Gérard Kleczewski. « Toutes les histoires sont vraies ». De Guy Birenbaum

« Toutes les histoires sont vraies », même à l’âge des influenceurs et de la vérité évaporée.

Ceux qui me connaissent, ou qui ont eu la gentillesse de lire récemment mon article consacré à Audiard et Céline (1), le savent : je souffre d’une incapacité chronique à distinguer l’auteur de son œuvre. A juger un livre sans considérer celui qui l’a écrit. En parallèle, j’ai souvent tendance à être trop conciliant, trop aimable, pas assez regardant avec les « œuvres » d’amis. Au pire, quand je n’aime pas, je n’en parle pas…

En achetant il y a quelques jours son ouvrage « Toutes les histoires sont vraies »(2) lors d’un salon du livre où je l’ai rencontré, puis en ouvrant ledit ouvrage qu’il m’avait dédicacé, je partais, je l’avoue, avec un apriori positif sur Guy Birenbaum,   tant l’universitaire (il a écrit sa thèse de doctorat en sciences-politiques en 1992 sur le Front National, comme moi mais à un bien moindre niveau), le journaliste médiatique et intervieweur de talent, l’auteur et l’éditeur, le photographe, le tennisman et moniteur de tennis (ce que je fus aussi), le collectionneur patenté de vieilles pubs jubilatoires m’a d’emblée et spontanément été sympathique.

Guy Birenbaum

Une sympathie pour l’intellectuel aux origines semblables aux miennes (je ne suis cependant Ashkénaze que par mon père, contrairement à lui « 100% pur vouz-vouz »), quand bien même son livre « Nos délits d’initiés » avait, il y a quelques années, mis en colère des gens que j’aime bien (mais il y a prescription !) … Quand bien même il avait également collaboré un temps avec quelques « journalistes » à mille lieues de mon panthéon personnel… 

Avec cet apriori positif, allais-je être déçu par ce livre paru dans la petite et récente maison d’édition « Braquage » , avec cette couverture hypnotique où je crois me reconnaitre dans le petit tennisman en bord de court, photographié par l’auteur à la toute fin des années 70 (ou au début des années 80 ?)  

Trêve de suspens… J’ai beaucoup aimé ! Mais encore dois-je dire pourquoi. 

Le livre démarre sur cet épigraphe signée Topor : « On reconnait les histoires vraies à ce qu’elles n’ont pas de chute« . On pourrait donc en conclure par un syllogisme hâtif que : si « toutes les histoires sont vraies« , alors « toutes les histoires n’ont pas de chute« . 
Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs, et le Gefilte Fish avant d’avoir farci la carpe… 

Conforme à ce qui existe ou a existé 

Une certitude, dès les prolégomènes : « La vérité s’était évaporée« , dit-il d’emblée. La France est gouvernée par le mensonge. Et une pandémie, une élection présidentielle faussée et la guerre en Ukraine ont fini d’enfermer notre pays dans le faux qui se prétend vrai. 

Alors pourquoi ne pas faire le contraire ? Ecrire le vrai via une fausse autobiographie. Lumineuse idée.  « Puisque le vrai ne comptais plus, il écrirait un roman. Une fausse autobiographie. Où toutes les histoires sont vraies« .

La dialectique puissante a incité aussitôt le lecteur que je suis à tomber à pieds joints dans ce texte. Ou plutôt à plonger tête en avant dans cette suite de récits courts et incisifs qui se succèdent et s’additionnent pour faire sens et œuvre au sein d’une architecture bien huilée en huit parties. 

Des parties qu’on peut décider de lire in extenso ou d’en grignoter le contenu au hasard des pages. Huit parties dont les quatre premières sont des lieux majeurs de la vie de l’auteur. Les deux premiers à Paris : « 86 rue de Sèvres »  et « Lycée Victor Duruy« . Les deux suivants dans les villes sœurs de Normandie, Deauville et Trouville. Villes que fréquente assidûment et amoureusement le narrateur.
 
Et chacune de ces parties recèlent des chapitres avec une date. Celle où s’est déroulée la « scène » transcrite. Et un âge : celui du capitaine Birenbaum. Ce presque vieux skipper qui mène son bateau à vive allure, en évitant les icebergs et sans chemin tracé, par trop chronologique. 

Le tout s’accompagne d’une superbe playlist, fournie sur deux pages en fin d’ouvrage, et disponible sur Deezer en suivant le lien indiqué ici en bas de page. Une liste de musiques muettes par l’écrit, mais qui résonnent (raisonnent ?) dans notre cerveau. 
Elles enveloppent chacune des histoires, chacune des anecdotes autobiographiques, vraies ou pas, mais au moins vraisemblables, écrites à la troisième personne du singulier, tour à tour poétiques, nostalgiques (elle est toujours ce qu’elle était, la nostalgie, Simone…), sombres ou en clair-obscur, sociales ou politiques, drôles ou cocasses, voire carrément tristes… Humaines, quoi ! 

Ne comptez pas sur moi pour vous « spoiler » ces histoires vraies, donc sans chute. N’espérez pas que je divulgâche, comme disent les compatriotes de Céline Dion et de Robert Charlebois… 
Mais croyez-moi sur parole : il faut lire ce livre, singulier donc universel. 
Un paradoxe vital construit à partir de micro-instants extirpés du passé par l’auteur, à la manière d’un Perec qui se souvient…  

Chapeau bas… 

Donc un pari relevé avec brio par Guy (le « gars », ou le « type » en anglais) Birenbaum (« arbre à baies rouges », en allemand et Yiddish).  

Vous trouvez ça trop court ? Vous voudriez un exemple du style de l’auteur ? Soit, je vais conclure par un passage qui m’a ému parmi des dizaines. 
Evidemment, le fait que cet article soit publié dans Tribune Juive m’a guidé pour le choisir. On le trouve, lové bien au chaud dans le chapitre « Chauffage central », en souvenir de celles qui ont survécu pendant deux longues années dans 6 m2, avec l’aide providentielle de Justes. 

« Dans la petite pièce du sixième étage, sous le toit du 209, rue Saint-Maur, où elle se cacha, avec sa fille, Tauba, et son mari, Moshé, de la mi-juillet 42, quelques jours après la rafle du Vel d’hiv, à la fin août 1944, la libération de Paris. Un couple, Rose et Désiré Dinanceau les avaient sauvés en les gardant cachés dans leur débarras. Plus de deux ans. Au péril de leur vie à eux. La mère de Rywka (son arrière-grand-mère) vivait déjà dans cet immeuble et c’était elle qui avait convaincu sa fille et sa famille de venir se réfugier là. Après qu’ils avaient déjà échappé par miracle à la rafle du 16 juillet, en se cachant dans un autre appartement que la leur, rue Blondel, où ils logeaient alors.  Mais de tout ça, il ne savait rien. Du tout« .

Lisez Toutes les histoires sont vraies »  de Guy Birenbaum. Vous vous direz sans doute, en refermant le livre, que le réel et le plausible sont tellement plus puissants que le mensonge… Qu’ils sont même les portes ultimes vers l’imaginaire !    

© Gérard Kleczewski

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