Un livre aux éditions de l’Archipel. Le bleu d’une piscine en couverture dont les lignes de nage sont séparées par des barbelés. En filigrane, cette image mille fois vues, avec horreur, des rails conduisant à l’entrée et au tri d’Auschwitz Birkenau. Et un gros titre blanc barrant la couverture : « Le Nageur d’Auschwitz », suivi de « roman ».
Je ne connaissais pas Renaud Leblond, son auteur*, jusqu’à notre rencontre, un dimanche ensoleillé de novembre à Saint-Maur des Fossés, à l’occasion d’un salon du livre, superbement organisé par le Bnai Brith 94.
J’avais compris instantanément que le roman parlait d’Alfred Nakache, ce nageur parti de sa Constantine natale pour devenir à Paris, puis à Toulouse, un immense champion de natation. Lui qui à l’enfance avait une peur bleue de l’eau !
Qu’il évoquait les conditions dans lesquelles Alfred, son épouse Paule et leur toute petite fille Annie, avaient été déportés aux confins de la Silésie. Qu’il revenait sur l’enfer concentrationnaire vécu par Alfred, sur la mort de sa femme et de sa fille. Sur l’antisémitisme virulent d’un concurrent humilié et d’une société collaborationniste désireuse de se débarrasser à tout prix de « ses Juifs ».
Qu’il évoquait enfin la « marche de la mort » dont Nakache était miraculeusement revenu. Ainsi que sa « résilience », si peu de temps après son retour, pour redevenir un nageur recordman du monde, participant aux premiers Jeux Olympiques d’après-guerre à Londres et inscrit, de longues années après, au « Hall of fame » de la natation mondiale !
Tout cela, je l’avais compris. Et j’aurais pu passer mon chemin sans m’arrêter devant la table de signature de Renaud Leblond. Mais j’entamai à brûle pourpoint une discussion avec lui. Je compris en l’écoutant qu’il fallait que j’achète ce roman et ce, pour de multiples raisons. A commencer par la délicieuse dédicace que l’auteur avait écrite, à ma demande, pour ma compagne qui se nomme Nakache, est originaire par son père de Constantine, comme Alfred… dont il était un petit cousin.
J’avais écrit ici qu’avec elle nous étions allés, il y a quelques mois, assister à la pièce « Sélectionné » avec Amir Haddad, seul en scène, avec les brillants Steve Suissa à la mise en scène et Jacques Rouveyrollis à la mise en lumière**. J’avais alors dit que je connaissais l’histoire d’Alfred Nakache, dont le nom avait été donné à une piscine de Belleville que je croise souvent dans mes déambulations parisiennes, pour avoir vu un soir sur France3 un reportage bouleversant à son sujet. Et bien entendu le fait d’avoir une personne de sa famille dans ma vie n’était pas étranger à mon envie d’en savoir toujours plus sur lui.
Comme cela m’arrive souvent, j’ai ouvert le roman de Renaud Leblond à la dernière page, juste avant la bibliographie sur laquelle s’est appuyé l’auteur pour coller au plus près de la vérité historique. J’y ai lu : « J’espère que ce roman contribuera, à sa manière, au devoir de mémoire et à la vigilance, plus que jamais nécessaire, face à l’antisémitisme et toutes les formes de racisme« . J’étais d’autant plus convaincu de lire sans attendre « Le nageur d’Auschwitz » …
Mais allais-je être déçu ? Regretterais-je d’avoir acquis ce livre ? Et pourquoi en parler maintenant alors qu’il est sorti le 5 mai 2022 ?
A ces questions je réponds : non je n’ai nullement été déçu, bien au contraire. Loin de regretter l’acquisition de ce livre j’étais ravi. Il fallait donc que je vous en parle, même six mois après sa sortie.
Et si j’ai aimé ce livre, je ne suis pas le seul. A l’heure où je commençais à écrire ces lignes, pour dire tout le bien que j’en pensais, le 27e Prix « Sport Scriptum », parrainé par la FDJ et organisé par l’Union des journalistes de sport en France, a récompensé Renaud Leblond pour son livre. Il succède à l’excellent « Ne t’arrête pas de courir » de Mathieu Palain, qui avait également obtenu le Prix Interallié.
Travail d’orfèvre
L’écriture et la construction du roman de Renaud Leblond sont en tous points remarquables. Chaque chapitre (court et dense) est précédé d’une date, d’un lieu ou d’un nom d’épisode dans la vie d’Alfred. Le texte rebondit sans cesse, de chapitre en chapitre, sans respect de l’ordre chronologique. Ou plutôt avec des allers-retours permanents entre la vie « d’avant » et celle du camp, puis celle de la libération et du retour à la vie.
Tous les faits marquants de la vie d’Alfred Nakache y sont restitués avec une forme romanesque aboutie, permettant d’être au plus près de sa psychologie, de sa vérité d’homme. Les dialogues reconstitués ou inventés – privilège du romancier – sont justes, jamais emphatiques ni gouvernés par un pathos excessif.
Et quel plaisir de lire l’enfance d’Alfred à Constantine, la magnifique Cité des Passions, ses ruelles, sa mer d’un bleu ton sur ton avec le ciel et ses familles juives dont l’auteur réussit brillamment à restituer la vie, l’ambiance, entre traditions et bonheurs simples de l’existence.
A toutes les époques de la vie de Nakache, depuis son enfance à Constantine jusqu’à ses années parisiennes, des JO de Berlin en 36 à son arrivée « forcée » à Toulouse pour fuir la bête immonde, avant le départ pour Auschwitz via Drancy dans le convoi 66 et tout ce qui s’en est suivi (rarement quelqu’un qui n’a pas vécu de l’intérieur les camps a pu être aussi précis dans la description de ce qui s’y est déroulé), on vit littéralement avec lui, on souffre et on rit avec lui. Comme en 1941 par exemple, quand Alfred Nakache, déchu de sa nationalité par Vichy, passe en zone « libre » et s’installe avec son épouse à Toulouse pour reprendre l’entrainement aux Dauphins du TOEC, l’un des plus grands clubs de natation français (encore aujourd’hui).
On y découvre, parallèlement à la bassesse de Jacques Cartonnet, jaloux, antisémite, devenu responsable de la milice à Toulouse, des gens extraordinaires et courageux, comme Monseigneur Saliège et son texte bien connu. Comme la famille Jany dont le jeune fils Alex deviendra à son tour un champion. Comme tous ses copains du TOEC décidant de boycotter les compétitions du Championnat de France qui se déroulent pourtant à Toulouse, parce que Vichy a interdit à Alfred de nager… Comme encore Alban Minville, l’entraineur mythique qui va l’aider à retrouver une force physique, en l’incitant à renager, à se réalimenter progressivement. Et comme Noah Klieger (1)
En lisant ce livre, vous passerez par des émotions vraies, du rire (parfois) aux larmes (souvent). Comme cette scène où il se rend tous les jours, jusqu’en 1946 et l’annonce officielle de la mort d’Annie, à la gare Matabiau, espérant retrouver sa femme et sa fille, qui ne descendront jamais du train…
Dans ma famille, j’ai entendu toute ma jeunesse parler de l’hôtel Lutétia à Paris. Ma grand-mère y allait tous les jours, espérant retrouver ou reconnaitre quelqu’un parmi toutes les personnes décharnées qui descendaient des autobus… J’ai réalisé ainsi, grâce à Renaud Leblond, que ces scènes avaient dû se reproduire dans tous les coins de l’hexagone…
La pièce « Sélectionné » revient avec Amir à partir du 19 janvier et pour 52 représentations au studio Marigny !
Alors, lisez ce roman, faites-le connaitre autour de vous !
Et un petit conseil pour finir : si vous voulez vivre intensément cette histoire, après l’avoir lue, prenez à partir du 6 décembre des places pour « Sélectionné« . En effet, alors que je finissais la lecture de l’ouvrage de Renaud Leblond, j’apprenais que la pièce revenait avec Amir, à partir du 19 janvier, et pour 52 représentations, au studio Marigny !
© Gérard Kleczewski
- Des personnages célèbres ou qui devraient l’être
Au-delà d’Alfred Nakache, le livre permet de rencontrer tant de personnages des plus lâches et vils (Jacques Cartonnet, dit « Carton » en tête) aux plus flamboyants : Victor Young Perez (le champion de boxe Tunisien qui était avec lui à Auschwitz et a été assassiné lors de la « marche de la mort »), « Cheikh Raymond » (Raymond Leyris, le génie de la musique à Constantine, assassiné lui en Algérie par le FLN, beau-père d’Enrico Macias et grand-père d’Alexandra Leyris qui nous a malheureusement quitté si jeune ), Jean Borotra (le mousquetaire du tennis Français, un temps à Vichy avant d’être viré puis emprisonné par les nazis), Willy Holt, Alex Jany et toute la famille Jany, l’excellent Noah Klieger (à Auschwitz, il partage les séances de « natation sauvage » avec Alfred dans le camp. Il survécut lui aussi au camp d’extermination et à la « marche de la mort ». Il participa à la guerre d’indépendance d’Israël, s’y est établi avant de devenir un journaliste sportif de talent, reconnu par ses pairs). Mais aussi Etienne Mattler le footballeur, Alban Minville l’entraineur et Jean Taris, ou encore Georges Vallerey …
- Le héros d’Alphonse Halimi
Alphonse Halimi, l’un des personnages du livre sur lequel je travaille, vouait une véritable passion à Alfred Nakache, son voisin de Constantine. Né en 1932, il était encore jeune quand Alfred est parti en métropole pour réussir dans la natation – ce qu’il fera lui-même après-guerre, pour devenir le boxeur que l’on sait. Ce que l’on sait moins c’est que le champion du monde des Poids Coq, le 1er avril 1957, était un amoureux de la natation et espérait au départ percer dans ce sport. La boxe est alors arrivée dans sa vie et ne l’a plus quitté. La natation du reste non plus, puisqu’au soir de sa vie, alors qu’il ne pouvait plus exercer l’art pugilistique ni son enseignement, et après une expérience de cafetier à Vincennes, il fut plusieurs années durant Maitre-Nageur dans des piscines de banlieue parisienne…
* Renaud Leblond est le fils de François Leblond. Ils sont les descendants d’Henri Boutmy, le frère d’Emile Boutmy, (1835-1906), le fondateur de Sciences Po. Renaud Leblond avec son père, tous deux diplômés de Sciences Po Paris, ont écrit il y a un peu moins de dix ans un essai biographique sur Emile aux éditions Anne Carrière : « Emile Boutmy le père de Sciences Po ». Un essai qui se lit comme un roman doublé d’une réflexion puissante et passionnante sur la formation des « élites » en France.
Renaud Leblond est Directeur Editorial de XO Editions, Fondateur et Président de l’Association Jules Rimet (l’inventeur de la Coupe du Monde de football). Pendant cinq ans, il fut aussi Directeur de la Fondation Jean-Luc Lagardère et Conseiller pendant quelques mois d’un secrétaire d’Etat à la fin des années 90. Il a commencé sa carrière comme journaliste à l’Express de 1988 à 1995. Pour l’anecdote, il est né le 11 mai 1965, je suis né le 12 mai 1965 !
** (https://www.tribunejuive.info/2022/05/14/gerard-kleczewski-on-lappelait-artem-il-sappelle-amir/) Dans une interview pour la Dépêche du Midi, Renaud Leblond a expliqué que son livre devait sortir avant la Pièce « Sélectionné« , mise en scène par Steve Suissa et jouée par Amir Haddad. « C’est un hasard. On ne connaissait ni l’un l’autre nos projets respectifs. Mais ça a été une formidable mise en lumière de son histoire ».
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