[N.B. : Emmanuel Navon sera présent au Salon des Écrivains du B’nai B’rith le 22 novembre ; une conférence est prévue à 19h]
C’est l’histoire d’un petit peuple qui porte un message démesuré, une nation qui se défend au milieu de grands empires et de puissances imposantes et souvent hostiles. C’est l’épopée d’une nation qui ne se désagrège pas quand elle est virée de sa terre et dispersée de par le monde, retrouvant au cœur des communautés émiettées des grains de souveraineté, exerçant dans l’exil une diplomatie de survie, avançant pas à pas vers la renaissance sur la terre d’Israël. C’est la saga d’une petite barque ballotée sur une mer démontée, qui ne coule pas, ne perd pas l’Étoile et devient de nos jours une armada redoutable.
« Je crois qu’on ne peut pas comprendre les relations d’Israël avec le monde sans connaissance de base de la Bible hébraïque ».
Emmanuel Navon, politologue et plus que cela, a eu la bienheureuse idée de raconter cette histoire des relations étrangères d’Israël des temps bibliques à nos jours sous une forme singulière, concise, précise, directe et lumineuse. L’intelligence qui informe cette œuvre est elle-même marquée de l’étoile et du sceptre, de la foi et du pouvoir, de la connaissance de la bible hébraïque et de la puissance intellectuelle d’un chercheur intègre. Le peuple juif, à la fois une nation et une religion, gère ses relations avec les nations et joue sa survie à travers les millénaires en cherchant l’équilibre délicat entre sa fidélité à l’alliance et sa faculté d’adaptation à la réalité, Emmanuel Navon trace ce fil conducteur à travers d’innombrables situations et défis incommensurables. L’alliance est plus que la base, elle est la racine de cette histoire d’une diplomatie agile, racontée avec une maitrise admirable.
Pour arriver au résultat cohérent de cet ouvrage ambitieux il a fallu gérer une masse énorme d’informations sans se perdre en dégressions, sans s’attarder à des petites polémiques, sans tordre la réalité au service d’un parti pris, tout en faisant vivre l’histoire grâce à des détails percutants et à un savoureux choix de citations. On peut apprécier, par l’ampleur des notes, de la bibliographie et de l’index, le niveau d’assimilation qu’il a fallu pour arriver à l’écriture harmonieuse d’un texte qui se lit comme un roman du réel. Il ne s’agit pas de simplification, certainement pas, mais du souffle d’un auteur qui connaît si bien son sujet qu’il en fait quelque chose de familier.
Si le français est encore la langue de la diplomatie, Emmanuel Navon, né en France, monté en Israël en 1991, a choisi de rédiger son œuvre magistrale en anglais, en profitant des avantages d’une langue directe et logique qui peut s’écrire dans un registre élevé sans s’encombrer de tournures alambiquées. Langue adaptée, peut-être, à une diplomatie sans lambris dorés et diners somptueux, en-dehors des jeux d’influence de gros calibre, une diplomatie artisanale, souple, sportive et souvent confrontée à des menaces existentielles. Emmanuel Navon raconte les relations extérieurs pratiquées par des rois sages et d’autres idolâtres et sanguinaires, des héros qui négocient le sauvetage des Juifs expulsés et la protection des Juifs persécutés, des hommes riches qui donnent de leur fortune, de rares hommes dotés de pouvoir politique, des militants, des résistants, des soldats et des espions, le panorama d’une longue marche dessinée en cycles de réussites et d’échecs, cherchant toujours à vaincre l’impuissance pour jouir de la liberté.
En 1948, l’État d’Israël, entre la vie et la mort, cherchait désespérément des armes pour se défendre. Aujourd’hui il est exportateur de haute technologie militaire. Grâce à des exploits technologiques et scientifiques dans tous les domaines du bien-être et de la sécurité, Israël noue des liens fructueux, ouverts ou secrets, avec de nombreux États. L’étoile et le sceptre raconte cette progression, elle surgit devant nos yeux, c’est dramatique, énergique … et semé d’embuches.
« La bible n’est pas un cadastre ». Emmanuel Navon nous montre pourquoi et combien est indéfendable l’accusation lancée à la figure de l’État juif, quand il ose réclamer ses droits sur sa terre. Il n’y a pas de comparaison entre le judaïsme, qui reconnaît la séparation entre la synagogue et l’État, et les républiques islamiques ou autres théocraties. Si ça gêne des opinions « modernes » tant pis, on ne peut pas sacrifier, sous la pression de la mode, un principe essentiel à la survie comme à la prospérité qui inspire une certaine convoitise. Le judaïsme est une longue très longue histoire qu’on embrasse dans son intégralité, pas par nostalgie d’une gloire ancienne figée, mais parce que c’est un parcours initiatique sans fin et point fataliste. On encaisse les coups, les catastrophes, les punitions ponctuelles et on poursuit la recherche de la lumière.
A cette lumière on comprend mieux le débat entre religieux et laïques au sein de la société israélienne, ainsi que les choix difficiles au niveau de relations étrangères, le soutien douloureux d’États peu recommandables, comme l’Afrique du Sud lors d’une période d’isolement extrême. On apprécie à leur juste valeur la coopération agricole avec des pays africains et l’apport scientifique et technologique aux pays développés, qui réduisent le mouvement BDS à sa hargne antisémite sans étouffer les échanges commerciaux et culturels.
En suivant les grandes lignes de cette histoire diplomatique, on trouve dans le jeu des blocs au Moyen-Orient et son effet sur le sort des Juifs, puis de l’Etat juif, une résonance avec l’actualité brûlante de la guerre contre l’Ukraine. La politique des grandes puissances démocratiques évoluait en fonction des rapports de forces, favorisant ou s’opposant au projet de souveraineté juive selon qu’elle contrariait les ambitions soviétiques ou, au contraire, éveillait la colère des Arabes. A présent, l’État juif doit se repositionner par rapport à une Russie guerrière sans foi ni loi. Elle lui avait offert une certaine latitude dans le combat essentiel contre l’intrusion iranienne en Syrie, mais aujourd’hui, elle menace l’ordre mondial. Les interventions d’Emmanuel Navon, la finesse de son analyse de l’actualité s’inscrivent dans la continuité de cette histoire diplomatique aux vastes horizons. Une histoire, depuis le début et sans fin inspirée par la fidélité à l’alliance et la capacité de s’adapter à la réalité.
* Préface d’I. Herzog, Traduit de l’anglais par C. Darmon, Paris, Éditions Hermann, 2022. Titre original: The Star and the Scepter: A Diplomatic History of Israel (2020), University of Nebraska Press, The Jewish Publication Society.
© Nidra Poller
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Emmanuel Navon: «Face à Poutine, l’Amérique va demander à ses partenaires de choisir leur camp»
Laure Mandeville/ Le Figaro / 12 mai 2022
Emmanuel Navon: « L’Étoile et le sceptre »
Emmanuel Navon/ L’étoile et le sceptre : Israël et les nations / Pardès 2018/2 (N° 63)
https://www.cairn.info/revue-pardes-2018-2-page-103.htm
« Apartheid israélien », mauvaise foi européenne /Emmanuel Navon / Le Point/16 novembre 2022
TRIBUNE. Emmanuel Navon, professeur à l’université de Tel-Aviv, réplique à l’appel de cinq anciens ministres accusant Israël de « crime d’apartheid ».
Avec Nidra Poller Israël devient évidemment un prétexte pour nous servir sa propagande anti russe. Je ne m’attendais à rien mais je suis quand même déçue 😞.