Un bar au coin de la rue : au comptoir pas une place libre et dans la salle aucune chaise disponible, sur le trottoir des bancs et des tabourets de bar tous occupés, des grands parasols, des chauffages à l’infra-rouge, des couvertures à disposition : il fait froid ce soir, à peine 10 degrés.Très froid pour les habitants vêtus de T shirts et de jeans lacérés.
Les clients : filles et garçons, 20-22 ans, service militaire terminé pour la plupart. Les filles boivent autant que les garçons et les tournées se succèdent : bière en verres de 33 cl ou de 50 cl (en hébreu shlish ou gadol). C’est la nouvelle fureur de vivre à Tel Aviv : les bars servent et resservent des chopes de bière à volonté si vous en avez payé trois. Les fournisseurs consentent des prix spéciaux pour faire du volume et donc du chiffre. Selon les patrons des bars, il n’y a jamais d’excès et sous le regard des autres, tous se retiennent et se tiennent convenablement. On voudrait y croire.
Il y a toujours sur un grand écran un match de foot ou de basket. Le public dresse l’oreille ou jette un coup d’œil quand le commentateur hausse la voix pour annoncer une action décisive ou alors un but marqué.
Que font-ils, assis sur leur tabouret pendant des heures? Ils discutent, ils racontent, ils s’exclament et ils rient souvent et très fort. Ils jouent au mec cool, elles cherchent à séduire, garçons et filles, ou friendly gays. Ils viennent seuls parfois et repartent souvent en couple : c’est là, c’est la vie, c’est Tel Aviv!
Il y a un autre bar sur la place et il y en a 3 autres sur l’avenue : toujours pleins à craquer, terrasses débordant presque sur la chaussée et bruit de volière caquetant.
Même schéma, même combat : ni restaurant, ni boîte de nuit, pas de cinéma et surtout pas de soirée télé, on écume les bars qui sont devenus des clubs de rencontres et on réussit le cocktail, un peu d’alcool, beaucoup de rires, un peu de désir, c’est là, c’est l’amour!
LaLa Land la francophone
La plage des francophones c’est LaLa Land, au bout de la rue Gordon : impressionnant! Ils sont venus, ils sont tous là.
On se salue, on s’embrasse et on se congratule : d’abord les questions traditionnelles sur les dates d’arrivée et de départ puis ça démarre au quart de tour sur les menaces, les inquiétudes avec beaucoup de non-dits sur les projets.
La barrière de la langue n’est plus ce qu’elle était, avec les israéliens les gens communiquent avec 50 mots utiles en hébreu et des rudiments d’anglais, reliquat des 3 heures de cours hebdomadaires au lycée.
En cette saison, la mer est froide, parfois juste fraîche mais le ciel est bleu et le soleil réchauffe les baigneurs courageux. Parasols, matelas relax, chaises, les parents, lunettes de soleil et smartphones, et les gosses qui se disputent un ballon, cris de joie de celui qui s’en est emparé et crise de larmes du petit qui a été bousculé.
Au restaurant (très bon) de la plage les conversations montent d’un cran. Ce samedi, la bronca des agriculteurs contre le Président de la République, le stand du Ministère au Salon de l’Agriculture démonté et détruit sont évoqués avec beaucoup d’inquiétude : du jamais vu selon les uns, « une fin de règne », le début d’un soulèvement qui pourrait tout remettre en question?
« Fatima » décroche le Cesar du meilleur film, le titre du film que personne n’a vu serait pour eux une preuve supplémentaire du déferlement islamique et de la passivité ou même de la complicité française!
La destruction créatrice
L’offre de restauration à Tel Aviv est une démonstration de la théorie de Josef Schumpeter sur la « destruction créatrice ». Il n’y a pas de droit de bail, pas de « key money » et pas de rareté des locaux de 50 à 500 mètres destinés à la restauration. La ville n’a pas de centre ou plutôt en a plusieurs, du port de Tel Aviv à celui de Jaffa et des quartiers qui ont tous le caractère de villages avec un caractère propre : Rothschild et Névé Tsedek, Dizingoff et Basel, Florentine et Kikar Ha Médina…
Ceux qui veulent ouvrir un restaurant n’ont pas besoin d’avoir un gros capital pour désintéresser l’ancien locataire des lieux. Il leur faut réunir les sommes nécessaires pour garantir le paiement des loyers souvent très élevés et il faut financer l’achat du matériel et les travaux d’agencement.
Il leur faut surtout une bonne idée pour renouveler l’offre et un business plan qui tienne la route. Six mois après l’ouverture, beaucoup rendent les clefs aux propriétaires des murs et sont vite remplacés par d’autres audacieux. Et il arrive qu’après la destruction il y ait une création qui réussisse à fidéliser le nombre de clients nécessaire pour pérenniser l’entreprise et parfois bingo! La foule se presse et très vite il faudra plus d’une semaine pour obtenir une réservation.
Des exemples : une boulangerie-bistro rue Bograshov vient d’ouvrir et le succès est là : la patronne française est venue en Israël avec un CAP de boulanger et après avoir suivi des stages chez les meilleurs pâtissiers de Paris. Ça se voit, ça se sent, ça se déguste. Et elle a trouvé une bonne idée pour son enseigne : « Du pain et des amis » (on lui aurait suggéré « Du pain et des copains ») et ça marche. Mazel Tov!
Une autre bonne idée : Omer Miller, un chef de cuisine célèbre, une star des émissions culinaires des chaînes de télévision, a ouvert sur le Boulevard Shaul Hamelekh un restaurant très grand, avec une cuisine ouverte où s’affairent tous ses cuisiniers qui préparent les spécialités du chef. La salle, pas de décoration, un long bar rectiligne et des grandes tables de réfectoire. Vous y êtes : l’idée est de ressusciter les réfectoires des kibboutzim. Et les clients affluent pour le chef et le goût original de ses plats, de ses accords de saveurs, également pour la nostalgie du kibboutz, l’endroit où ils ont ressenti ce que devrait être la fraternité des citoyens. L’enseigne : en hébreu « Hadar ha Hokhel« , en anglais « The dining Hall », en français « Le réfectoire ».
Encore un autre exemple : Aviv Moshe, un grand chef dont le restaurant « Messa » est l’un des meilleurs de la ville, a ouvert réhov ha ‘harbaa (rue numero 4) un restaurant de spécialités italiennes mais précise-t-il, « modern italian ». Le gros truc, c’est que c’est vrai! C’est italien par les produits, par les recettes mais c’est dix coudées au-dessus de tous les restaurants italiens qui tiennent le haut du pavé en France. C’est beau, c’est très bon, c’est impressionnant tellement c’est bien. Le décor est sublime, du design italien « tutto pulito » et une musique déferlante qui fait revivre vos oreilles. Le nom du restaurant, vous l’aviez deviné, »Il Quattro ».
Venez à Tel Aviv et laissez la ville, ses plages, ses habitants si jeunes, si émouvants, vous injecter une bonne dose d’optimisme. Vous en avez besoin.
Un grand leader juif, Jabotinsky, disparu en 1940, voulait que les juifs créent leur Etat : Israël, et il souhaitait que ses dirigeants leur apprennent à rire « they must learn to laugh » . Un visionnaire.
Andre MAMOU