est embêtant, ces faits qui contredisent les préjugés mondiaux ! Et encore pire, que le fauteur de guerre soit aussi celui qui a quitté sans contrepartie Gaza avec armes, armée, colons, mais pas bagages[7], en août 2005 : arrêter une occupation, c’est pacifique, donc de gauche, alors que Sharon était l’archétype du suprémaciste de droite.
On ne change pas une image qui gagne. On peut juste passer vite fait sur les faits qui dérangent…
Les petites histoires du monde face à l’Histoire majuscule
Le Mont du Temple, alias Haram el-Sharif en Unesco dans le texte depuis 2016[8] : « Les musulmans le vénèrent comme le troisième lieu saint de l’islam tandis que les juifs le considèrent, sous le nom de mont du Temple, comme le site le plus sacré du judaïsme ».
Les musulmans « vénèrent », alors que les Juifs « considèrent ». Le rêve de Mahomet est intangible et irréfragable, alors que « selon la tradition, ont été édifiés les deux temples juifs de l’Antiquité, aujourd’hui détruits ».
Y a pas de quoi être vénèr ?
Ce n’est pas la tradition qui a édifié les deux temples dont témoignent d’innombrables vestiges archéologiques, c’est le roi Salomon, en 957 avant Jésus-Christ. Vous êtes juif, Salomon ? Et un millénaire plus tard, Jésus y chassait les marchands : ceux du temple, pas ceux de la mosquée.
L’ONU veut « partager » Jérusalem.
Elle n’a pas demandé leur avis aux propriétaires légitimes depuis plus longtemps que l’existence d’une entité française. Ce qui est à elle est à elle et ce qui est aux Juifs est à tout le monde sauf aux Juifs.
Quand la SDN, puis l’ONU, ont élaboré le plan de partage de la Palestine mandataire (qui n’avait jamais été un État depuis les royaumes juifs), ils ont concocté une Jérusalem internationale, pour que les fidèles des trois monothéismes y puissent venir prier, car ce n’était pas le cas pendant les quatre siècles d’empire ottoman. Ça ne l’a pas été non plus après leur décision : sept États arabes ont attaqué l’État nouveau-né, au chevet duquel n’avait résonné ni hautbois ni musette et, comme les vaincus inattendus ont refusé de négocier une paix, il en est sorti des « lignes d’armistice ». Sauf pour Jérusalem, que la Jordanie a purement et simplement annexé, avec le reste de la Cisjordanie.
Seuls les fidèles des deux plus jeunes monothéismes purent y prier. Le plus ancien, celui d’origine, n’y eut de nouveau accès qu’après sa victoire éclair de 1967, libérant les lieux saints et en garantissant l’accès par les croyants de tous les cultes.
Mais dans le ridicule espoir de se faire pardonner leur victoire militaire, Israël a laissé à la Jordanie l’administration du Mont et de ses mosquées.
Ce faisant, les dirigeants israéliens ont offert à tous les antisémites du monde, qui se donnent la main, 72 verges pour se faire battre. Cela n’a jamais cessé depuis lors.
C’est bien la preuve que la circoncision n’est pas une garantie contre la connerie.
© Liliane Messika
Écrivain, Essayiste, conférencière, traductrice, Liliane Messika est auteur de plus de 30 ouvrages, dont plusieurs sur les conflits du Moyen-Orient. Liliane Messika est membre du comité de rédaction de Menora.info.
[1] https://www.lemonde.fr/international/article/2022/11/03/ben-gvir-le-mauvais-genie-de-la-droite-israelienne_6148352_3210.html
[2] https://www.lavoixdunord.fr/1208673/article/2022-07-21/une-gauche-sale-debraillee-qui-crie-partout-les-deputes-nupes-devront-il-revoir
[3] www.lemonde.fr/international/article/2023/01/04/israel-devenu-ministre-itamar-ben-gvir-joue-les-incendiaires-sur-l-esplanade-des-mosquees_6156535_3210.html
[4] www.theguardian.com/world/2002/may/23/israel3
[5] Al-Ayyam (PA), 6 décembre 2000. Traduction MEMRI memri.org/reports/pa-minister-intifada-was-planned-day-arafat-returned-camp-david
[6] https://www.jpost.com/middle-east/suha-arafat-admits-husband-premeditated-intifada
[7] Les bagages, c-à-d toute l’infrastructure industrielle, notamment les serres, avaient été achetés aux colons en partance par des Juifs américains caritatifs qui voulaient mettre le pied à l’étrier des Palestiniens. https://www.nbcnews.com/id/wbna9331863
[8] https://www.i24news.tv/fr/actu/israel/diplomatie-defense/127563-161013-l-unesco-va-voter-un-texte-niant-le-lien-entre-le-judaisme-et-le-mont-du-temple