La Chronique de Nidra Poller. Etats-Unis / les midterms. Bonjour la Démocratie

Etats-Unis / les midterms

 Les résultats définitifs se feront attendre mais une chose est certaine : le Congrès américain n’a pas été frappé d’un tsunami rouge Republican. Pas de raz de marée, même pas l’équivalent d’un épisode cévenol. Les sondages avaient exagéré des espoirs insensés ; dans le domaine du réel ça a fait pschitt. Des cris remontent des quatre coins du royaume des conservateurs sommant Donald Trump, qui ne tient déjà que par deux doigts au pinacle, de lâcher prise. C’est salutaire ! Les candidats adoubés sur le seul critère de la loyauté au chef ont échoué, le redoutable rival Ron de Santis est réélu gouverneur de la Floride avec une avance de 19 points. Bravo la démocratie ! Là où aucun argument rationnel n’avait réussi à briser l’emprise d’un médiocre crâneur sur le GOP [Grand Old Party], la voix des citoyens a écrasé le braggadocio trumpien. 

Du coup, quelques grosses bourdes récentes vont revenir en boomerang. Trop sûr d’un triomphe à lui-même imputable, tout en doutant de sa propre certitude, Trump avait réduit l’ANNONCE à une annonce d’annonce à venir. « Je vais faire une déclaration trèèèèès importante le 15 novembre, de chez moi, à Mar-a-Lago ». Mystère et boule de gomme. Qu’est-ce qu’il va annoncer ? 2024, ça vous dit quelque chose ? Se croyant promis à un avenir brillant, l’ancien président avait balancé un sobriquet empoisonné sur la tête du gouverneur« DeSanctimonious » de la Floride. Mauvais calcul. DeSantis est sorti en haut du monticule. Et Marco Rubio, ridiculisé par Trump lors des primaires Republican de 2016—« le petit Marco qui pisse dans son froc »–est confortablement réélu sénateur de la même Floride. Bénies soient les élections libres. Peu importe la façon simpliste dont les questions se posent là-bas aux USA, les citoyens ont composé à leur manière une échelle de valeurs et de priorités imposant une remise en question à droite et, éventuellement, à gauche.

Dans une Amérique tribalisée, le non-croyant court toujours le risque d’être accusé d’intelligence avec l’ennemi. Or, l’exaspération dans le camp de la droite est telle qu’on n’a plus peur de traiter Donald Trump de pitoyable loser et de se féliciter de la fin de son emprise sur le parti Republican, sans pour autant afficher une quelconque complicité avec le contingent Democrat wokiste qui a contribué à sa chute.  

Poudre aux yeux

Il serait utile de rappeler les grandes lignes de la captation du parti Republican en 2016 par le candidat à la candidature D. J. Trump et d’analyser l’influence néfaste, au-delà de toute considération partisane, sur ses fidèles.  La stratégie de conquête adoptée par Donald Trump était d’emblée non-démocratique, tout comme la mentalité induite chez les sympathisants, convaincus que l’homme improbable était un méga-gagnant. Invincible. Basée sur cette croyance infondée, les nouveaux disciples ont avalé des mensonges, transformé en exploits des méfaits grossiers et cautionné des comportements indignes, voire indécents.  Ils gobent, depuis lors et jusqu’à l’assaut contre le Capitole au 6 janvier 2020, un flot interminable de fantasmes.

Ceux qui se sont opposés à l’OPA hostile sur le parti Republican ont été traités de never-Trumpers, des kuffars/ hérétiques bons à excommunier, dont les opinions n’avaient aucun mérite. Ceux qui, par la suite, ont critiqué sa façon de gouverner étaient des Trump-haters, à écarter sans autre forme de procès. Un homme, détenteur de la vérité et doté de pouvoirs magiques, échappait à tout jugement laïque. Son discours vulgaire était un franc-parler admirable. Son ignorance une connaissance paranormale. Illettré, il jouissait d’une intelligence plus fine que la coterie d’intellectuels aussi prétentieux qu’inefficaces. L’homme qui avait évité le service militaire connaissait mieux que ses généraux l’art de vaincre. Son love affair avec Kim Jung Un ? Un coup de génie. Son mépris de l’Europe, applaudi et assimilé. Petit à petit, la paranoïa propre à un esprit tyrannique s’est transmise chez ses supporters, culminant avec le refus de reconnaitre la victoire de Joe Biden. Les « preuves » grotesques de fraude circulaient frénétiquement. Des tonnes de bulletins de vote trafiqués, livrés dans la nuit noire par un camionneur qui témoigne. Les valises bourrées de bulletins falsifiés, comptés en catimini. Les machines Dominion, fabriquées sur mesure pour Chavez, programmées pour transformer des votes Trump en votes Biden, le tout compté en Allemagne. 

Dépités par la défaite aux présidentielles de 2020, les croyants se sont fiés totalement et uniquement à la réalité créée par Trump. Tous les autres–des responsables des élections, des élus locaux, des juges, des membres de l’administration Trump–tous des menteurs, tous complices. Des accusations fantaisistes tournent dans un vortex infernal. Le parent, le collègue, les amis trumpistes répètent inlassablement qu’on a refusé d’investiguer des irrégularités criardes. Tu corriges : « Il ne demandait pas d’enquête, il œuvrait pour renverser le résultat du scrutin».  Peine perdue. On te dira que les Democrats / wokistes / socialistes / fascistes / communistes sont une menace existentielle à la démocratie. Ton interlocuteur n’a pas regardé les séances publiques de la commission d’enquête sur l’invasion du Capitole. « C’est un Stalinist show trial » Il ne veut rien savoir de la gravité du stockage de documents présidentiels à Mar-a-Lago. « C’était un gestapo raid ».  Et ainsi de suite. 

Ce n’est pas la vertu contre le vice

Les faibles résultats du GOP aux midterms ne traduisent pas le triomphe de la vertu de gauche contre le vice de droite. On aura le loisir de juger les divers élus sur leurs mérites et d’être largement en désaccord avec une bonne partie d’entre eux. La montée de l’étoile DeSantis n’est pas la promesse de voir enfin à la tête des Etats-Unis un véritable homme d’Etat. Le nouveau héros, qui s’est marié à Disneyworld en uniforme de parade blanc de la marine nationale était, avant-hier, un MAGA fidèle. Sa femme, belle et svelte ancienne journaliste à longs cheveux bruns, dirige, dit-on, sa vie politique. Les trois enfants en bas âge, prénommés Madison, Mason et Mamie, ressemblent un peu trop à des accessoires de scène, mais c’est le style américain. Des articles de fond dans le New York Post et le Daily Mail, parmi d’autres, esquissent le nouveau roman glamour qui remplacera éventuellement les Trump, soudain un peu fripés sur les bords. DeSantis, né dans une famille modeste issue de l’immigration italienne, diplômé de Harvard et de Yale, promet un léger mieux sur l’ignare playboy, faux milliardaire recyclé en homme providentiel, tombé maintenant en disgrâce.

Pour l’anecdote : DeSantis a gagné un titre de gloire pour sa gestion, aux relents d’antivaxisme militant, de la pandémie de Covid-19. Rejetant le confinement, le masque, la fermeture des écoles et tout autre restriction, il est crédité de résultats spectaculaires. Les réfugiés qui ont fui des États oppressifs pour s’installer dans la Floride libre ont contribué au raz de marée DeSantis. Or, le Donald aigri a choisi la politique sanitaire comme l’un de ses champs de bataille, scandalisant des commentateurs, qui lui lancent à la figure sa gestion calamiteuse téléguidée par le docteur Fauci, bête noire des conservateurs. Sur ce plan, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. 

L’intime et l’international

Connaissant l’importance du vote des indépendants, comment s’imaginer que la question de l’avortement ne pèserait pas sur le choix des électeurs ?  La décision de la Cour Suprême, rendant aux États le droit de légiférer sur l’avortement, avait déjà déstabilisé des Américains, femmes et hommes pareillement ; le passage, dans certains États, de lois radicalement restrictives et punitives a semé la panique. Et une colère sourde. Si l’opposition au militantisme LGBTQ et autres aberrations sociétales ont pu motiver le choix des électeurs, ces questions restent marginales par rapport à l’avortement, vu comme un élément essentiel du dispositif de liberté sexuelle. Qu’on soit personnellement pour ou contre l’avortement, son interdiction quasiment totale n’est pas acceptable pour la majorité. 

Et pourtant, les sondages laissaient croire que l’avortement ne figurait pas parmi les préoccupations des votants. Si bien que j’avais commencé à douter de mes propres prévisions, partagées il y a 2 mois avec un collègue, que la vague rouge serait compromise par cette question. 

De même, la question des relations étrangères était plus qu’absente des calculs. En pleine guerre russe contre l’Ukraine, on supposait que l’Américain ne pensait qu’aux prix à la pompe et au supermarché. Je me demande si le cynisme des isolationnistes n’a pas heurté –précisément à droite–une sensibilité profonde de solidarité avec un peuple brutalement envahi, qui se dresse et lutte pour sa liberté. Toujours est-il que le Kevin McCarthy qui avait mis en garde contre « un chèque en blanc » pour l’Ukraine n’est pas sûr de grimper à la tête de la Chambre.

Vous n’avez pas la reconnaissance du ventre ?

Tout ce que Trump a fait de bien a été bien reçu et pleinement apprécié. Sans procès d’intention. Sommes-nous un peuple minable qui doit s’agenouiller devant le généreux bienfaiteur comme si on ne méritait pas tout cela et bien plus ? Déjà passé au stade du Verus Israël, l’ancien président, enragé par ce qui est clairement une défaite aux midterms, verse sa colère tous azimuts. C’est inévitable, les Juifs seront visés et le discours de confiance trahie allumera la haine chez les boys en tenue de combat, chez les QAnon bouillonnant de complotisme, chez les loups solitaires qui chassent en bande.  

A l’heure qu’il est, une majorité Republican à la Chambre, pas encore acquise, sera trop mince pour permettre le grand chamboulement espéré. Et le Sénat ?  Ce sera encore une fois, semble-t-il, à la Géorgie de trancher. Auquel cas, c’est cuit pour les Republicans.  Leur Herschel Walker est typique des McCandidates qui ont précipité le désastre. Les Democrats iront massivement aux urnes et l’ancien président, déchu, fera de son mieux pour priver son ancien parti de la majorité.

© Nidra Poller

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1 Comment

  1. En lisant « Bonjour la démocratie », je n’ai pu m’empêcher de sourire _ car malheureusement avec Nidra Poller il ne s’agit pas d’ironie.🥳
    Je n’ai pas lu la suite…

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