« Vie et mort d’Emile Ajar », le manuscrit où Romain Gary révélait la vérité: véritable pied de nez au Tout-Paris littéraire. Hubert Bouccara

Tout commence en 1974 quand Romain Gary, 60 ans, réalise qu’il est catalogué « gaulliste démodé ». Gaulliste, oui, démodé, non ! Il invente alors un personnage, « Emile Ajar », mystérieux écrivain vivant au Brésil et publie alternativement sous son nom et celui d’Ajar.

Son but ? Obliger la sage Académie Goncourt à entrer dans l’illégalité ! Il a déjà reçu le célèbre prix une fois en 1956 pour « Les racines du ciel » mais, afin de contredire le règlement du Goncourt, il n’a qu’à en décrocher un second. Et, comme si c’était simple, remporte le Prix Goncourt en 1975 avec « La Vie devant soi »… d’Emile Ajar.

Quelques jours avant de se suicider, Romain Gary révèle la vérité, dans un manuscrit intitulé « Vie et mort d’Emile Ajar ». Un véritable pied de nez au Tout-Paris littéraire.

Dans le courant des années 70, alors qu’il était décrit par la critique comme un écrivain fini, asséché, Romain Gary publie quatre romans : « Gros-Câlin », « La Vie devant soi », « Pseudo » et « L’Angoisse du roi Salomon ».

Les média ont besoin de concret : le rôle d’Emile Ajar sera endossé par Paul Pavlovitch, un parent éloigné de l’auteur ; en fait, son petit cousin.

« Vie et mort d’Emile Ajar » est le récit de cette supercherie qui permit à Romain Gary d’obtenir le Goncourt pour la deuxième fois en 1975 avec « La vie devant soi ».

Rédigé en mars 1979, et transmis à son éditeur le 30 novembre 1980, « Vie et mort d’Emile Ajar » ne sera publié qu’après sa mort par suicide le 2 décembre 1980.

Un récit qui se termine par ces mots :

« Je me suis bien amusé. Au revoir et merci. »

Extrait.

« J’écris ces lignes à un moment où le monde, tel qu’il tourne en ce dernier quart de siècle, pose à un écrivain, avec de plus en plus d’évidence, une question mortelle pour toutes les formes d’expression artistique : celle de la futilité. De ce que la littérature se crut et se voulut être pendant si longtemps – une contribution à l’épanouissement de l’homme et à son progrès – il ne reste même plus l’illusion lyrique. J’ai donc pleinement conscience que ces pages paraîtront sans doute dérisoires au moment de leur publication, car, que je le veuille ou non, puisque je m’explique ici devant la postérité, je présume forcément que celle-ci accordera encore quelque importance à mes œuvres et, parmi celles-ci, aux quatre romans que j’ai écrits sous le pseudonyme d’Émile Ajar. »


2 décembre 1980.

Romain Gary/ Emile Ajar/ Fosco Sinibaldi/ Shatan Bogat

Un an après le suicide de son épouse, l’actrice Jean Seberg, Romain Gary, se suicide en se tirant une balle dans la bouche avec un revolver Smith & Wesson.

Après sa disparition, on découvre qu’il écrivait également sous le pseudonyme d’Émile Ajar et qu’il est l’auteur de quatre autres romans.

Gros câlin, La vie devant soi, Pseudo, L’angoisse du roi Salomon.

Sous d’autres pseudonymes…

L’homme à la colombe, Fosco Sinibaldi.

Les têtes de Stéphanie. Shatan Bogat.

Ainsi l’écrivain aux multiples noms avait reçu deux Prix Goncourt : un pour « Les racines du ciel » (Romain Gary, 1956) et l’autre pour « La vie devant soi » (Émile Ajar, 1975).

Il laissera une lettre datée « Jour J » :

Jour J

Pour la presse.

« Jour J.

Aucun rapport avec Jean (Seberg).

Les fervents du cœur brisé sont priés de s’adresser ailleurs.

On peut mettre cela évidemment sur le compte d’une dépression nerveuse. Mais alors il faut admettre que celle-ci dure depuis que j’ai l’âge d’homme et m’aura permis de mener à bien mon œuvre littéraire. Alors, pourquoi? Peut-être faut-il chercher la réponse dans le titre de mon ouvrage. »


© Hubert Bouccara

Spécialiste de Kessel, Hubert Bouccara tient « La Rose de Java« , librairie hors-norme entièrement consacrée à l’œuvre de Gary et Kessel, et décrite par Denis Gombert comme « un lieu atypique, vrai petit coin de paradis parisien pour lecteurs passionnés ».

La Rose de Java.
11 Rue Campagne Première
75014 Paris

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