Fils de Maklouf Sadoun et de Myriam Chokron, il était leur 12ème et dernier enfant, et son frère David, de 18 ans son aîné, avait su convaincre ses parents qu’il était temps de prénommer le petit dernier de façon plus « moderne ».
Pensez donc, des petits « Jean-Charles », dans les familles juives de Tlemcen, voire dans la province d’Oran et même dans l’Algérie toute entière, il ne devait pas y en avoir légion !
Les premières années du gamin défileront tranquillement.
Auprès de sa sœur Alice, 16 ans passés à la naissance du gosse, qui lui dessinait et lui coupait ses vêtements, comme cet ensemble marin dont la photo s’est perdue à force de faire le tour de la famille.
Sous les yeux protecteurs de son frère David, bientôt accompagnée de Simone, venue de la métropole avec sa douceur qui tranchait avec l’exubérance méditerranéenne…
Ses frères Prosper, Élie, ses sœurs Julie et Reine entraient progressivement dans leur vie d’adulte, tandis que Gilbert et Ginette le précédaient de peu sur les routes d’une enfance douce comme le climat et finalement colorée comme les fruits et légumes de la cuisine de là-bas… jusqu’aux années de guerre où tout se gâte.
La judéité de ces familles allait passer de commune et ordinaire dans ces contrées à pointée du doigt par le régime de Vichy.
Bien sûr, le petit Jean-Charles ne verra jamais un casque allemand, mais se faire exclure de l’école à 11 ans vous marque à tout jamais, sinon dans votre chair, au moins dans vos tripes… et il m’en aura fallu du temps, beaucoup plus tard, pour y trouver la source de son attachement inconditionnel à la République et à son école.
A la République dont il aimera toujours ce moment du shabbat où à la synagogue, on prie pour la France.
A l’école dont il nous dira 1000 fois à mon frère et à moi qu’elle est « la maison au sein de laquelle nous devions nous construire et acquérir notre seul capital », à savoir notre instruction, passeport unique pour un ascenseur social à qui il donnera tout pour que nous puissions y monter.
En fait, fils d’une illettrée et d’un rempailleur de chaises, il aura tout fait pour gagner ses premiers sous.
Garçon de boutique à la minoterie de la ville puis dans une bijouterie, d’abord magasinier puis apprenti préparateur dans une pharmacie, il trouvera aussi le temps d’apprendre la musique à la Philarmonie de Tlemcen et de devenir maître danseur, valseur hors pair, as du tango et du paso doble.
Je ne sais pas reconnaître un fa dièse d’un si bémol, mais je veille encore aujourd’hui sur sa clarinette comme sur la prunelle de mes yeux… et c’est sans doute un bout d’héritage qui fait que je peux chanter au moins 3000 chansons françaises de toutes époques et qu’il m’est impossible de résister à l’appel d’une piste de danse !
Au début des années 50, il fera ses 18 mois de service militaire, puis sera rappelé 8 mois au moment des premiers « évènements d’Algérie ».
En 56, il « montera » à Paris pour tenter d’y construire une vie meilleure, en abandonnant le soleil de son pays perdu comme les Chtis quittaient les terrils de leurs aïeux ou les Bretons s’éloignaient de leurs ports pour la gare Montparnasse.
Après 18 mois à la chaîne chez Simca (lointain ancêtre de Peugeot) aux usines de Poissy où, toutes les nuits, il montait des garnitures de portières, il s’échappa de cet enfer industriel pour embaucher chez Total, en jeune aide-comptable payé au Smic.
Il épousera la jeune et jolie Nicole Vincent, fruit de l’union de Renée de Lorraine et de Gilbert du Pas de Calais, avec qui il aura 2 fils, dont l’aîné, votre serviteur.
Tout au long de sa vie professionnelle il se battra contre le déterminisme social, et parfois plus, jusqu’à finir sa carrière en qualité de « Directeur administratif et comptable des filiales Total du quart sud-ouest de la France… » et oui, c’est comme disait ma mère, un titre long comme un jour sans pain, mais il en était tellement fier… et moi aussi d’ailleurs !
Un premier infarctus en 87 le contraindra à une retraite un poil anticipée, mais lui permettra, avec ma mère, de vivre pleinement ce rôle de grands-parents comblés avec ma fille Anna, davantage leur troisième enfant que leur petite-fille, à vrai dire.
Je ne peux oublier non plus une passion débordante pour le football, pas plus qu’une fidélité électorale sans faille au Parti Socialiste, sans jamais avoir été un militant politique au sens strict…
J’ai évidemment hérité de ça aussi, et ma mère comme ma fille ont beaucoup souri à nous voir nous enflammer sur la Gauche ou sur Lionel Messi au point que les voisins auraient pu imaginer que nous étions à 2 doigts de nous entretuer… alors que ce n’était qu’un échange affectueux entre un père et un fils, tous deux au verbe haut et à la voix qui porte.
Depuis 13 ans, je n’entends plus son rire si caractéristique même s’il résonne chaque jour dans mes oreilles et c’est difficile de faire sans… Tu aurais 90 ans aujourd’hui et tu me manques… papa …
© Marc Sadoun
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