Moses Bensabat Amzalak et Artur Carlos de Barros Basto
Moses Bensabat Amzalak et Artur Carlos de Barros Basto
Au cours de mes visites chez des bouquinistes de Lisbonne, j’ai trouvé de nombreuses publications en portugais sur des sujets variés et signées Moses Bensabat Amzalak. La diversité des sujets traités par cet homme m’a intrigué. J’ai fait quelques recherches sur cette personnalité importante du Portugal de Salazar et aujourd’hui bien oubliée.
Tout d’abord, une notice biographique un peu sèche mais complète et précise sur celui qui fut le président de la communauté israélite de Lisbonne, qui eut par ailleurs des responsabilités très diverses dans le Portugal de Salazar et qui survécut au régime puisque né en 1892 il décéda en 1978 :
Moses Bensabat Amzalak naît de parents de nationalité anglaise. Le père, Judah Benoliel Amzalak, naît à Lisbonne ; la mère, Estella Abecassis Bensabat, naît à Faial, une île des Açores. Cette nationalité aurait été envisagée comme une sorte de protection dans un pays où l’on ne pouvait être que catholique. Cette famille a un rôle important dans la société portugaise d’alors, notamment israélite. Elle est à l’origine de nombreuses sociétés, notamment de bienfaisance. Elle est également à l’origine de de la Comunidade Israelita de Lisboa (C.I.L.) et de la synagogue Shaané Tikva devant laquelle je passe tous les jours, un bel ensemble conçu par Miguel Ventura Terra et inauguré en 1904, dans le style romano-byzantin.
Je passe sur les nombreux titres et fonctions de Moses Bensabat Amzalak afin de ne pas ennuyer le lecteur qui se reportera au lien en début d’article. Moses Bensabat Amzalak est un ami de Salazar pour lequel il a une grande considération. Grâce à cette amitié, les Juifs portugais ne sont à aucun moment inquiétés. Ils jouissent d’une sorte de respectabilité.
Esther Mucsik (née à Lisbonne en 1947, écrivaine et journaliste portugaise née de parents juif ayant quitté la Pologne pour s’établir au Portugal) est formelle, Moses Bensabat Amzalak a considérablement aidé les Juifs en fuite au cours de la Deuxième Guerre mondiale, financièrement d’abord mais aussi grâce à son réseau de relations avec les autorités portugaises, à commencer au ministère des Affaires étrangères et à la P.V.D.E. (soit la police secrète portugaise, la Polícia de Vigilância e Defesa do Estado créée en 1933 et qui deviendra la P.I.D.E. en 1945 puis la D.G.S. en 1968).
La communauté juive portugaise a donc au sein du régime un interlocuteur de poids. Moses Bensabat Amzalak est alors vice-recteur de la Universidade Técnica de Lisboa, un établissement des plus respectés. La communauté juive portugaise, et plus particulièrement celle de Lisbonne, va ainsi être un intermédiaire efficace entre les réfugiés juifs d’une part, les autorités portugaises et les organisations juives internationales d’autre part. Yvette Davidoff (1921-2008), juive autrichienne qui a fui son pays pour le Portugal et travaillé toute sa vie au service du J.O.I.N.T. et de la C.I.L. est catégorique : « Le professeur Moses Bensabat Amzalak était un homme d’une intelligence exceptionnelle qui utilisa son amitié avec Salazar pour sauver de nombreux Juifs. Un autre président (de la C.I.L.) n’aurait pas eu les capacités pour sauver avec une telle efficacité tant de Juifs ».
Puisqu’il vient d’être question de l’amitié entre Moses Bensabat Amzalak et Antonio de Oliveira Salazar, je dois avouer ne connaître cette amitié que dans ses grandes lignes et par des déductions. Hormis quelques articles qui pour certains manquent de rigueur, je ne connais pas d’étude systématique qui se soit attachée à cette relation. Existe-t-il une correspondance entre ces deux hommes ? Moses Bensabat Amzalak a-t-il laissé des notes intimes, un journal par exemple ? Je ne sais. Mais je peux affirmer ce qui suit. L’un et l’autre étaient très diplômés, deux docteurs de l’université, ce qui à l’époque au Portugal en imposait. Moses Bensabat Amzalak admirait Antonio de Olivieira Salazar, un technocrate qui avait su remettre très vite de l’ordre dans les finances d’un pays en faillite. Le dictateur portugais devait également avoir en haute estime cet homme doté d’une immense culture économique, auteur de nombreux ouvrages sur divers sujets, docteur honoris causa de nombreuses universités portugaises et étrangères. Il y avait une grande estime intellectuelle mutuelle. Leur amitié remonterait aux premières années de l’entre-deux-guerres, une amitié qui se serait affirmée au cours de discussions académiques. Par ailleurs, Moses Bensabat Amzalak était un farouche anti-communiste, ce qui devait également compter.
La communauté israélite de Porto, dynamisée par le capitaine Artur Carlos de Barros Basto (Ben-Rosh), n’avait pas la moindre sympathie pour le salazarismo. L’histoire de cet homme et de cette communauté est très particulière.
Après avoir participé au renversement de la monarchie et à l’avènement de la Première République en 1910 (il hisse le drapeau de la République à Porto, le 5 octobre), le capitaine Artur Carlos de Barros Basto combat dans les Flandres au cours de la Première Guerre mondiale. Ce n’est que dans les années 1920 qu’il découvre par des confidences de son grand-père (paternel) mourant ses origines juives. Après s’être converti au judaïsme, il œuvre à la renaissance de la communauté juive du pays. Il bat les campagnes portugaises à la recherche de « crypto-juifs » qu’il veut faire revenir à leur foi et organiser en communautés. Il en trouve plusieurs centaines, en particulier à Bragança, Vilarinho, Covilhã, Guarda. Dans les années 1930, cet officier est accusé d’homosexualité — la propagande étatique et catholique s’employant à confondre sciemment rituel de la circoncision et pratiques homosexuelles. Il est rayé des cadres de l’armée, privé de pension, humilié. Il vivra jusqu’à sa mort dans la précarité et, surtout, il ne se remettra jamais de l’humiliation infligée.
Quelques autres faits marquants de sa vie. Après sa conversion, il se marie à une Juive de Lisbonne (Lea Israel Montero Azancot, née en 1893) et prend le nom de Abraão Israel Ben-Rosh. Son œuvre majeure, la refondation de la communauté juive de Porto : création d’une yeshiva et d’un journal (juif) qui paraîtra jusqu’en 1958. Avec l’aide de communautés juives de l’étranger, dont la puissante famille Kadoorie, il édifie une magnifique synagogue de style Art décor (inaugurée en 1938).
Moses Bensabat Amzalak, une personnalité importante du Portugal de Salazar, utilisa ses relations pour aider la capitaine Artur Carlos de Barros Basto. Je ne connais toutefois pas les détails de cette aide.
© Olivier Ypsilantis
Né à Paris, Olivier Ypsilantis a suivi des études supérieures d’histoire de l’art et d’arts graphiques. Passionné depuis l’enfance par l’histoire et la culture juive, il a ouvert un blog en 2011, en partie dédié à celles-ci. Ayant vécu dans plusieurs pays, dont vingt ans en Espagne, il s’est récemment installé à Lisbonne.
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