Un siècle, ça n’est pas grand chose.
C’est comme si c’était hier, que Marcel nous a quittés, après une longue quinte de toux. Qu’il me pardonne de le parodier, lui qui aimait tant les pastiches, ce matin après m’être couché tôt, je me suis levé tôt.
Pour lui rendre hommage.
« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine la lumière éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le livre que je croyais avoir encore dans les mains ( « Sacré connard » d’une certaine Virginie Despentes ) et éteindre; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : un connard. Cette croyance survivait pendant quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait pas ma raison mais pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que la lumière n’était plus allumée. Puis elle commençait à me devenir inintelligible, comme après la métempsycose les pensées d’une existence antérieure ; le sujet du livre se détachait de moi, j’étais libre de m’y appliquer ou non ; aussitôt je recouvrais la vue et j’étais bien étonné de trouver autour de moi une obscurité, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une chose sans cause, incompréhensible, comme une chose vraiment obscure. Je me demandais quelle heure il pouvait être ; pas loin de deux heures à mon Apple Watch.
Les SMS s’étaient accumulés comme autant de feuilles mortes sur le seuil de ma porte. Le vent les emporterait avant que je les lise.
Je réalisais alors que ce livre était nul, aucun style, une syntaxe déplorable, que je n’avais nul besoin d’en poursuivre la lecture et que je n’étais pas ce sacré connard, mais un humble écrivain occupé à sa tâche, dont probablement personne ne se souviendrait dans un siècle. »
© Daniel Sarfati
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