Rentrer dans une librairie est un ravissement de l’esprit et une jouissance pour tous les sens.
Rencontrer son libraire, écouter ses conseils, échanger avec lui, puis partir sans but et flâner, errer entre les rayons, circuler entre les tables et se laisser porter par des couvertures, emporter par des auteurs, retourner les ouvrages pour découvrir les 4ème de couverture, ouvrir le livre et approcher son nez pour sentir cette odeur de l’encre sur le papier… et puis s’amarrer, jeter son ancre sur le rivage d’un de ces ouvrages, avant de difficilement quitter ce lieu magique pour s’en aller naviguer dans les bras d’une histoire du monde, d’un amour impossible, de rivages jamais atteints, d’un roman écrit à l’eau de rose ou à l’encre couleur sang, d’une intrigue insoupçonnée, mais devinée dès les premières pages, d’une thèse de philosophie qui nous bousculera, d’un pamphlet libertaire, d’une BD d’enfance ou grivoise, et puis naviguer d’île en île sans boussole, pour se construire au gré de ses rivages.
J’aime bien quitter le rivage de la réalité pour aller conquérir d’autres mondes fantastiques. Je colore ainsi mon quotidien parfois trop monotone, je me permets ainsi de vivre par procuration une existence plus exaltante.
Puis au bout du chemin, à la dernière page de l’ouvrage, se dire que l’on aurait aimé écrire ce texte, regretter de l’avoir dévoré si vite et le garder proche pour peut-être une prochaine relecture.
Les livres sont comme les humains, certains sont légers, simples, parfois souples, même accommodants, d’autres seront d’un caractère plus rude, mal fagoté, ils sont trompeurs et ne tiennent pas leur promesse, ils pourront même nous décevoir en route, la fin de la relation est dure, elle s’effiloche, on décroche, on désespère, c’est le désamour qui gagne. Mais moi je m’obstine, je ne lâche pas la bête car il ne faut jamais se fier à ces apparences souvent trompeuses: sous ces couvertures légères se cachent souvent des trésors.
Mais les livres peuvent aussi tuer, ils peuvent éveiller chez certains de bas instincts criminels.
On a brûlé des bibliothèques, celle d’Alexandrie en a fait les frais, elle qui contenait tout le savoir du monde ancien.
Certains mauvais politiques théoriciens du malheur et autres auteurs fous ont commencé par ordonner de brûler tous les classiques, tous les livres d’éveil et ensuite ces assassins conduits par leur vengeance et leur folie vont brûler les hommes, les femmes et les enfants… tous partis en fumée…
Mais ils leur ont survécu et il est de notre devoir de les protéger.
Car ouvrir un livre c’est pénétrer un univers de tous les possibles, c’est tendre la main en confiance à un auteur, le suivre lui, se laisser guider au gré de son imagination, ses tribulations: je suis convaincu que mes lectures ont exercé une grande influence sur ma vie.
Auteurs, écrivains, poètes, pamphlétaires, vous nous enchantez, vous nourrissez notre imaginaire, avec vous nous vivons tant de vies différentes, rêvons de grands destins, de grands chemins qui nous mèneraient sur vos pas.
Parfois gourmand, je picore un texte léger et je dévore un livre profond en même temps, insatiable, je roule à grande vitesse, sur ces deux boulevards côte à côte, lequel finirai-je en premier ?
Oui oui, un livre ouvert entre ses mains, c’est un régal, tour à tour à dévorer rapidement puis à déguster doucement, comme une douceur dont on voudrait faire durer longtemps le goût en bouche.
Je collectionne les marque pages, chaque livre à le sien propre qu’il gardera même après la fin de sa lecture, il rejoindra ensuite les rayons de ma bibliothèque en gardant en son sein les traces de mon passage.
Je prête rarement, seulement à ceux que j’affectionne, et puis j’attends avec anxiété leur retour.
Revenus enfin, ils iront rejoindre leur place, mais avant, je les consulte, je les osculte, tel un médecin prévenant pour voir s’ils ont été écornés, mal traités, annotés et le coupable sera puni, il ne pourra plus m’emprunter, car un livre prêté c’est aussi une part de soi même que l’on confie à l’autre.
Attention ils s’appellent tous “Reviens”.
Seuls mes “Pléiade” trônent, inamovibles dans leurs rayons à l’abri, ils sont là, silencieux, majestueux, délicats, en habits des grands jours, jaquette rigide, tranche dorée à la feuille d’or et intérieur de papier bible et puis ce marque page unique en ruban léger, c’est de la haute couture…
Ceux-là ne bougeront jamais, qui d’ailleurs oserait seulement demander à les emprunter, sacrilège, cela est incongru, quelle indélicatesse
Les ai-je tous lus ? Évidement non, je les lis en collections moins délicates, de celles dites de poche, pour ne pas les abîmer pardi. Oui c’est un peu ridicule je le confesse, mais vous me direz que tout cela relève de la psychiatrie, oui sûrement mais je me soigne, soyez sans crainte. Je me soigne à reculons, car de ce mal, je ne veux point guérir…
Et puis certains livres sont patients, ils m’attendent fidèlement, ils resteront là posés sur ma table, en sommeil, car je l’avoue je ne lis pas tous mes livres immédiatement, certains sont en attente de leur moment, de mon moment… mais les savoir là, chez moi, à mes côtés, est aussi une promesse de ce bonheur à venir.
Si un jour je meurs, et je mourrai un jour, je veux qu’on m’enterre avec L’Étranger de Camus, La Promesse de L’Aube de Gary et La Condition Humaine de Malraux, sur lesquels on viendra poser délicatement ma tête, car c’est avec eux que je désire partir serein…
J’ai été élevé par une bibliothèque, celle de mes parents.
PTAH
Fils du monde, d’Alexandrie, de Jérusalem, d’Athènes, de Rome et des Lumières.
Marsanne. Novembre 2022
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