Depuis toujours, j’ai le voyage dans le sang. J’ai même l’impression que partir et revenir est devenu un de mes soutiens et un de mes secours. J’ai visité récemment Helsinki et les capitales des trois pays baltes en terminant mon odyssée par Vilnius, la métropole lituanienne. Ramassée sur elle-même, la ville médiévale va de la porte de l’Aurore jusqu’à la tour de Gediminas qui se trouve sur une butte face à la Néris.
Arrivé à l’aube dans cette ville, j’ai eu le temps de prendre des photos de la cité encore endormie et de les publier. C’est mon amie Sarah Cattan qui a réagi en premier en m’adressant un article de Tribune Juive sur le triangle juif au cœur de Vilnius en me disant : “Peut-être passeras-tu cher Kamel”. Prenant en compte ces conseils avisés, je m’y suis donc promené et me suis intéressé à l’histoire du triangle juif de Vilnius. De la “Jérusalem de l’Est” ne subsiste pas grand-chose sinon la synagogue chorale alors que la ville en possédait plus d’une centaine.
Yitskhok Rudashevski, l’Anne Franck polonais
Flânant dans le quartier juif, je me suis intéressé à la douloureuse période qui a vu la communauté juive de la ville réduite à moins que rien. C’est lors de mon approche de cette terrible période de la communauté juive que j’ai appris l’existence d’Yitskhok Rudashevski, l’Anne Franck polonais. Parce que Vilnius se trouvait en Pologne et s’appelait Wilno avant la Seconde guerre mondiale. De retour à Paris, je me suis empressé de commander son livre. Yitskhok y était donc né et y habitait à l’époque où Wilno avait une importante population juive. C’était un très bon élève qui aimait la littérature et l’histoire. Il adorait lire et écrire. Au moment où les nazis ont pénétré dans Wino, Yitskhok avait tout juste 14 ans. Son journal, écrit en yiddish, sera retrouvé à la fin de la guerre par sa cousine dans une cache parmi la boue. L’adolescent raconte son quotidien dans le ghetto et son désarroi, – la détresse de ne pas vivre la fin de son enfance, la rage causée en lui par la police juive qui seconde la gestapo, l’angoisse de ne plus embrasser ses parents, la souffrance d’avoir perdu sa grand-mère, la cohabitation forcée avec des inconnus dans des caches fabriquées dans des endroits improbables…
Son journal raconte des atrocités inimaginables soulignées avec des images bouleversantes, avec des passages poignants. C’est aussi un document exceptionnel qui nous prouve la détermination d’un gamin à vouloir vivre à tout prix une vie normale dans l’abjection la plus totale. Parce que la vie à elle seule est déjà un acte de résistance contre la barbarie.
Le jeune homme raconte par le menu le quotidien des gens enfermés dans les ghettos surpeuplés, les conditions inhumaines qui leur étaient infligées, la mesquinerie des Lituaniens et des policiers juifs qui faisaient du zèle pour plaire aux nazis, le peu de nourriture, les maladies, la promiscuité et la sauvagerie des rafles.
La persécution des Juifs s’est prolongée jusqu’à l’impensable lorsque les nazis ont rassemblé plus de 35.000 personnes dans la forêt de Ponary pour les exterminer. Un groupe de résistance s’est constitué alors au sein de ghetto mais il a été trahi. Et en septembre 1943, les nazis ont décidé d’en finir avec ceux qui restaient. Yitskhok et ses parents ont décidé de s’installer dans une cache aménagée dans le grenier de la maison de son oncle. Début octobre 1943, les Allemands découvrent la cachette. Yitskhok, seize ans, et les membres de sa famille ont été trainés dans la forêt de Ponary et ont été sauvagement abattus. La cousine de Yitskhok réussit à s’échapper et se joignit aux partisans. Elle est retournée à Wilno après la guerre et a trouvé le journal de Yitskhok Rudashevski.
Pour que jamais nous ne puissions oublier ces horreurs !
© Kamel Bencheikh
Né à Setif et vivant à Paris, Kamel Bencheikh est chroniqueur au Matin d’Algérie. Il est notamment l’auteur de Prélude à l’espoir, Jeune poésie algérienne, Anthologie de la poésie algérienne de langue française, L’impasse, La réddition de l’hiver, Là où tu me désaltères.
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