« Le maître, dit l’élève, est un âne »
« Le maître dit : l’élève est un âne »
Alexandre Devecchio s’entretient avec Michel Onfray pour FigaroVox
EXCLUSIF – Michel Houellebecq est visé par une plainte de la Grande Mosquée de Paris pour « provocation à la haine contre les musulmans », en raison de propos tenus dans la revue Front populaire, lors d’un dialogue avec Michel Onfray. Le philosophe fait l’éloge du débat contradictoire face à la volonté de censure.
FIGAROVOX – La Grande Mosquée de Paris porte plainte contre Michel Houellebecq pour « provocation à la haine contre les musulmans » suite à des propos publiés dans la revue Front Populaire, dénonçant des « phrases lapidaires (…) inacceptables et d’une brutalité sidérante« . Avec le recul, ne regrettez-vous pas d’avoir publié ces propos tel quel ?
Michel ONFRAY. – Les propos incriminés procèdent d’une citation et plus précisément d’une citation sortie de son contexte avec une subtilisation d’une partie de la phrase sans aucun signe typographique la signalant. On sait qu’une convention typographique permet de dire qu’on cite une phrase, c’est donc l’auteur qui parle : on ouvre des guillemets et on suspend sa citation avec une parenthèse ouverte, trois points de suspension, puis une parenthèse fermée, afin de signifier qu’on a volontairement ôté un propos. Cette omission a lieu mais elle se double de l’omission du signe disant qu’elle a lieu ! C’est dire si cette phrase ne saurait être incriminée telle quelle à Michel Houellebecq. Chacun convient qu’avec l’orthographe, la grammaire, la syntaxe, la ponctuation, on peut tout dire et tout faire dire. Jadis, à l’école primaire, on nous apprenait la différence entre : « Le maître, dit l’élève, est un âne » et « Le maître dit : l’élève est un âne ». Où l’on voit qu’une virgule peut envoyer un homme à laguillotine.
Ajoutons à cela que cette phrase est la retranscription d’un dialogue, que cet échange a duré six heures, que nous avons pris le parti de ne rien corriger d’autre que ce qui était grammaticalement fautif, et ce afin d’éviter une réécriture totale de l’entretien. C’est de l’oral écrit dont nous avons souhaité qu’il ne soit pas de l’oral réécrit. Comme dans une conversation, une certaine imprécision s’en suit, c’est inévitable.
FIGAROVOX – « Le souhait de la population française de souche, comme on dit, ce n’est pas que les musulmans s’assimilent, mais qu’ils cessent de les voler et de les agresser. Ou bien, autre solution, qu’ils s’en aillent« , explique Michel Houellebecq. Ces propos ne sont- ils pas injustement globalisants ? Comprenez-vous l’émotion que ces derniers peuvent susciter chez une partie des musulmans ?
Michel ONFRAY. – Vous avez raison, une globalisation ou, comme on dit aussi, une essentialisation est toujours fautive. Vous avez toujours une exception qui vous permet d’invalider la règle : si quelqu’un dit: « Les trèfles ont trois feuilles », il y aura toujours une personne judicieuse qui vous rétorquera qu’il existe aussi des trèfles à quatre feuilles, ce qui est vrai. On a toujours tort de généraliser et j’ai aussi, ici, tort de généraliser !
Mais aucune pensée, aucun échange, aucune réflexion ne sont possibles si l’on ne généralise pas pour les besoins de la conversation, du débat et du dialogue qui, justement, jouent de ces approximations dues aux généralisations.
Je comprends qu’une partie des musulmans puisse être blessée si elle n’a pas le souhait de dialoguer, d’échanger, de débattre, de s’installer dans les jointures de ces approximations inévitablement dues aux généralisations, aux essentialisations, et qu’elle préfère juger, sinon condamner, plutôt que d’échanger ou même : avant que d’échanger. Dans un monde idéal où les musulmans seraient soucieux d’incarner la
miséricorde chère à Mahomet, une vertu si souvent invoquée dans leur saint Livre, Michel Houellebecq serait moins renvoyé devant un tribunal laïc et républicain que devant un aréopage de docteurs de l’Islam qui se ferait fort d’examiner les propos de l’écrivain, de le critiquer, de le contrer sur le terrain intellectuel, de lui montrer qu’il se trompe, qu’il a tort, et d’argumenter contre lui pour que la vérité se dégage.
FIGAROVOX – Considérez-vous cette plainte comme une atteinte à la liberté d’expression ?
Michel ONFRAY. – Oui car quand BHL dit dans Le Point, au moment où nous annonçons Stéphane Simon et moi que nous lancerons Front populaire, dont nous n’avions dit qu’une seule chose, c’est que ce serait une revue souverainiste, « Onfray désormais c’est Doriot« , c’est-à-dire un nazi français qui a porté l’uniforme de laWaffen SS sur le front russe, je n’ai pas porté pas plainte. C’est la liberté d’expression.
FIGAROVOX – Dans le contexte post-Charlie, celle-ci met-elle en danger Michel Houellebecq ainsi que la rédaction de Front populaire?
Michel ONFRAY. – Est-ce ce que veulent ceux qui portent plainte ? Je n’ose l’imaginer…
FIGAROVOX – Au-delà de cette affaire, pensez-vous que les débats de ce type doivent se régler devant les tribunaux ?
Michel ONFRAY. – Bien sûr que non. Je crois aux débats intellectuels, même vifs, mais pas aux prétoires où les arguties des avocats ne se soucient guère de vérité, de justesse et de justice. La vérité du monde n’est pas affaire d’avocat talentueux et retors, mais de débats contradictoires avec des intellectuels, des penseurs, des philosophes. Le temps de l’Inquisition est derrière nous. Veillons à ce qu’il ne redevienne pas d’actualité.
FIGAROVOX – Par ailleurs, que dit, selon vous, cette plainte des représentants de l’islam de France ? Sont-ils dans leur rôle ?
Michel ONFRAY. – « L’islam de France » est une généralisation, une essentialisation ! Aucun des musulmans que je connais ou que je rencontre n’aspire à envoyer au tribunal quiconque ne pense pas comme eux : voilà pour moi le bel islam de France, un islam qui fait de la philosophie des Lumières son héritage.
Bravo à Mr Onfray et que vive le débat d’idées comme il sait si bien les exalter avec son talent!