Fin du Procès en appel des attentats de Janvier 2015
Depuis le 12 septembre a lieu dans l’emblématique salle Voltaire de la Cour d’appel du Tribunal de Paris le procès en appel des attentats de Janvier, perpétrés à Paris le 07, 08, 09Janvier 2015.
Pour rappel, Le 07Janvier 2015 les frères Kouachi pénètrent dans les locaux de Charlie-Hebdo, le journal qui avait publié les caricatures du prophète Mohammed. Au nom de Al Qaïda Yémen (AQPA) ils assassinent onze personnes et en blessent autant. En fuyant, ils tuent au passage le policier, Ahmed Merabet, qui, blessé au sol, les supplia avant d’être achevé par Chérif Kouachi. Puis ils se réfugient le lendemain à Dammartin-En-Goëlle dans l’imprimerie de Michel Catalano, retenu en otage par les terroristes pendant sept heures, jusqu’à leur liquidation par les forces de l’ordre. Ce même jour, le 08Janvier, Amédy Coulibaly, qui visait en fait une école juive, assassine à Montrouge la policière municipale Clarissa Jean-Philippe. Le 09Janvier, le même Coulibaly prend en otage les clients de l’Hyper-Cacher, porte de Vincennes et tue quatre personnes au nom de l’Etat Islamique.
Sur les quatorze personnes accusés d’avoir apporté un soutien logistique aux terroristes, seuls deux hommes avaient décidé en première instance de faire appel : Amar Ramdani et Polat. Tous deux faisaient partie du premier cercle d’amis de Amédy Coulibaly et sont accusés, pour le premier d’Associations de Malfaiteurs Terroriste et pour le deuxième de complicité.
Deux ans ont passé et ces deux accusés sont quasiment méconnaissables : Ramdani semble totalement accablé. La tête entre les mains, dans un état de prostration, il paraît écrasé par la honte et le désespoir. Les rares fois où il lève la tête, son visage amaigri apparaît, dévoilant ses traits tirés. Il compatit avec les victimes, verse quelques larmes lorsqu’il prend la parole. Polat, un peu plus calme qu’en première instance mais toujours « grande gueule », est quant à lui bouffi, avachi dans son informe jogging, la tenue habituelle des détenus. Il montre un visage moins sensible mais écoute avec attention. Il « n’en perd pas une miette« , comme l’a souligné l’avocat général dans le réquisitoire. Cet homme « sans filtre » selon les dires de l’expert psychiatre reste cependant vindicatif lorsque vient son tour de parole. Il faut dire qu’on a le verbe haut dans la famille Polat : même sa mère s’est mise à maudire l’enquêtrice et s’est donc vu refuser l’accès à la salle d’audience. Les deux accusés se plaignent qu’on n’écoute pas leur version des faits, continuent à clamer leur innocence, chacun à leur manière, l’un en pleurant, l’autre en proclamant « un innocent ne pleure pas, un innocent ne s’excuse pas« . L’un calme et réfléchi incarne une certaine intelligence, l’autre fruste et intempestif, le contraire. Sont-ils les deux faces d’une même médaille ?
Au cours de ces six semaines d’audience, on a appris quelques éléments nouveaux : Hayat Boumédienne, l’épouse de Coulibaly, serait vivante ; le surnom de Coulibaly proviendrait d’après Polat d’une star porno ; Polat a admis avoir transporté (et acheté) des armes mais d’après son avocat, des personnes non accusées seraient « plus impliquées et compétentes que Polat » : parmi celles-là, un homme, radicalisé, incarcéré à Fleury, qui a monté avec succès trois dossiers de financements pour Coulibaly. On a aussi appris qu’il resterait entre 300 et 400 armes de Claude Hermant se baladant en France, et grâce à l’hypothèse émise par Maître Casubolo, que les frères Kouachi ne se seraient peut-être pas retrouvés par hasard à Dammartin-En Goëlle : la sœur de d’un de leurs comparses y résidait, ils avaient envisagé d’utiliser son appartement pour une planque d’armes et ils ont sans doute voulu s’y replier dans leur fuite.
On a assisté à l’audition de Pastor Alwattik qui, revenant sur sa position en première instance, a reconnu, depuis sa prison où il purge une peine de 17 ans, avoir fait la nourrice pour Coulibaly, trois jours durant lesquels il a gardé les armes. Puis il a déclaré: « Si y’en a un qui était proche de Coulibaly c’est moi, s’il y en a un qui était radicalisé c’est moi« . Est-ce pour aider Polat ou Ramdani ? Et si c’est le cas serait-ce dans un but amical ou idéologique ? On a vu lors du procès du 13 Novembre que certains islamistes « grillés » ou futurs shahid, se chargeaient à dessein pour laisser à d’autres la possibilité d’être libres, comme dans cet extrait de la bande audio du testament de Najim Laachraoui : « Transmets ce message au frère incarcéré, dis-lui qu’il remette tout sur moi. Qu’il a loué une maison pour moi, et qu’il ne savait pas que ça servirait. Je te laisse une lettre manuscrite, il verra ce qu’il en fait »
Rien n’a changé depuis deux ans concernant les arguments sur lesquels repose la logique de l’accusation : les réponses floues et omissions des accusés sont un enfumage traçant une suite d’incohérences. Les derniers jours précédant l’attentat, les accusés sont dans le top contact de la téléphonie de Coulibaly, ce qui prouve leur implication. Malgré « le hors piste des réponses de monsieur Polat« , on peut considérer qu’une série d’invraisemblances finit par dessiner une vérité. On retrouve les mêmes arguments dans la défense : il y a toujours l’ADN inconnu M14. L’acte d’accusation ne repose que sur des hypothèses : « Ce qui se joue ici c’est une justice sans preuves », a plaidé Me Moad Nefati.
La désertion du public et de la presse
Cependant, ce qui est différent, et peut-être plus surprenant, c’est la désertion du public et de la presse : la salle Voltaire, majestueuse avec ses lambris, ses dorures, sa voute peinte, ses petits anges au plafond tenant une tablette où est inscrit Lex, ses murs aux fresques kitch et colorées, est quasiment vide : peu de journalistes sur les bancs de la presse. Beaucoup de parties civiles n’ont pas voulu témoigner une seconde fois. Quelques irréductibles parmi les parties civiles assistent au procès quotidiennement : Marika Brett, Simon Fieschi, Monsieur Cohen, le père de Yohan qui a agonisé dans son sang avant d’être achevé par Coulibaly car ses râles le gênaient, Louisa Ourad, la fille de Mustapha, la veuve de Cabu, les parents de Romain D., et j’en oublie certainement.
Le procès marathonien du 13 Novembre a certainement contribué à cette désertion et il semble que les attentats deJanvier 2015 intéressent moins de monde. La figure des accusés est sans doute moins spectaculaire, moins attendue. Délinquants ordinaires, accusés d’avoir aidé Coulibaly dans la logistique des attentats – par des achats et transports d’armes, par une proximité douteuse, des financements liés à d’obscures dettes, un contact téléphonique intense lors des derniers jours de Coulibaly- ils n’ont aucun discours politique ni revendication idéologique, ils ne professent aucune de ces déclarations ambiguës ou provocatrices qui faisaient les gros titres de la presse lors du procès du 13 Novembre. A vrai dire ils n’ont pas l’air islamistes et ne le sont probablement pas, en particulier Amar Ramdani. Le QER, (Quartier d’évaluation de la radicalisation), dans son évaluation, a conclu que tous deux n’avaient aucun ancrage idéologique. L’expert psychiatrique Coutanceau a déclaré au sujet de Ali Réza Polat : « C’est le contraire d’un exalté idéologique ». Le QER et les anciennes compagnes de Ramdani sont formelles : il n’a jamais été radicalisé.
Bref, de cette difficulté à les catégoriser comme islamistes radicaux découle la difficulté de déterminer l’intentionnalité de leurs actes. Tout le cœur de ce procès réside dans ces questions : étaient-ils au courant ? Et surtout, connaissant la radicalité religieuse de Coulibaly, pouvaient-ils ignorer qu’en l’aidant ou lui vendant des armes il allait commettre un attentat ?
Le verdict prononcé Jeudi 20 Octobre a confirmé leur culpabilité en condamnant Polat pour complicité à la perpétuité et Ramdani pour AMT (association de malfaiteurs terroristes), tout en allégeant sa peine à 13 ans.
Certaines plaidoiries des avocats des parties civiles nous ont aussi aidé à comprendre les raisons de cette désertion de la salle d’audience. Me Levy, avocat de la veuve de Philippe Braham, a expliqué que Valérie n’était pas venue témoigner car elle trouvait que ce procès ne servait à rien, « qu’il n’était plus dans sa réalité » : veuve à 36 ans, elle doit s’occuper seule de ses trois enfants et pour elle « la lourdeur de ce quotidien c’est sa réalité ». Elle n’est donc pas venue témoigner une seconde fois, rappeler à la Cour un élément pourtant fondamental : Amédy Coulibaly a demandé à Philippe Braham de décliner son identité. Lorsque ce dernier a donné son nom, Coulibaly l’a froidement abattu.
Évidente et pourtant absente dans l’acte d’accusation, la circonstance aggravante d’antisémitisme n’existant pas en 2015…
Me Klugman, avocat de ceux qui ont survécu à l’Hyper-Cacher, les survivants comme on les appelle mais que lui, en détaillant nombre de leurs séquelles, a nommé les sous-vivants, a rappelé que « la seule chose dont on n’a pas parlé dans ce procès c’est l’antisémitisme, qui est comme un éléphant dans cette salle« : évidente et pourtant absente dans l’acte d’accusation, la circonstance aggravante d’antisémitisme n’existant pas en 2015.
Il a rappelé à la Cour une scène filmée à l’Hyper-Cacher par la Go-pro de Coulibaly où celui-ci déclare : « Vous êtes de quelle religion ? Juive ? Hé bien vous savez pourquoi je suis là« . Car l’antisémitisme est présent partout dès le début de ces trois jours sanglants : le 07Janvier dans les locaux de Charlie-Hebdo, les frères Kouachi épargnent Sigolène Vinçon car, disent-ils, ils ne tuent pas les femmes. Pourtant ils exécutent Elsa Cayatte, cette juive de Tunisie à la voix légendaire et à la longue chevelure noire. Le lendemain les frères Kouachi demandent à Michel Catalano s’il est juif. Pour la deuxième fois ce dernier a témoigné et a certifié que s’il avait répondu par l’affirmative, il sait qu’il ne serait plus de ce monde. Il est maintenant aussi établi que le 08Janvier Coulibaly visait à Montrouge l’école juive, que les policiers municipaux et Clarissa Jean-Philippe se trouvant par hasard sur les lieux à cause d’un accident de voiture l’ont empêché de commettre son crime.
Ce déni dans ce dossier, « cette infamie » selon les mots de maître Klugman « participe aussi au vide de cette salle d’audience, explique pourquoi il y a tant de chaises vides » et pourquoi les gens ne sont pas venus témoigner une seconde fois.
Et on a l’impression que ça ne risque pas de s’arranger : hier un professeur de collège juif a été menacé dans une lettre anonyme, et que sera demain ? Comme l’a déclaré Me Klugman, « ce procès historique risque de devenir microscopique.«
Jusque dans les plaidoiries, cette question s’insinue en creux. En première instance Polat avait été comparé à Dreyfus par Me Coutant-Peyre. En appel, pour dénoncer ce qui serait un acharnement de la Cour, une meute le poursuivant, Polat sera cette fois comparé par son avocat à … M le Maudit ! Me Nefati cite en effet la dernière phrase du film de Fritz Lang : « Cet homme doit disparaître » (Dieser mann muss verschwinden) puis conclut : « Jugez ce Mensch conformément à la loi ». L’avocat oublie sans doute que, pour faire allusion aux nazis, le premier titre du film envisagé par Lang fut « Les assassins sont parmi nous » – pas certain que cela aide Monsieur Polat pour sa défense … et encore moins Monsieur Ramdani – mais n’oublie pas ce que signifie le mot Mensch pour les Juifs.
Tout compte fait, il valait peut-être mieux que certaines parties civiles ayant perdu un proche n’aient pas été présentes pour entendre cette ineptie : cette comparaison de Polat à un Mensch, peu élégante pour les menschen de toutes les religions, relève au mieux de la provocation, au pire de ce retournement habituel du statut de victime … Si Dolly Golden était le surnom de Coulibaly, « M. le maudit » sera le nouveau surnom de Polat … L’Islam des Lumières invoqué par Me Malka lors de sa brillante plaidoirie semble bien loin.
© Karin Albou
© Karin Albou
Karin Albou, auteur et réalisatrice, a écrit et réalisé dès 2002, à un moment où personne n’avait pressenti l’ampleur des actes antisémites qui allaient frapper la France, ” La petite Jérusalem“, qui sortira en salles en 2005 et raconte… Sarcelles. Elle a également écrit et réalisé “Le chant des mariées” qui se situe pendant l’Occupation nazie de la Tunisie.
Comme tous les reportages de Karin Albou sur ce procès en première instance, une clarté glaçante. Merci Karin.