Tribune Juive

Bernard Weill. Réflexions sur la « Lettre ouverte de Pierre Lurçat à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise »

L’ensemble de la lettre[1] est très intéressant et je l’approuve totalement. J’ai deux remarques à formuler – qui, d’ailleurs, renforcent peut-être l’argumentation de Pierre Lurçat :

  1. Lurçat reproche à Finkielkraut sa fascination pour la dernière parole de Jésus en croix qui, selon lui inaugurerait le christianisme : « mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » . Il faut tout d’abord noter que cette parole n’est rapportée que par deux évangélistes (Matthieu et Marc) sur quatre, et que parmi les multiples traditions orales qui ont convergé pour former les 4 évangiles canoniques, cette parole n’est rapportée que par une tradition commune à Mc et Mt, parmi les 5 ou 6 traditions évangéliques.

Cependant on remarque que la parole de Jésus est rapportée dans les évangiles en araméen et non en hébreu telle que Pierre Lurçat la cite.

Ainsi, il n’est pas certain que Jésus ait cité le Ps 22 sur la croix, mais la parole que deux des évangélistes lui attribuent est parfaitement cohérente avec la spiritualité juive et avec les invocations de Jésus au jardin des oliviers, avant son arrestation (Marc, 14, 35-39 ; Luc 22, 41-45 ; Matthieu 26, 39-44) : confiance en Dieu et fidélité absolues dans l’épreuve inexplicable.

            Ainsi, Jésus est né juif ; il a vécu en Juif et est mort en Juif. Jésus n’était pas chrétien : ce sont ses disciples qui, à la lumière de sa Résurrection, ont fondé le christianisme (cf ma dernière intervention au Centre communautaire en 2018). Il n’est donc pas nécessaire de devenir chrétien pour être ébloui par les paroles et le comportement de Jésus au cours de sa passion.

            Quand un Juif demande le baptême chrétien, je redoute toujours qu’il ou elle passe à côté de la vraie différence entre judaïsme et christianisme et que ce qu’il/elle admire en Jésus soit son judaïsme ! La vraie différence ne se situe ni dans le comportement de Jésus ni dans sa prédication, mais dans sa résurrection par laquelle Il s’est révélé Messie Fils de Dieu et Dieu Lui-même incarné en son Messie.

           Je suis donc d’accord avec Pierre Lurçat pour inciter A. Finkielkraut à la prudence et à la réflexion avant de se convertir !

© Bernard Weill, Professeur de médecine. Docteur en Théologie de l’Institut Catholique de Paris 


[1] Pierre Lurçat. Lettre ouverte à Alain Finkielkraut et à quelques autres Juifs fascinés par l’Eglise – Tribune Juive
https://www.tribunejuive.info/2022/11/14/pierre-lurcat-lettre-ouverte-a-alain-finkielkraut-et-a-quelques-autres-juifs-fascines-par-leglise/


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