Gérard Kleczewski. Le Wokisme, un totalitarisme qui vient…

« Vous êtes un vieux con. Et c’est parce que vous êtes un vieux con que vous ne comprenez rien à ce que nous pensons et à ce que nous faisons ».  

C’est en substance et en ces termes peu élogieux, pour tout dire méprisants (je n’ose dire insultants, car je ne suis en effet plus tout jeune et la connerie reste une caractéristique toute relative, difficilement quantifiable), que m’a répondu il y a quelques jours une jeune femme sur les réseaux sociaux, après que j’ai dénoncé les attaques dont faisait l’objet, sur ces mêmes réseaux sociaux, Noémie Halioua. 


Pourquoi ces attaques visant la brillante journaliste d’I24 et écrivain – on lui doit notamment le premier livre sur l’assassinat sauvage de Sarah Halimi, et plus récemment un ouvrage sur l’agonie du « vivre ensemble » à Sarcelles ? Parce qu’elle avait « osé » écrire, fin novembre dans Le Figaro, une tribune titrée « Les femmes ne veulent pas de l’homme déconstruit ! » (1)
Elle répondait avec talent, et pas mal d’humour, au sabir surréaliste de Sandrine Rousseau, et à tout ce courant de misandrie qui va d’Alice Coffin à Pauline Harmange, en passant, en mode « plus light », par une autre Noémie, de Lattre celle-là, actrice, metteuse en scène, auteure et militante féministe.

Cette dernière, dans une vidéo publique (2) face caméra, et sur un ton agacé et véhément, a demandé instamment au Figaro de ne plus publier ce genre de tribunes qui serait – je cite – « une démonstration parfaite de la mauvaise foi patriarcale qui caricature bêtement pour éviter de se poser les vraies questions ». 

Sorte de précipité de la « pensée » d’une partie de plus en plus agissante de la population, les propos de Noémie de Lattre vont loin dans la dénonciation de Noémie Halioua. 
Celle qui a publié en 2022, chez Albin Michel, l’ouvrage Journal : l’histoire de mon cœur et de mon cul -(quel titre !)- et qui avait monté fin 2017 la pièce Féministe pour homme, nommée pour Les Molière en 2020, cite les mots d’Halioua et lui répond avec force grimaces et interjections : 
« Mais madame… Sortez de chez vous, ça n’est pas ça un homme déconstruit ! Et puis ça n’est pas ça la féminité… Dans quel monde vous vivez ? A quelle époque vous vivez ? Vous vous trompez sur toute la ligne. Tout est faux ». Elle ajoute : « Renseignez-vous avant d’écrire de la merde ! » 

Après un point de montage, elle accorde à l’auteure de la Tribune un bon point : « Oui, vous avez raison, une majorité de femmes fantasme sur des hommes forts et puissants… » Mais c’est pour mieux alimenter ce qui va suivre et qui a de quoi faire vaciller les esprits les plus compréhensifs et tolérants :  « Interrogeons-nous sur le pourquoi ? Nous avons été matrixés (sic), nos propres désirs, nos fantasmes, ont été colonisés par le patriarcat ».  Elle ajoute : « Si on en a envie, c’est que c’est bien… Non, dit-elle dans une nouvelle grimace, dites ça aux drogué.e.s (les sous-titres sont inclusifs, j’avais oublié de le préciser, mais ça ne vous étonnera pas), dites ça aux alcooliques ! »

Quel vertigineux gloubi-boulga ! Quel joyeux Kamoulox ! Quelle terrible incompréhension du désir des femmes que de le comparer à la consommation de drogue ou d’alcool fort ! 
N’étant sans doute pas allé encore assez loin dans le délire, elle ajoute : « Dites ça aux gens qui se grattent des boutons ! » (sic). Et avec un regard littéralement possédé, derrière ses lunettes à gros foyer, Noémie de Lattre conclut « Réfléchissez, bon sang ! Je pose ça là, bisou ! »


Sans illusion 

Avant même que sa Tribune ne soit publiée, Noémie Halioua savait pertinemment qu’elle allait se faire « pourrir » sur les réseaux que l’on dit sociaux. Qu’elle susciterait des réactions outrées à la De Lattre. A preuve, ce paragraphe dans la Tribune incriminée : « Hier encore, cette affirmation n’aurait pas valu de gratter quelques lignes sur du papier électronique mais voilà qu’aujourd’hui elle est jugée rétrograde, ringarde, humiliante et a toutes des chances de provoquer des torrents d’insultes. Ce propos qui aurait été encore hier une banalité sans nom est devenu révolutionnaire, un acte de délinquance vis-à-vis de la pensée dominante. Un risque d’être pourchassé par une poignée de militantes agressives qui jugent la majorité des femmes endoctrinées, victimes du bourrage de crâne et de stéréotypes de genre dont elles se croient libérées. Nous ne serions pas à même de comprendre que nous désirons ce que la société nous a appris à désirer, en bref nous désirons mal, tandis qu’elles se croient, du haut de leur infini mépris, libérées de toute idéologie. Animées par une gigantesque condescendance, elles se donnent pour objectif de redresser ces pauvrettes (donc nous), les rééduquer jusqu’à ce qu’elles comprennent ce qu’elles doivent désirer et aimer ».

Pas d’illusion donc pour notre consœur. Mais, pour nous, l’objet d’une interrogation et d’une réflexion. Car ces attaques montrent une chose : Noémie Halioua a visé juste. A touché là où ça fait mal… Le féminisme, version Rousseau-Coffin-DeLattre, est un des éléments d’une « pensée » plus globale qui additionne et agrège, outre un féminisme à des années-lumière de Simone de Beauvoir et de Gisèle Halimi, le wokisme, le décolonialisme et l’indigénisme, et tant de « isme » encore. 

Elle est l’un des symptômes d’une longue maladie (et de ses métastases) et d’une vague d’intolérance qui submerge notre monde occidental. Ce virus du « déconstrutivisme » ne vient pas de Chine cette fois et n’est pas produit par les chauve-souris et les pangolins. C’est des Etats-Unis qu’il provient… et à l’origine de France. Nous allons le voir.

  

Deux livres, un film, un débat… 

Quelques jours après avoir acheté chez mon libraire préféré l’ouvrage La religion Woke  (3) de Jean-François Braunstein (Professeur émérite de philosophie contemporaine, grand spécialiste d’épistémologie, de l’histoire des sciences et de philosophie de la médecine), je me suis rendu jeudi soir à la projection du film de Michaël Prazan Racisé.e.s ?, une histoire franco-américaine, sous l’égide de l’Association Schibboleth dirigée par Michel Gad Wolkowicz. 
S’en est suivi un débat passionnant, avec l’anthropologue et analyste des médias Daniel Dayan, et Jean-Pierre Winter, psychanalyste et essayiste bien connu. 

A la lumière de la « controverse » des Noémie, et de l’achat du livre de Braunstein sur lequel je reviendrai, j’allais à ce rendez-vous avec d’autant plus envie de comprendre ce phénomène, je devrais dire cette série de phénomènes, qui nous assiège, nous agresse et veut mettre à bas des siècles de culture, d’histoire, de pensée philosophique et de mœurs occidentales, au nom de la lutte (légitime, elle) contre les discriminations. 

Mais avant de vous faire mes retours, je m’interroge à chaque fois que j’écris sur le « d’où ? ». 
D’où j’écris aujourd’hui, comme on disait en mai 68 « D’où tu parles, camarade ? »
Précisons donc les choses : je suis blanc (caucasien ou gaulois, même réfractaire, c’est plus douteux), hétérosexuel et donc occidental. Je suis juif aussi. J’accumule donc les éléments de discrédit pour certains… Et me voilà paré de toutes les tares pour les adeptes du Wokisme et de la « cancel culture ». Quand bien même je suis issu d’une famille modeste, que j’ai vécu les seize premières années de ma vie dans la France « profonde », loin de tout organe de pouvoir, je serai sans doute catalogué par ces  « certains »  : blanc donc raciste, homme non déconstruit donc fatalement oppresseur des femmes et des minorités « visibles » (les Juifs étant eux de plus en plus dans la catégorie des minorités « non visibles » ou « effaçables »). Juif, donc forcément riche et à coup sûr conservateur, voire « facho ». Et, « last but not least »,  nécessairement sioniste jusqu’au bout des franges de mon talith. 
La réalité, ma réalité, est si éloignée de tous ces présupposés nauséabonds, de tous ces stéréotypes, que je le prends mal. Ah oui, je suis aussi susceptible, disent mes proches. Ca doit être pour ça…

Ce que je savais avant de me rendre à la soirée de Shibboleth, c’est que résister aux présupposés et aux stéréotypes essentialistes dont je fais l’objet est devenu en cette fin 2022 un sport de combat permanent. Une épreuve d’endurance physique et morale. Une opération de self-défense digne du Krav Maga. Je me vois pourtant sans aucune des phobies dont on m’accuse, ou dont on pourrait m’accuser : je ne suis pas « islamophobe » (un terme fumeux inventé pour faire pièce à l’antisémitisme virulent et naturel de beaucoup d’arabes), ni homophobe, ni transphobe, ni lesbophobe, ni handicapophobe, ni grossophobe… Et donc pas plus phallocrate ni misogyne. Quant au racisme, j’essaye d’appliquer à la lettre le devoir de fraternité avec tout humain auquel je suis confronté, suivant ainsi la fameuse phrase de Romain Gary, hurlée dans une interview qui se passe mal (elle est dans le film de Prazan) : « Votre premier devoir, quand vous êtes ou avez été victime de racisme, c’est de ne pas être raciste ».

Je suis entré à la projection, puis dans le débat, avec une phrase en moi : « Le wokisme est une arme de destruction massive contre l’universalisme ». Elle valait ce qu’elle valait cette phrase. Devait être précisée et enrichie. Je ne demandais pas mieux que de la voir contredite, ou au contraire renforcée, par ce que j’allais voir et entendre. 

Je n’aborderai pas en détail le propos du film de Michaël Prazan, qui me parait fort intéressant et nécessaire à tous points de vue. Je dirais juste qu’il s’appuie sur le livre Racée de Rachel Khan, qui intervient au milieu de très nombreux témoins, dont Pascal Bruckner ou Elisabeth Badinter. Qu’il montre combien, et comment, la vague du Wokisme et de la « cancel culture » emporte tout sur son passage dans nos sociétés occidentales. Il montre surtout que nous ne savons pas vraiment comment faire pour lutter contre ce tsunami, entre incompréhensions, petites et grandes lâchetés et compromissions gênantes ou intéressées. 

A l’issue du film, les prises de parole de Daniel Dayan, puis celles à distance de Jean-Pierre Winter (Michaël Prazan étant souffrant) vont susciter de ma part une grande admiration et toutes les raisons de partager avec vous leurs propos, en tentant de ne pas les trahir. 

J’ai d’abord apprécié la tentative de Daniel Dayan de tracer la généalogie du « déconstrutivisme » qui vient certes des universités américaines, mais en réalité de France. Une poignée d’universitaires US a en effet ingurgité la pensée de Deleuze, Derrida, Foucault et Bourdieu sans la comprendre vraiment.  Ou en la calant sur une réalité américaine qui n’a strictement rien à voir avec la réalité française et européenne. Dayan renvoie du reste sur ce point à l’analyse précise réalisée récemment par Pierre-André Taguieff. 

Avant de poser une dizaine de questions, auxquelles il propose des réponses, Dayan affirme: « Il est temps d’organiser une résistance, car un certain nombre de phénomènes que nous vivons et subissons sont, j’en suis certain, mortifères ».  

Les questions se concentrent sur la définition de ce courant envahissant : « A quel éléphant avons-nous affaire ? » Elles se penchent aussi sur la novlangue qui l’accompagne : « Pourquoi par exemple a-t-on choisi la formule très laide d’intersectionnalité pour décrire un concept, alors que des mots existaient déjà dans le dictionnaire ? » Sa réponse : « Parce que ça accroche ». Parce que ça renforce, vulgairement, chez ceux qui l’utilisent, « l’envie de tout péter ».

« Nous sommes confrontés à une galaxie », explique Dayan, « et l’on peut y entrer par plusieurs portes ». Il ajoute: « Les Woke se prétendent des réveillés. Mais réveillés à quoi ? Comment ? Par qui ? » Il ajoute : « Le Wokisme ne peut être considéré comme un mal en soi, mais à mon sens c’est une version radicale du victimisme. C’est une idéologie à dimension religieuse ». On verra plus loin, avec le livre de Braunstein, que cet argument parait fondamental.              

Le Wokisme à la sauce US, telle que vue dans le film de Prazan, s’appuie sur les ravages au sein des Universités Américaines les plus prestigieuses de la « French Theory ». Une relecture, donc locale et partiale, des écrits de Michel Foucault, de ceux de Derrida dans sa réécriture Bourdieusienne : une déconstruction envisagée comme une quête ultime, produite dans la droite ligne de la théorie d’Heidegger, mal traduite en français (voir à ce sujet aussi Pierre-André Taguieff). 

Que d’incompréhension et de mauvaise digestion dans tout cela ! Initialement, il ne s’agissait pas pour les « penseurs » de cette « French Theory », en VO non sous-titrée, de faire table rase du passé, mais au contraire de retrouver quelque chose qui avait disparu. Une sorte d’âge d’or qu’il fallait regagner par la lutte des idées. Puis les réalisations concrètes de cette lutte. 

Les raisons de l’émergence du courant woke sont aussi à chercher du côté des mouvements « révolutionnaires », apparus principalement en mai 68 : le maoïsme, inspiré des méthodes staliniennes (purges et enfants appelés à dénoncer leurs parents), le trotskysme et son entrisme qui a permis à des professeurs et des groupuscules de s’insérer et de s’investir dans des départements universitaires et de les « retourner » de l’intérieur (Dayan nous a notamment parlé du cheval de Troie des « studies » qui ont entrainé la disparition des disciplines dans l’enseignement). 

Deux autres éléments sont aussi à observer dans l’émergence du mouvement. 
L’inspiration « talibane » d’abord. Ou comment la « cancel culture » ne fait rien d’autre que déboulonner des statues réelles ou symboliques, comme les talibans ont pu le faire « physiquement » avec les Bouddhas géants, les soldats de Daesch avec certaines œuvres plurimillénaires…  La « palestinolâtrie » ensuite : « Palestine, nombril de l’univers » pour ceux qui refusent aux Juifs le statut de victimes ou le minimisent. Les techniques du BDS sont là pour dénier aux Juifs toute légitimité sur leur terre, pour ériger un mur symbolique contre tout un pays et tous ses habitants (Juifs, Musulmans et Chrétiens) au nom d’un combat pour les « nouveaux damnés de la terre ».

De tout cela nait un paradoxe : celui des valeurs affichées par ces activistes de la pensée woke. Ils se réclament du progressisme. « Mais un progressisme avec un rétroviseur, un révisionnisme, une tentation extrême pour mettre à bas les grands mythes originels et choisir SES victimes : l’esclavage oui, la Shoah non ». (Dieudonné et Soral, des woke qui s’ignorent ?). Et Dayan de citer l’ahurissante campagne du New York Times pour changer la date de fondation des Etats-Unis, en remplaçant la Déclaration d’Indépendance (le 4 juillet 1776) par la date des premières arrivées sur le continent des esclaves africains !    

Il met le doigt aussi sur la demande affichée d’un « égalitarisme absolu », ce qui est strictement impossible. Le germe d’un totalitarisme pour le coup absolu. « Ce qu’on peut vouloir et demander, dit Dayan, c’est le principe de l’équité, pas un égalitarisme sans limite ». Avec un tel concept, on voit se détacher de « vraies » victimes et d’autres qui ne peuvent pas l’être, ne le seront jamais (les blancs). Autrement dit, il y a les « super victimes » (les noirs) et les « sous-victimes » (notamment sexuelles) comme ces femmes en Allemagne, violées et soumises aux attouchements par des migrants. Un crime qu’il faut taire car les crimes ont été commis par des « super victimes ». A la fin de cette séquence, Dayan évoque, non sans humour, toute une codification et des règles qui se mettent en place : « Une sorte de code de la route des victimes ». 


Et l’identité

Il y a encore la question de l’identité. « En même temps », comme dirait un Président, certaines identités sont « extra-utilisées » et ont tous les honneurs (racialisme) tandis que d’autres sont mésestimées voire interdites (renvoyant toute revendication identitaire au pire à un fascisme, une incongruité à minima).   

Dayan a alors évoqué la question du casting : le « Qui ? », sans aucun rapport avec l’utilisation qui en a été faite, avec motivation antisémite, par un Général à la retraite, une institutrice de l’Est de la France et d’autres encore, à la sortie du dernier confinement. 

Dans la dramaturgie, explique-t-il, il y a deux grandes dimensions : la construction de la pensée et le ferment du victimisme, qui transforme la compassion en pitié, la non-repentance en crime. 
Il y a des victimes clairement identifiées (les noirs, victimes de l’esclavage,  qu’on transbahutait sur des bateaux, les indiens d’Amérique, les arabes et les africains, les Palestiniens) et des perpétrateurs (nous tous les Français et les européens blancs judéo-chrétiens). Parmi les victimes, certaines n’ont pas droit de cité car elles réduiraient la portée victimaire de certaines « super victimes » possiblement perpétrateurs dans certaines circonstances.  

Ces professionnels de la victimisation font le choix du ressentiment et analysent toutes les situations à travers le tamis réducteur de l’oppression. Ils sont les pros aussi de la plainte (Dayan cite Tarik Ramadan qui « slame » la somme de ses plaintes et conclut par un « Et vous imaginez qu’on vous laisserait tranquille ».) Cités aussi dans le film, Houria Bouteldja et la sœur d’Adama Traoré, véritable égérie de l’autre côté de l’Atlantique, la si médiatique Rokaya Diallo également vedette de l’ère Obama et chroniqueuse un temps chez Cyril Hanouna, ou même encore l’ex-ministre de Nicolas Sarkozy, Rama Yade, qui habite désormais aux USA et se sent « micro-humiliée » quand elle passe devant une statut de Colbert… 
Et si un plaignant se plaint, ce qui lui semble normal, peut-on vérifier la véracité et la légitimité de sa plainte ? Non, car la notion de « racisme systémique » est son bouclier, un passe-partout. Quel besoin d’expliquer et de trouver un sens historique ou conjoncturel à des iniquités éventuelles puisque le système est « pourri ». Toute discussion en devient inutile ! Il faut tout détruire et ça n’est pas d’une « destruction créatrice » à la Schumpeter dont il s’agit… 

A qui profite le crime ?  

La question se pose alors du « À qui profite tout ça ? » Pour Dayan, à ceux qui veulent voir advenir des sociétés empêchées, moralement handicapées, où l’esprit critique disparait. Des populations rendues coupables de tous les maux et qui n’ont pas les mots pour se défendre face à des crimes qu’ils n’ont pas commis (et qu’ils n’assument pas forcément). 

La récupération politique de l’extrême gauche est, dans ce contexte, évidente. Demandons-nous, dit Dayan, ce que signifie « France Insoumise » ? Insoumise à quoi ? Sa réponse : insoumise à elle-même, ses propres principes, ses propres valeurs. 

Au passage, qui s’étonnera dès lors du sort d’Adrien Quatennens et des autres agresseurs sexuels au sein des instances dirigeantes du Parti de Mélenchon, alors que le féminisme est supposé être l’un des éléments majeurs de l’ADN de ce parti ? 

Revenons à la question « À qui ça profite ? » et listons trois types de « profiteurs » du chaos engendré : les mouvements révolutionnaires occidentaux, les impérialismes émergents dans le monde et les petits Lénine et autres petits Saint Paul, au sein des sociologues US. 
Ces trois types de profiteurs s’appuient sur trois vecteurs principaux : l’entrisme universitaire, la racialisation de la culture et la victimisation de la linguistique triturée à l’envi, avec notamment une inondation de néologismes (souvent sans queue ni tête).           

Les crises nées du Wokisme, et de tous les mouvements qui l’entourent et adhèrent à lui, peuvent se développer et s’étendre via plusieurs dimensions : 

  • L’étendue : le public le plus large possible doit être atteint, en descendant des universités pour se joindre à « la masse », en créant le « buzz », des crises, des chocs.
  • La rétention : répéter sans fin les messages, « tapisser de bombes » le sol européen.
  • L’affect victimiste : ne pas hésiter à en faire des tonnes pour tirer des larmes et créer une culpabilité inextinguible.
  • Les actions : obliger les héritiers des perpétrateurs à demander pardon, à faire contrition tandis que les héritiers des victimes ne doivent jamais cesser de se plaindre et exiger des réparations.

Dans ce domaine, l’usage de la langue et de la « novlangue » est un instrument essentiel du développement woke. Cela n’a rien de nouveau. L’écrivain et philologue allemand Victor Klemperer avait perçu par exemple combien l’allemand permettait de créer des mots composés, les nazis ne se privant de cette possibilité pour « inventer » (même si Klemperer ne croit pas à l’invention mais à la réutilisation) des mots à même de servir leur propagande. Victor Klemperer a consciencieusement noté les particularités de cette « novlangue » pendant les années du nazisme, ce qui lui servait aussi à garder son esprit critique et à résister individuellement à l’emprise du régime hitlérien. Autre témoin majeur, cité aussi dans le film de Prazan : George Orwell qui avait tout perçu et tout compris, dans 1984La Ferme des animaux, etc. 

L’apport de Jean-Pierre Winter 

Globalement en accord avec tout ce que Daniel Dayan a dit, Jean-Pierre Winter est intervenu en déclarant lui aussi : « L’heure est grave ! » et « Il n’y a aucune raison d’être optimiste… Je ne le suis pas ». 

Il a plus insisté sur la psychologie des acteurs de ces mouvements qui consacrent leur « ressenti » en totem de la vérité, sur le mode : « mon ressenti c’est MA vérité, c’est donc LA vérité » et, citant un livre récent et important d’Éric Marty (5), il dénonce un nouveau paradigme « Je ne suis pas qui je suis ou ce que je fais, je suis parce que je jouis ».   Et Winter de citer Roland Barthes qui expliquait « La loi, la doxa, la science ne veulent pas comprendre que la perversion rend heureux » (une citation tronquée qui plus est, car la suite de la phrase rend encore plus dramatique le propos (6)).
Winter en conclut qu’aujourd’hui, la différence s’opère par la jouissance. « Je revendique ma jouissance, peu m’importe qu’elle s’oppose à la tienne, je ne suis pas prêt à céder un pouce de mon plaisir. Et personne n’a le droit de rompre cette certitude ».  

Ma conclusion et l’introduction du livre de Braunstein

Il faut remercier Michaël Prazan pour son film si juste, Daniel Dayan et Jean-Pierre Winter pour leurs éclairages à la fois magnifiques et angoissants. J’ai pensé en les écoutant à plusieurs ouvrages, dont La Vague  de Todd Strasser et  La tâche, chef-d’œuvre de Philippe Roth (qui n’aura jamais eu le Nobel contrairement à une écri-vaine française du tout à l’égo, de la plainte et de la vengeance personnelle  « de sa race » , résument l’essentiel de la pensée woke). 

Et donc j’ai repris la lecture du livre de Jean-François Braunstein chez Grasset : La religion Woke. Il analyse en profondeur ce qui pour lui n’est pas seulement un courant de pensée, mais une religion avec toutes les caractéristiques propres aux religions : un dogme, des prêtres, des ouailles, etc. Mais une religion nouvelle. La première à être née au cœur-même des lieux supposés d’intelligence (les universités) tout en se développant contre soi-même (contre l’intelligence et la science). Une religion qui s’érige contre la réalité du monde (exemple : la théorie du genre) et contre l’universalisme (antiracisme raciste, notion de privilège blanc, intersectionnalité).  Un obscurantisme d’autant plus traitre qu’il s’affiche à l’inverse comme un humanisme et qu’il progresse grâce au manque de culture, de discernement et d’éducation (la « cancel culture » ne serait pas possible sinon) des populations déjà confrontées à toutes sortes de crises. 

 
Comme, pour Braunstein, le Wokisme est une religion, il sépare les individus entre les « purs » et les  « impurs » . Lisons-le : « En fait, écrit-il, la religion woke ne se préoccupe pas du pardon, elle est bien plus obsédée par la détection du péché et par la séparation entre les purs et les  impurs ». L’excommunication et les dénonciations, l’hérésie sans cesse renaissante, sont au cœur de la religion woke. Il ne s’agit pas pour elle d’annoncer un avenir meilleur, ni de promettre un quelconque au-delà, il s’agit surtout de purger ce monde des méchants et de combattre les injustices qui sont faites aux divers groupes discriminés. C’est ce qu’avait noté Alain Finkielkraut à l’occasion d’une réflexion sur le livre de Roth La Tâche  : « le politiquement correct est un gigantesque effort pour redresser le bois tordu de l’humanité », une lutte sans fin pour désigner des coupables. En ce sens l’expression « de guerriers de la justice sociale » est adaptée pour décrire les pratiques quotidiennes de ces wokes qui passent chaque jour d’un combat à l’autre pour attaquer les coupables et défendre les victimes qui prolifèrent. […] Une fois ces impurs découverts, il faut les nommer et leur faire honte notamment sur les réseaux sociaux, le fameux ‘name and shame’. L’essentiel est de n’engager en aucun cas le dialogue avec le réprouvé, c’est ce que vise la ‘cancel culture’, l’annulation de l’existence-même d’ennemis qui sont pour les wokes la personnification du mal. La religion des élus est aussi une religion des purs qui vise à une sorte de catharsis de la société où on fera honte aux privilégiés, responsables de tout le mal social. Il s’agit de fournir des règles de conduite hypermorales qui permettent de signaler sa « vertu » et de dénoncer les méchants, les racistes, et les phobes de toute espèce… »

Pour aller plus loin encore… 

Pour finir, un dernier conseil de lecture de Daniel Dayan. Un livre salutaire, récemment publié à L’Harmattan : Le puzzle de la République: Marianne et le discernement (7) de Mylène Coitoux et René Badache. Cet ouvrage rend grâce à la laïcité qui est un rempart contre l’accélération des différentialismes, par essence délétères. Il aborde les nouvelles censures, l’antiracisme identitaire et victimaire, le néo-féminisme et la lutte des races qui remplace la lutte des classes. Il fait le constat, tout aussi alarmant que ceux de Prazan, Dayan et Winter, que le wokisme et la « cancel culture » imprègnent désormais l’école publique et la culture, que l’idée de blasphème, le complotisme cheminent dans la jeunesse, accentués par l’utilisation des réseaux sociaux.

L’ambition des auteurs est d’appeler à un retour du Politique et de la République pour faire vivre la Démocratie et pour débattre avec discernement.  

Y arriverons-nous ? Rien n’est moins sûr ! Mais le taire serait une erreur tragique ! Alors résistons !

© Gérard Kleczewski

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5 Comments

  1. Vous dites : « D’où j’écris aujourd’hui, comme on disait en mai 68 …….
    Précisons donc les choses : je suis blanc ……hétérosexuel …. »

    personnellement je ne suis pas hétérosexuel mais normal.
    Dans notre monde normalophobe une telle affirmation est, je sais, choquante. On n’ose plus se dire normal.Les wokes ont gagné

    • « Les wokes ont gagné » ?. Je ne crois pas qu’ils aient déjà gagné, il y a encore et heureusement beaucoup de gens qui ont « raison gardée » … C’est curieux. C’est comme si tous ces d… disons wokes avaient fait le pari de parvenir à faire croire et imposer à tous, du moins en occident, tout ce fatras de concepts totalement invraisemblables, de contrevérités, à coups de matraquage, de culpabilisation etc. Il faut reconnaître qu’ils ont pas mal avancé, grâce à certains médias, lobbies, etc. Cela risque de durer jusqu’à ce que des conséquences malheureuses, voire dramatiques surgissent chez ceux qui se sont laissés berner..

      • @Carole France Inter, France TV, BFMTV, LCI…La mafia Le Monde (plus grand groupe de presse…euh pardon de propagande français), Libe, Le Point, Marianne, Slate, la presse people…Le cinéma, la «  » » »littérature » » » , la «  » »musique » » », La Rééducation Nationale, les Universités, les Ministères, l’Élysée…En fait c’est tout l’ État de ce pays qu’on n’ose même plus nommer qui est wokiste.

  2. M. Kleczewski. En lisant votre commentaire très juste et très pertinent, je me dis que ce n’est pas parce que vous êtes un vieux con (même si vieux vous l’êtes) que vous ne vous êtes pas compris avec ces … gens mais plutôt, autre option beaucoup plus vraisemblable, parce que vous avez eu affaire à de jeunes (ou pas si jeunes) con(ne)s formaté(es )et donc borné(e)s et mal embouché(e)s de surcroît !
    Et la journaliste incriminée Noémie Halioua a bien raison. Les femmes, du moins les vraies, les non formatées, n’aiment pas les hommes « déconstruits ».

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