80 ans après les départs des premiers grands convois vers Auschwitz, deux concerts exceptionnels sont donnés avec les instruments de déportés. Un hommage aux victimes comme un acte de foi et d’espoir.
C’est un authentique rescapé de l’horreur des camps. Marqué, corps et âme, par l’infernale fournaise des fours crématoires. Il en porte les stigmates sur sa robe de bois, striée de blessures rendues indélébiles par la chaleur de ce feu qui avait commencé de le consumer lorsqu’un GI américain le sauva des flammes. L’âme de ce violon aurait pu être à jamais muette. Grâce au travail et à l’acharnement d’un luthier israélien, ce violon brûlé et cent neuf autres de ses camarades, ayant appartenu à des déportés, vivent et résonnent à nouveau.
«Lorsque je me penche sur l’un de ces instruments, j’ai l’impression d’œuvrer sous le regard des six millions de victimes de la Shoah… » Le regard concentré sur un passé qui le tourmente encore, Amnon Weinstein, maître luthier, évoque, devant un parterre de journalistes réunis dans l’un des lieux emblématiques du retour des rescapés des camps de la mort, l’Hôtel Lutetia, les quelques rescapés des camps que ses parents accueillirent en Israël, alors qu’il n’avait que six ans. « Ils étaient maigres, silencieux… Dans la chambre où ils dormaient, ma mère retrouva des morceaux de pain cachés dans leurs oreillers», se souvient-il. Âgé de quatre-vingt-trois ans aujourd’hui, ce fils de luthier, qui a lui-même transmis cette passion à son fils Avshalom, parle de chacun de ses «enfants», arrivés dans son atelier de Tel-Aviv au gré des hasards et des rencontres. Le premier auquel il redonna vie fut un violon couvert de cendres, retrouvé près d’un des fours crématoires, qu’il identifia, en le restaurant, comme celui de son grand-père, mort à Auschwitz. Dès lors, ce passé qu’il se refusait à toucher devient le défi de sa vie : puisque ceux qui jouèrent sur ces violons sont morts, il faut leur rendre hommage en ressuscitant ces instruments qui vibrèrent sous leurs doigts, en donnant à ces humbles compagnons de vie une nouvelle existence, une chance d’émouvoir encore et de porter l’espoir.
Des wagons à bestiaux aux ghettos
Ils sont donc 110 instruments aujourd’hui, dans cette collection unique, où chacun est lié à l’histoire personnelle d’une victime de la Shoah. Certains ont voyagé avec eux dans les wagons à bestiaux, d’autres sont restés dans les ghettos… Selon l’association Speranza, qui gère le projet, depuis les trains ou les camions qui emmenaient les déportés jusqu’aux camps de concentration, on pouvait entendre le son de ces violons. Certains déportés emportaient leurs instruments jusqu’aux chambres à gaz, comme en témoigne leur robe de bois brûlée.
Au programme de ces deux concerts, des morceaux aux tonalités aussi diverses que les saisons de la vie et les couleurs du temps : puissante avec Dvorák et sa Symphonie «du Nouveau Monde», dramatique et mélancolique avec le Concerto pour violon N°2 de Mendelssohn, onirique avec la composition de Gabriel Fauré Après un rêve, enracinée dans la tradition spirituelle juive avec la Mélodie hébraïque de Joseph Achron, vivace avec le Printemps de Vivaldi. «Vivaldi, c’est la preuve que ces violons qui ont connu l’horreur peuvent encore chanter la légèreté»,explique Jean-Philippe Sarcos, le talentueux directeur musical de l’événement, qui a engagé son ensemble du Palais Royal dans l’aventure, autour des violonistes solistes de renommée internationale comme les Turcs Sevil Ulucan-Weinstein (belle-fille d’Amon Weinstein) et Cihat Askin, l’Israélien Hagai Shaham et la Française Iris Scialom.
Les morceaux seront introduits par les histoires de ces violons et de leurs infortunés propriétaires, histoires écrites par Christophe Barbier, concepteur artistique du spectacle, et lues par les comédiens Gilles Cohen et Elsa Lepoivre. Par-delà le talent des grands compositeurs et la virtuosité des interprètes, ce que l’on entendra sous les voûtes de la Seine musicale et de la salle Gaveau, c’est, avant tout, la musique de toutes ces vies.
Les Violons de l’Espoir, avec l’orchestre Le Palais royal se sont produits le 17 novembre à La Seine musicale (Boulogne-Billancourt) et le 19 novembre à la Salle Gaveau (Paris).
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