Mohammed Guerroumi. L’heureux souvenir de la magie humaniste de Noël pour le musulman que je suis

En décembre 2017,, jour pour jour, je rédigeais et publiais ce récit, ici même sur ma page. Nombreux parmi vous l’on lu, d’autres le découvrent et apprécieront, car quels que soient les réminiscences du passé que l’on préfère oublier, parfois les circonstances ou l’approche de quelques fêtes et célébrations s’ingénient à faire rejaillir, dans la mémoire, des souvenirs bienheureux.

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– C’était à Noël, il y a près de trente ans –

Il faisait encore nuit et froid en ce 19 décembre 1993. Alger ressemblait à une ville fantôme, plongée dans le noir et le silence. Le couvre-feu, instauré depuis quelques mois, accentuait l’atmosphère lugubre et angoissante qui régnait alors en Algérie. Les militaires, armés jusqu’aux dents, occupaient ainsi tous les espaces, les quartiers, les faubourg et les avenues de la ville. Ils avaient reçu l’ordre de tirer sur tout ce qui bougeait.

La guerre civile, entre les groupes islamistes et l’État algérien, se répandait sur tout le territoire et rendait la population otage de cet immonde conflit ravageur et meurtrier. Persécutions, exactions, attentats sanglants, tueries étaient devenus le lot quotidien des algériens.

Ayant déjà vécu, dans mon enfance, des moments similaires lors de la guerre d’indépendance, je refusais dès lors que mes cinq enfants puissent subir un même destin, ou pire, un sort effroyable. C’est ainsi que je décidais, fermement cette fois et définitivement, de quitter cette terre où je suis né, pourtant belle mais damnée, et qui, décidément, ne daignait pas se rassasier du sang des innocents.

Une telle décision n’est jamais facile à prendre. Quitter le pays où l’on a vu le jour, c’est tellement douloureux et cruel, tant on tourne le dos à tout ce qui a contribué et forgé notre vie, notre existence. Les sentiments s’entremêlent, se bousculent et s’entrecroisent pour laisser place à la rancoeur et à l’amertume. Certes, d’autres avant moi ont eu à subir un tel tourment que rien ne pourrait décrire ou, à tout le moins, apporter un semblant de consolation. Mon frère et ami René, un juif d’Algérie, se souvient encore de cette même déchirure qu’il porte toujours, en son âme et en son coeur, depuis ce fameux printemps de 1962.

4h00 du matin sonnaient en cette nuit du 19 décembre 1993. Inquiets et craintifs, ma femme et moi prenions place dans la voiture. Il fallait coûte que coûte parvenir au Consulat de France, en centre ville d’Alger, bien avant l’aube et la levée du couvre-feu. Mon cinquième enfant, que j’avais recueilli à la naissance et à qui j’avais donné mon nom, nécessitait un visa d’entrée en France. Une formalité due à l’absence de filiation sur son passeport.

Quelques jours auparavant, les services de l’ambassade de France m’avaient purement et simplement prévenu que l’enfant ne serait pas admis sur le territoire français, qu’il lui aurait fallu un visa de séjour longue durée, qu’ils se refusaient de délivrer, et me conseillèrent tout bonnement de l’abandonner en Algérie après notre départ. Rien que ça !!!

Même si je ne partage pas la consanguinité avec mon enfant, il est mon fils et personne n’aurait pu m’en séparer. Et Dieu le sait.

Pour rejoindre ce satané Consulat avant son ouverture, car toujours pris d’assaut par une chaîne de prétendants à l’exil, et avoir une chance d’y accéder parmi les premiers, il nous fallait prendre le risque de parcourir en voiture et en pleine nuit, l’oeil aux aguets et la peur au ventre, près de 15 km dans une ville sombre, dangereuse et sous couvre-feu.

15 km en terrain miné, où le moindre uniforme, que l’on craignait de voir surgir, était porteur de notre mort. 15 km de terreur et de frayeur à rouler lentement, le plus silencieusement possible, pour ne pas attirer l’attention sur notre violation du couvre-feu, tous phares de la voiture éteints. 15 km à traverser des ruelles obscures et étroites, à éviter les grandes artères de la ville, pour ne pas nous retrouver nez à nez avec un abruti de soldat, prêt à nous mitrailler sans sommation, sans nous demander notre avis.

Le visa touriste de notre enfant en poche, l’avion atterissait à Orly le 21 décembre 1993. C’est alors qu’une dernière formalité nous restait à accomplir. Faire accepter, par la police des frontières, l’accès de mon petit garçon sur le territoire français.

Quel ne fut mon bonheur, mon immense joie et ma profonde reconnaissance, lorsque j’entendis l’officier de police, qui triturait depuis un moment le passeport de mon enfant avec une mine indécise, dire après une longue et pénible hésitation :  » … Parce que c’est bientôt Noël,… allez-y, passez ! »

Cette aventure restera à jamais, pour moi le musulman que je suis, l’heureux souvenir de la magie humaniste de Noël, confirmant l’Amour et le Prodige de Dieu.

Il n’avait que cinq ans…, il se souvient de ce jour-là et, à présent, en heureux évènement de ce Noël 2022, il attend la naissance de son premier enfant.

© Mohammed Guerroumi

Musulman rationaliste, engagé et laïc, nommé en 2016 Délégué régional à l’instance nationale de dialogue avec l’islam, Mohammed Guerroumi est très impliqué dans le dialogue interreligieux. Auteur à Causeur, il est un des Signataires du « Manifeste contre le nouvel antisémitisme

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